Huitième rencontre : "malaise dans le genre"


L’association “Voyons où la philo mène...” organise une huitième rencontre

les vendredi 21 juin au soir, samedi 22 et dimanche 23 juin 2013

au gîte de Hautepierre-le-Châtelet (25) (1 rue du mûrot)

Argumentaire

 :

L’émergence de la notion de genre est le résultat, sur le plan théorique et pratique, de transformations profondes dans la société, du point de vue des identités, des rapports entre les sexes, de l’ordre familial, des sexualités, des techniques de procréation, etc. Que la remise en cause des frontières entre sexes, genres, sexualités, rôles paternel et maternel, longtemps jugées immuables selon des critères biologiques et/ou anthropologiques et/ou symboliques se soit appuyée sur les évidences vécues de la variabilité, de fait, des formes de conduites sexuelles, d’organisation familiale et sociale (au point d’entériner légalement cet état de fait à travers le « mariage pour tous »), mais aussi de pratiques du corps, cela n’empêche pas qu’on ait à se poser la question des effets, multiples et parfois contradictoires, de ces bouleversements. Qu’on pense la réalité à travers le prisme des rapports de genre, plutôt qu’à travers celui des rapports de sexe, quelle influence cela a-t-il sur ces derniers, mais aussi sur les rapports de classe, qui les traversent, les uns et les autres ? La notion de genre est-elle de nature à mettre en rapport ces autres formes de rapports, au point de dessiner des lignes de fuite, par lesquelles les oppositions binaires fileraient, se redéfinissant dans le multiple ? Ou alors, ne risque-t-on pas de retrouver certaines formes de neutralisation, qui viendraient plutôt confirmer une domination donnée, et étouffer la chance du multiple ? C’est que le refus d’être enfermé dans un sexe peut aussi conduire à la négation des rapports actuellement existants entre les sexes, en déplaçant la question vers le genre (avec la prise en compte de la couleur, de la situation de classe, etc.), alors jugé déterminant au détriment de l’appartenance sociale de sexe (à distinguer de l’appartenance biologico-anatomique à un sexe) ; c’est que le refus d’être assigné à un sexe donné peut, par exemple, faire entrer en contradiction la logique queer et celle qui sous-tend les pratiques de transsexualité, etc. Mettre du jeu dans les rapports entre anciennes partitions binaires, c’est bien ce à quoi participe la catégorie du genre – peut-être s’agirait-il à présent de déplacer l’accent vers les pratiques elles-mêmes, pour en ressaisir le nécessaire ancrage, au minimum stratégique, sur les anciens partages : comment comprendre les démarches politiques transsexuelles sans une référence aux sexes ? La catégorie du genre, si elle devenait hégémonique d’un point de vue théorique, n’empêcherait-elle pas la saisie fine de ce qui se joue réellement ? L’assignation faite aux intersexués d’opter pour l’un ou l’autre sexe rappelle cruellement l’efficience sociale maintenue de ces catégories.

Programme

 :

Vendredi 21 juin : accueil des hébergés au gîte de Hautepierre-le-Châtelet (25) à partir de 19h30 avec repas en continu.

Samedi 22 juin :

Chaque intervention sera suivie d’une discussion.

9h30 « Genres et classes » Sylvie Parquet

En introduction à ce week-end sur le genre je me propose de faire un petit rappel historique de la place de la femme dans la société puis de prendre en compte les différentes formes qu’a pris le féminisme au cours des XXe et XXIe siècles. Il s’agit ici, plus généralement, de s’interroger sur la question de la lutte des genres et de la lutte des classes dans leur imbrication.

11h « Les corps, les genres et le vrai sexe. Une approximation à partir de la philosophie de Michel Foucault » Rosa Maria Rodriguez Magda (Directrice de l’Aire de la Pensée de L’Intitució Alfons el Magnànim. CECEL-CSIC).

Le corps comme lieu de résistance. Le dispositif de sexualité. Les corps et la différence sexuelle. Sexe / genre. Est-ce que nous avons un « vrai sexe » ? Qu’est qu’il y a de dangereux dans une vision ouverte des genres ?

13h Repas

14h30 Balade dans les environs

16h « Il n’y a tout simplement pas de nature » Vincent Douris

(Cette intervention comportera une projection de photographies)

Malaise dans le genre : je ne sais pas si l’on doit s’attendre à la rencontre fortuite entre Freud et Butler, mais je peux dire quelques mots sur la façon dont on comprend généralement, en France, Trouble dans le genre. On insiste sur la capacité de tout un chacun à performer son genre en fonction de ce qui en est attendu, mais on ne retient rien de ce qui permet à l’énoncé (ici, à l’expression du genre) de réussir comme d’échouer. On ne retient pas plus le projet du second livre, Ces corps qui comptent, dans lequel Butler cherche à dissiper tout malentendu : il n’y a pas de genre que l’on pourrait comprendre comme trait de la culture par rapport au sexe, qui relèverait de la nature, parce qu’il n’y a simplement pas de nature.

Prenons maintenant le malaise au regard de l’actualité, mais pas tant du côté des manifestations de rue contre le mariage gay qu’au regard d’une stupéfaction qui s’énonce à demi mot : comment se fait-il que le motif de l’égalité des droits puisse à ce point faire oublier le versant subversif que l’on prêtait volontiers à l’homosexualité ? Cette nostalgie n’est-elle pas le pendant de la critique des mouvements de promotion des droits, qui entend de manière exclusive cette dernière comme alliée d’un impérialisme culturel ?

