Recension du livre d’Alain BROSSAT : Le plébéien enragé

, par Tony Ferri


Alain BROSSAT : Le plébéien enragé. Une contre-histoire de la modernité de Rousseau à Losey, Éditions Le passager clandestin, 2013.

Ce qui est d’emblée frappant à la lecture de ce livre, c’est qu’il est d’une densité rare, en ce qu’il mêle originalement littérature, cinématographie, philosophie et politique. Pour donner une idée de l’emboîtement de ces domaines disciplinaires, de leurs échos, de leurs circularités, de leurs compositions correspondantes, on pourrait dire que l’analyse y est conceptuelle et philosophique, que le matériau y est littéraire et cinématographique, et que l’enjeu y est politique. En effet, ceci se manifeste ici à plusieurs niveaux : d’une part, si les protagonistes des récits choisis par l’auteur ont fondamentalement rapport au politique, ce n’est pas parce qu’il s’agirait de nier leur lien avec l’aspect esthétique de l’œuvre de laquelle ils sont indissociables, c’est bien plutôt parce qu’ils acquièrent, tout au long de la réflexion, un statut particulier progressivement mis en lumière à l’aune des postures politiques singulières qu’ils adoptent ou s’inventent. Et il y a lieu de voir que ces postures, positives ou négatives, se présentent concrètement tantôt sous la forme d’une quête d’émancipation, tantôt sous l’aspect du calcul et de la ruse, tantôt encore sous la manifestation d’un aveuglement vindicatif, tantôt enfin sous les apparences de la fuite, du retrait ou de la veulerie. C’est donc sous une forme pour ainsi dire diffractée, éclatée, fracturée, que ces attitudes se matérialisent et s’enchaînent au cours de l’analyse. D’autre part, sur le plan philosophique, A. Brossat nous donne à voir comment, à partir de l’étude de ces récits riches et foisonnants, peuvent être cernés, là encore par-delà leur particularité esthétique indéniable rappelée par l’auteur, des personnages-concepts, un topos de la figure centrale de l’ouvrage, à savoir le plébéien. En d’autres termes, il y a lieu, pour l’auteur, d’élaborer philosophiquement un concept qui soit suffisamment opératoire pour délimiter les contours d’un théâtre, précisément celui de l’espace démocratique moderne, où le plébéien trouve encore, plus que jamais, à évoluer.
Où l’on voit que la portée aiguë, obsédante et stimulante de ce livre concerne la question de l’égalité dans les sociétés modernes. Insistons- y : cette question, qui interroge, en filigrane, les événements, les soubresauts, les insurrections, les revers qui ont accompagné le devenir des sociétés modernes occidentales, se donne comme le leitmotiv lancinant de l’analyse. Le fil conducteur philosophique du livre porte sur la promesse de l’instauration de l’égalité, telle que les idées neuves de la Révolution française l’avaient mise en exergue. Y a-t-il eu, au bout du compte, dépassement du clivage des origines sociales et des conditions d’existence ? Y a-t-il eu réellement l’établissement de l’égalité ? Les règles du jeu social ont-elles été objectivement changées, refondues, aplanies ?, nous invite à nous demander, de manière insidieusement permanente, l’auteur. Ce type de questionnement est d’autant plus pressant qu’A. Brossat montre bien à quel point on assiste au quotidien à l’inobservation des règles que les démocraties occidentales se sont elles-mêmes pourtant prescrites :

« Pour autant que la démocratie serait le régime de la politique qui correspond à la condition de modernité, alors il conviendrait de dire : la démocratie moderne n’est pas le régime de l’égalité instituée, elle est le régime de la politique sous lequel sont constamment susceptibles de surgir des situations ayant l’égalité pour enjeu, dans lesquelles l’égalité se présente comme une ’évidence’, mais une évidence constamment fuyante, démentie et bafouée ; moins comme une norme que comme un désir sans cesse renaissant, car alimenté par le manque ; comme l’objet d’un litige ou plutôt d’un différend inépuisable entre ceux d’en haut et ceux d’en bas ; comme l’ininstituable d’un côté, l’inoubliable (à quoi l’on ne saurait renoncer) de l’autre. La question de l’égalité va donc, désormais, être établie dans un champ d’indétermination, tout en constituant un horizon indépassable » (p. 133).