La présentation de travaux de trois artistes sud africains peut illustrer certains des motifs esquissés ici. Le travail de Sabelo Mlangeni montre que l’expression de l’homosexualité ne suppose pas nécessairement l’industrialisation des capitales dans un pays, L’Afrique du Sud, où la constitution protège les droits des homosexuels et où la loi autorise le mariage entre personnes du même sexe. La violence a l’égard des lesbiennes y est pourtant sans pareil – c’est l’un des motifs du travail de Zanele Muholi – et tend à faire entendre le droit comme une abstraction loin d’être accessible à l’ensemble de ses sujets. Enfin, le travail de Robert Hamblin expose l’intrication de la race et de la classe. Transsexuel, mais outsider quand il photographie les travailleuses du sexe de Cape Town, il ne documente pas mais cherche à montrer comment les corps produisent le genre sans même les artifices d’un contexte.

18h « Trans, logos, praxis » Hélène Hazera (née en 1952 a fait sa transition trans en 1975.Séropositive elle fait partie de la commission trans d’act up Paris. Elle est productrice radio)

Les situationistes divisaient les penseurs en deux groupes : les "théoriciens" (eux) et les "idéologues" (tous les autres). Cette causerie ne parlera pas de l’Internationale situationiste, mais du rapport entre l’émancipation de la population trans (transsexuelLLE et Trangenre) avec les chercheurs universitaires pour la plupart, qui se penchent ou croient se pencher sur le sujet, ou pire en prétendent parler à la place des trans.

Des témoignages les plus anciens (une tombe préhistorique où repose la plus ancienne transgenre de l’histoire répertoriée, la présence des trans à Sumer, la plus ancienne civilisation de l’écrit) au tabou biblique et de toutes les religions abrahamique (avec des nuances). On parlera d’antropologie, des phénomènes transgenres chez les amérindiens, les polynésiens, dans le sous continent indien, et des peuplades africaines. Comment les bûchers de l’inquisition sont passés à une médecine coercitive, allant jusqu’à la barbarie (électrochocs, lobotomie)...et à toutes sortes de malversation "pour leur bien", évidemment. On opposera Magnus Hirshfeld à Sigmund Freud (Lacan encore plus), en remettant dans le contexte les discours et les actions de Stoller et ses amis, celles d’une Colette Chilland qui elle bascule dans la réaction. La pensée Queer (si diverse) qui semble attaquer cette école est-elle une libération pour les trans ? Pourquoi est-elle plus encline à "déconstruire le genre" qu’à parler de la réalité de la vie des trans et de leurs besoins (sida, précarité, discriminations, violences, accès au monde du travail etc.)...Le chercheur parle-t-il de lui ou des autres... Et a-t-il le droit de parler à la place des autres en disant "je suis un peu trans quelque part" ?

20h Repas

Dimanche 24 février

10h « Faut-il noyer le sexe dans l’eau du genre ? » Alain Naze

Si la catégorie du genre, en tant que construite, présente un intérêt théorique et pratique, qui évite notamment de tomber dans une forme de naturalisation du sexe, n’y a-t-il pas un risque, qui consisterait à maintenir l’idée que le sexe, lui, est antérieur à toute construction ? Et alors, on assisterait à un retour de l’essentialisme du sexe (reconduit à une question d’anatomie et de biologie). Si, à l’inverse, le genre essaie d’absorber la catégorie du sexe, ne risque-t-on pas de minimiser, de fait, une indéniable dissymétrie des sexes ?

Sans réintroduire la catégorie du sexe à titre d’essence, on doit en effet au moins remarquer que des individus sont identifiés, socialement, comme femmes, d’autres comme hommes – et cette distinction est bien sexuelle, qui sépare les « dits » hommes et les « dites » femmes. En effet, si une pensée du social en termes de genres permet d’affiner les analyses, en croisant les critères, notamment en considérant que la figure de l’homme blanc, hétérosexuel, riche constitue le modèle du genre dominant, classé du côté du masculin (il suffit d’envisager les pratiques récurrentes de féminisation de l’ennemi, pour saisir la valorisation sociale du masculin), alors que le modèle du dominé est féminin, à travers la figure de la femme non blanche, pauvre, non occidentale, en revanche, cette grille de lecture risque de nous faire passer à côté de certaines spécificités propres aux rapports entre les sexes. Autrement dit, il s’agirait d’essayer de penser les rapports entre genre et sexe, en profitant des apports du premier, sans pour autant se priver de la catégorie du sexe, qui est peut-être, précisément, celle qu’il faudrait travailler à présent (la déconstruire sans la supprimer), en vue d’en révéler les puissances déterritorialisantes, de déplacement, contre toute attente.

12h Repas

Tarifs : 110 euros avec hébergement et repas, apéros, petits-déjeuners compris.

80 euros pour les samedi, dimanche sans hébergement avec repas, apéros compris.

(possibilité de paiement fractionné)

Renseignement(s) et inscription auprès de Philippe Roy :

voyonsoulaphilomene@gmail.com ou 06 51 38 43 45

Page de l’association sur le site de « Ici et ailleurs » :

http://ici-et-ailleurs.org/spip.php?rubrique31