Disons-le d’ores et déjà : ce livre est d’une charge symbolique sombre, ombrageuse, ténébreuse, sinistre, dans la mesure où il se présente comme l’histoire de l’échec de cette promesse de l’établissement d’un monde nouveau ou meilleur, comme l’histoire de la défaite d’un idéal : celui de l’égalité au sens démocratique. La tonalité y est donc puissamment noire, nocturne, lunaire et pessimiste, et tranche avec l’autre livre d’A. Brossat, qui peut, et même doit être lu en miroir, à savoir Le serviteur et son maître. Essai sur le sentiment plébéien (Paris, Léo Scheer/Lignes, 2003), où les personnages de Jacques dans Jacques le fataliste de Diderot ou de Figaro dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais offraient des visages plus rieurs, joyeux, allègres. Ce pessimisme procède du fait que le projet de l’accomplissement de l’égalité se révèle ici être finalement un fiasco, et du fait que, selon nous, après la lecture du livre, le lecteur ne peut manquer de se poser, à de nouveaux frais, l’une des grandes questions kantiennes : dès lors, que nous est-il, ici et maintenant, permis d’espérer ?

De sorte que ce livre est un succès d’agitation et de bouillonnement. Non pas seulement en ce qu’il agite une question de fond sur la pertinence de la confiance dans les promesses et les institutions démocratiques, mais aussi en ce qu’il parvient à tourmenter gravement le lecteur, selon un procédé rhétorique ascensionnel fin : le mauvais goût dans la bouche va effectivement crescendo tout au fil de la lecture, avant de retomber, vers la fin du livre - après la tempête tumultueuse annoncée au lendemain de la Révolution française et le champ de ruines laissé par le retour lancinant de ce que l’auteur nomme « la guerre des espèces » (nous y reviendrons) -, sur une destruction des repères habituels et un aplatissement, voire une annihilation de l’espérance. Cependant, si la force de cet « accablement » retombe petit à petit, à mesure qu’on s’approche de l’épilogue du livre, et si une telle accalmie semble pouvoir soulager en conséquence le lecteur pris irrésistiblement dans la spirale infernale de l’agitation et du questionnement, il n’en demeure pas moins qu’une question reste, selon nous, en suspens, ou plutôt ouverte, du point de vue de la praxis, et qu’il y a lieu alors de se demander, au total, ceci : dans ces conditions, que pouvons-nous faire, plutôt que rien ?

Observons, en dernière analyse, que si cette sorte d’étouffement exercé sur le lecteur fonctionne si bien, c’est parce que ce livre se vit littéralement d’un bout à l’autre, parce qu’il ne manque pas de refléter les crises et les cataclysmes qui ont émaillés le déploiement de notre modernité (guerres napoléoniennes, révolution industrielle, civilisation technicienne, productivisme, Première Guerre mondiale, Révolution d’octobre, etc.) et parce qu’il témoigne parfaitement de réelles qualités littéraires : ce livre, écrit par un philosophe, est très agréablement écrit, percutant, dont la forme est au service du fond (et vice-versa) – cette aptitude à la « belle plume » ne paraissant pas appartenir à tous les philosophes.

Afin de relater l’histoire de cette chute de l’idéal démocratique, A. Brossat convoque principalement cinq personnages-plébéiens clés (et quelques autres), triés sur le volet au sein de la littérature contemporaine et du cinéma, et se propose d’en brosser distinctement les portraits, d’en déceler les complexes nuances, de caractériser leur rapport au monde à la lueur précisément de ce désir d’idéal : Jean-Jacques de Les Confessions de Rousseau, Julien de Le Rouge et le Noir de Stendhal, Heathcliff de Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, Mellors de L’Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence, et Barrett dans le film The Servant de Joseph Losey.

Pour ce faire, d’emblée, A. Brossat campe le décor, et place son analyse sous le signe de ce qu’il nomme « la guerre des espèces », et ce dans le sillage d’un legs. En effet, cette guerre, dont le cœur de fonctionnement est d’inspiration antique, manifeste une frontière infranchissable, un gouffre abyssal entre deux mondes, celui des patriciens (l’autre nom des maîtres ou des dominants) et celui des plébéiens (l’autre nom des dominés et des serviteurs), et se trouve transposée, réactualisée, à titre opératoire, comme interrogation philosophique et grille de lecture possible, dans le monde moderne, « dans les espaces discursifs de la modernité, sur un mode évidemment stylisé et infiniment différencié » (p. 14), et ce afin d’en débusquer ses occurrences, ses prolongements, ses héritages, ses bégaiements, ses répétitions ou ses recompositions. Originairement, la guerre des espèces se définit comme « l’opposition perpétuelle, immémoriale, entre des catégories, des entités que tout sépare, substantiellement, absolument, à tous points de vue : origine, destin historique, droits, etc. » (p. 12).
Une fois cette lutte transposée, réactualisée dans la société moderne dite égalitaire, avec toutes les précautions d’usage et selon des modalités méthodologiques respectueuses des différentes époques, A. Brossat s’attache à circonscrire les éléments de ce qu’il nomme l’immémorial, défini par lui comme ce qui peut aussi s’appeler « l’insurmontable », le « destinal » (p.163), comme l’ « hétérogénéité à toute notion d’évolution », comme « la tyrannie du même, de l’immuable » (p. 165) :

« Qu’est-ce qui est en jeu, dans cette dispute infinie entre patriciens et plébéiens ? C’est, comme toujours, l’égalité, le litige autour de l’égalité. La rancune tenace du plébéien, évoquée plus haut, tient au ’souvenir’ plus ou moins flou, mais indéracinable, de cet élément primitif : la base de la séparation entre les uns et les autres est le déni par les patriciens de toute condition d’égalité avec les plébéiens. Et inversement, la méfiance indéfectible du patricien à l’égard du plébéien est fondée sur cette expérience : celui-ci n’en finit jamais de revendiquer l’égalité, de se prendre, envers et contre toute évidence enracinée dans l’ordre des choses, pour un égal. C’est ce litige qui fait que, dans toute rencontre entre représentants des deux espèces, se manifeste comme la trace des batailles d’antan » (p. 162).

La guerre des espèces évoque la séparation de groupes selon leurs critères d’appartenance. Elle s’organise autour d’une règle si inflexible, si évidente, que les acteurs eux-mêmes ont du mal à s’en affranchir, à en définir l’origine exacte. L’immémorial fonctionne comme un inconscient ou un préjugé collectif, comme une loi archaïque, et comme un motif qui s’impose d’autant plus tyranniquement que son fondement est éloigné, dilué dans le temps, imperceptible.

C’est donc sur fond des logiques durables, bien qu’hétérogènes, de la domination et des règles sociales immémoriales que se lit l’ouvrage – l’immémorial étant, on l’aura compris, un concept central de l’œuvre (générale) d’A. Brossat. Dès lors, la convocation de la première figure plébéienne, Jean-Jacques, n’est pas usurpée. Car l’attitude de Jean-Jacques est tout entière axée sur un registre incongru, « enracinant la différence au cœur du semblable » (p. 43) :

« Ce que va organiser et cultiver Jean-Jacques, lui, précise A. Brossat, c’est la discordance, la désinscription, la disconvenance entre la condition sociale et les dispositions subjectives : toutes les sortes d’irrégularité(s) ou d’incongruité(s) qui vont tendre à le déclasser, à le rendre inclassable et, du coup, ingouvernable […] La disposition subjective récuse ici violemment, rigoureusement, la condition sociale. Ce qui, dès ces premiers moments, caractérise Jean-Jacques comme un plébéien en devenir, c’est son aptitude à s’amarrer à ce porte-à-faux, à ce disjointement entre condition sociale et condition subjective ; son acharnement à le problématiser comme ce qui doit faire l’objet même d’une constante élaboration déployée dans le sens de l’émancipation » (p. 34-35).

Dans le personnage de Jean-Jacques, le plébéien se présente alors comme redresseur (des inégalités, des disparités sociales), comme provocateur et même justicier. L’auteur expose le motif d’une telle conduite :

« Il s’agit, tout au contraire, en se désassignant, en se descellant, en se déliant, de faire apparaître un espace irréductible aux conditions du social : celui-là même dans lequel le plébéien (personnage de la vie politique, inventeur de politique et non pas espèce sociale) se fait l’agent de toutes sortes de contrariétés (des logiques sociales) en parlant, en agissant de façon déplacée : en faisant la démonstration qu’il n’est pas à sa place dans le rôle de laquais, en se montrant l’égal, pour le moins, en savoir et discernement de tant d’autres qui le précèdent dans le rang social, en incarnant l’intempestive intelligence du quelconque » (p. 30).

« L’intempestive intelligence du quelconque »... Où l’on voit que cette figure s’inscrit dans le champ de l’Ancien Régime finissant et dans le contexte de la lutte contre le renversement des anciennes valeurs. L’auteur le note :

« Aux origines de la figure politique qui s’invente dans Les Confessions s’identifie pourtant le plus commun des soucis, une véritable obsession qui traverse toute la société d’Ancien Régime, n’épargnant pas davantage le prince de sang que le plus humble des domestiques : l’obsession de la position de chacun [souligné dans le texte] (…) » (p. 33). Le fond historique, le contexte culturel d’où jaillit Jean-Jacques est, dès lors, cette « société obsédée par les questions de place, de préséance, d’étiquette, de condition, de ’droits’ (au sens fondamental de privilèges) et d’obligations ou de servitudes » (p. 33).
Le lien entre la question de l’égalité et le plébéien est, dès lors, visible à travers le rôle que celui-ci est appelé à jouer dans l’économie des pouvoirs en place, dans le cadre des nouveaux idéaux réaffirmés. Son attitude va consister dans une exigence d’émancipation à l’égard de sa condition subalterne, dans une volonté d’arrachement à son origine, dans l’exercice de son autonomie, et ce selon des manières, certes, différentes, mais toujours à partir d’une base affective relativement explosive. L’objectif qu’il poursuit d’émancipation et de lutte contre toutes les formes de mainmise trouve à s’intégrer dans le processus d’égalisation des conditions - processus érigé en principe suprême par la modernité.

Il est patent, dans le livre, que les affects spécifiques, c’est-à-dire afférents à la guerre des espèces, sont appelés à revenir, à se mobiliser à nouveau, à se renouveler, et déterminent des conduites de rivalité et d’opposition. Les époques changent, mais un résidu subsiste, celui de la guerre des espèces, celui du télescopage des figures ancestrales du dominant et du dominé, figures qui tantôt se revigorent, tantôt se renversent et se diluent l’une dans l’autre, et dont il arrive que leur luminosité chancelle sous le poids de leur envers obscur et désastreux.

Cette guerre des espèces joue, dans le livre, une sorte de rôle spectral, puisque, lors même que la destinée de nos sociétés démocratiques se croyait désormais à l’abri du risque d’endurer le déploiement insistant de la relation humaine sur un mode guerrier (la fameuse pacification des mœurs de N. Elias), lors même qu’elle croyait avoir à jamais enterré toute espèce de luttes spécifiques autour de la prééminence des places et de la question de l’égalité, il appert qu’elle porte foncièrement la marque de la réminiscence tenace et de la reconduction indéfinie des dichotomies sociales et que l’accession à l’égalité, tant vantée et promise, ne se donne plus que comme un vœu pieux et une illusion rétrospective.

L’espoir d’accession à l’égalité et de transformation du monde tourne, dans le livre, en véritable palinodie. S’agissant du processus de déconfiture de la modernité, le plébéien, n’en apparaît pas seulement comme une victime, mais également comme un auteur ou un co-auteur, de sorte que la responsabilité de l’échec de l’égalité n’incombe pas seulement au patricien : loin d’avoir su ou pu proposer un autre modèle, le plébéien, surtout quand il enrage, c’est-à-dire quand il veut renverser l’ordre des choses (« cosmique », écrit l’auteur, p. 115), inverser la tendance et prendre la place des maîtres, il incarne plus que jamais le fauteur de troubles et l’élément perturbateur de la donne sociale traditionnelle :

« Désormais, il ne sera plus possible d’assigner à chacun sa place, à tout jamais, selon son origine et sa condition. Dorénavant, prévaudra une forme de ’flottement’ ; seront à l’œuvre des mécanismes de dés-assignation, des processus de déliaison qui introduiront la dimension de l’aléatoire dans le jeu social, une tension entre origine et condition ou possibilités de réalisation sociale » (p. 132).

Le plébéien symbolise même, et bien plus encore, à l’occasion de sa révolte quand elle prend une forme paroxystique, le motif par lequel il reconduit l’existant, prolonge le chaos et n’invente, dans sa sauvagerie même, proprement rien qu’un théâtre de désolation, qu’un désert d’amour et d’hospitalité :

« La guerre des espèces est ici à nu – elle est incarnée physiquement par la vitalité physique du plébéien opposée à l’anémie du patricien – mais elle ne prélude à aucune émancipation, elle ne suscite aucune figure proprement politique, elle demeure sur un plan que l’on pourrait dire ’zoologique’ » (p. 139).

En d’autres termes, dans sa variante extrême et aveugle, cette guerre des espèces, surtout quand elle bascule du côté du plébéien excessivement enragé, apparaît n’être articulée à aucun projet politique. On entre dans le cadre de la désolante dévastation pour la dévastation. On est loin de ces étincelles d’espoir et de gaieté de Le Serviteur et son maître...

Ce que donne à voir là l’auteur, en tissant un fil rouge qui relie l’ensemble des figures plébéiennes, sous des traits psychologiques protéiformes, c’est l’aporie fondamentale de notre modernité. Le point de départ de cette aporie se signale par la prise de conscience que l’ordre des choses n’est naturel que dans la mesure où il est institué. Autrement dit, l’aporie commence à partir du moment où l’existence de l’ordre naturel est remise en doute par le sentiment qu’il ne repose sur rien qu’un modèle intéressé et des règles interchangeables avec d’autres : à ce titre, cet agencement désormais perçu comme conventionnel s’ouvre sur un puissant désir de changement, une soif de remise à plat, une promesse de renouveau. Il appelle un nouveau modèle. L’avantage avec l’ancien modèle est que, tant que l’ordre immuable des choses se perpétuait, il reconduisait, certes, l’injustice, mais permettait d’assurer, dans le même temps, une certaine stabilité. En revanche, l’on comprendra que, dès qu’une brèche s’ouvre dans l’ancien système des valeurs, il s’ensuit qu’un désir de justice s’annonce comme possible et légitime, qu’un appétit de changement et d’égalité n’a pas de raison de se tarir. L’avantage avec cette prise de conscience est que, quoiqu’un certain désordre puisse résulter de cette soif de changement, l’ordre établi peut être dénoncé comme inique, le monde peut être refondu plus justement, selon d’autres règles, l’idée de progrès peut s’élaborer. Une réflexion autour de la notion de loi injuste est possible. Mais l’on voit immédiatement ce qu’un tel projet de refondation a de fragile et combien il souffre, en fait, de l’absence d’une assise suffisante : car, dès lors que les règles du jeu ne font plus autorité par elle-mêmes, chaque partie en présence, chaque posture peut accéder, en droit, à une forme de légitimité, de sorte qu’aucun sens ultime ne peut être affirmé et qu’aucune place ne peut plus être définitivement assignée. Autrement dit, bien que la disparition des figures patriciennes traditionnelles de l’autorité augure la possibilité du changement, l’éventualité de la dénonciation de l’arbitraire et le projet d’une libération, il n’en demeure pas moins qu’elle ne peut manquer de déboucher sur les forces tendancieuses du nihilisme : en effet, chaque point de vue peut désormais prétendre être à la source de l’évaluation, et déchaîner sa force de vengeance contre l’état antérieur d’assujettissement. L’aporie peut donc se résumer ainsi : comment permettre, dans notre seconde modernité, l’établissement d’un ordre qui soit à la fois juste et pérenne – justice et pérennité étant brusquement frappées du sceau de l’antinomie ? Comment fonder un monde commun, tout en échappant à la propagation croissante du nihilisme ? Comment tisser des liens d’appartenance au sein de mondes singulièrement hétérogènes ? :

« Une grande différence se constate ici, observe l’auteur, entre cohabiter en un même espace et instituer de l’en-commun, établir cet espace comme le lieu d’un partage, ’faire société’ ensemble – il ne suffit pas d’être ensemble, sur un même territoire, pour appartenir au même monde... » (p. 13).

Dans un tel schéma, la guerre des espèces semble promise à devoir renaître incessamment, indéfiniment – ce qui semble se dégager nettement de l’ouvrage, d’où son pessimisme déjà relevé.

La deuxième figure plébéienne du livre est celle de Julien Sorel, et se subsume sous le vocable de la révolte, tandis que le personnage de Jean-Jacques l’était sous celui de l’indignation, ce qui tend à caractériser déjà la hausse d’un cran de l’exacerbation plébéienne. Julien apparaît comme plébéien par le fait qu’il ait soif d’en découdre, par le fait qu’il veuille parvenir à se hisser au rang des dominants qu’il méprise pourtant viscéralement. Il semble tout entier comprimé dans une « sensibilité d’écorché vif », comme le souligne l’auteur (p. 82). Sur fond de l’idéal démocratique, le profil de Julien est décrit par A. Brossat de la manière suivante :

« Julien a attrapé le virus de l’égalité : il ne croit plus aux ordres et aux états, au ’chacun à sa place’ (ce que Rancière nomme la ’police’ – la répartition des places imparties à chacun sur l’échiquier social) de l’Ancien Régime ; il est un individu qui pense aux conditions de la nouvelle règle : je vous vaux bien ! Et même, selon mes mérites propres, je vous montrerai que je vous surpasse, vous qui n’êtes que des héritiers et des enrichis. Simplement, ce nouveau système d’évidences, cette nouvelle ’règle’, ils sont dans la tête de Julien et d’un certain nombre de ses semblables – ils ne sont pas devenus la règle de la composition de l’ordre social : les places sont occupées, aujourd’hui comme hier, non pas spécialement par ceux que leur mérite distingue, mais par ceux qui détiennent les titres et les fortunes. Il y a ce déchirement entre l’inertie de la réalité du présent et ce qui s’est annoncé (avec la Révolution) comme promesse d’un réel autre, tout autre » (p. 82).

Qu’exprime un tel déchirement ? Il tend à réaffirmer le durcissement des conditions de l’inégalité. En effet, tandis qu’une certaine vulgate philosophique et politique se complaît à ressasser aujourd’hui que l’élément caractéristique de notre modernité est l’avènement de l’égalité des individus en tant qu’hommes (là où l’Antiquité grecque, par exemple, n’accordait l’égalité de ses membres qu’en tant que citoyens), la force de la démonstration d’A. Brossat est d’attirer l’attention sur l’autre face de cette réalité complexe, faisant puissamment écho non seulement à l’histoire collective de nos sociétés modernes, mais aussi à notre âpre actualité. La conclusion que l’auteur tire de son analyse des dispositions de « parvenu » de Julien et de son conflit avec l’univers des nantis est à même de nous renseigner sur l’échec de l’humanisme des droits de l’homme et sur le succès de son envers, à savoir le favoritisme, le népotisme, le racisme, le sexisme, l’intolérance. Citons ces lignes très significatives de l’état de décrépitude de notre modernité :

« Le fond de l’affaire est bien l’absence, pour les protagonistes de cette relation, d’une quelconque évidence de l’appartenance à une commune humanité. Contrairement à ce que proclame l’humanisme moyen, idéologie moyenne de la modernité moyenne, rien n’est au fond plus étranger à toute humanité (et, tout particulièrement, à toute humanité moderne) que le sentiment spontané de l’appartenance à une ’seule’ et ’même’ humanité, une humanité peuplée, donc, de ’mêmes’ et unie par des liens solidaires. Ce qui est au contraire premier, c’est le sentiment de l’inquiétante étrangeté de l’’autre’ comme étranger, différent, ennemi (hostis). La puissance et politique et philosophique du roman de Stendhal est de nous rappeler que le franchissement du seuil de modernité est tout sauf équivalent à une abolition de cette condition, de le montrer en présentant, à titre exemplaire, la relation du plébéien au patricien » (p. 103).

On ne saurait mieux présenter à quel point l’évolution de notre société moderne s’inscrit à contre-courant des principes qu’elle avait pourtant édictés et hissés au rang de valeurs suprêmes, de droits inaliénables. Loin d’avoir permis la réalisation d’un tel projet, notre présent social tend à se caractériser par la perte de l’humain et le redéploiement incessant des formes de l’exclusion.

L’apothéose du désastre survient avec la troisième figure plébéienne incarnée par l’inquiétant Heathcliff du roman d’Emily Brontë. En replaçant parfaitement le lecteur dans le cadre des événements de ce livre, A. Brossat nous livre, sur la base des traits de ce personnage de Heathcliff infiniment maltraité, humilié, réduit précisément à l’état de paria et de déchet, d’étranger indésirable, et dont le retour et l’accumulation du ressentiment se font toujours plus menaçants, une description de notre modernité entachée d’un indice incommensurable d’infamie :

« On voit apparaître ici un topos qui traverse toute la littérature moderne, depuis le XVIIIe siècle au moins : le Bohémien, paroxysme de l’inquiétante étrangeté de l’étranger – sale, déguenillé, parlant une langue barbare, moins qu’une langue, un baragouin incompréhensible. Mme Earnshaw incarne ici l’attitude traditionnelle face à cette forme insupportable de l’étrangeté : le rejet, le mépris, le préjugé racial... » (p. 120).

Réduit à l’état sauvage de sauvageon, incarnant le tout autre, par cela même qu’il n’a ni État civil, ni lignage, ni patrie, n’ayant proprement pas de nom ou juste celui d’un mort, Heathcliff va, dès lors, nous rappelle A. Brossat, devenir ce sauvage tant attendu et soigneusement fabriqué, car de l’empilement de ses mortifications va résulter l’implacable escalade de sa violence :

« Son côté ’sauvage’ est en quelque sorte à la fois enregistré et programmé, pour la suite, par cette singularité... On pourrait énoncer cela plus vivement encore : quels sont les êtres vivants qui, dans l’espace familial, portent un nom simple leur servant à la fois de prénom et de patronyme ? Les animaux domestiques, naturellement. Et ce ne sont pas les occasions qui vont manquer, où Heathcliff sera rudoyé à l’égal d’un animal et, en retour, se conduira avec une sauvagerie toute bestiale » (p. 121-122).
D’où la conclusion du philosophe : « Si l’on veut faire un apologue sur l’histoire de ce livre qui ne se compare à rien, on y détectera aisément une double prophétie : celle de l’avènement d’un âge des désastres sans compensation, celle de l’apparition d’une figure nouvelle de la fureur et de la révolte : le plébéien enragé, pyromane historique, cavalier de l’apocalypse moderne » (p. 120).
L’idée est donc, croyons-nous, celle-ci : à force de s’acharner à bestialiser des catégories entières de l’humain, il en résulte qu’il y a lieu de s’attendre à subir la revanche justement animale de ces rejetons de l’humain... Et ce n’est pas un hasard si la personnalité de Heathcliff se révèle précisément sous les traits distinctifs du démoniaque, du réprouvé et du dangereux. Le fond de cette réserve de violence, dont fait preuve Heathcliff, paraît résider dans la disparition des repères structurants de la société :

« On le sait, l’irruption et la captation du pouvoir par le fascisme est indissociable du devenir anomique de la société, de la destruction de ses principes structurants, du délitement des grandes formes symboliques ; ainsi, le peuple se transforme en poussière d’humanité, la communauté peut être reconditionnée comme machine de guerre, machine de mort » (p. 145).
Et un peu plus loin : « Mais dans le roman d’Emily Brontë, tout se passe comme si, la société traditionnelle ayant perdu ses assises et ses repères, on entrait irrévocablement dans un temps de commotions violentes annonciatrices d’une fin apocalyptique. Ce n’est pas une ’révolution’ qui s’annonce avec le retour de Heathcliff et l’assaut qu’il livre contre les deux domaines – c’est une dévastation, la fin d’un monde » (p. 146).

Mais on peut se demander aussi, selon une autre variante apocalyptique, si, à vouloir faire inconditionnellement de l’Homme en tant qu’Homme, avec un grand H, la figure magistrale, quoique abstraite, de l’idéal du vivre-ensemble, cela n’est pas susceptible, plus que jamais, de virer au cauchemar et de finir en une épouvantable faillite et une destruction massive de l’humain, impliquant, comme dans le roman d’Emily Brontë, la dilution des repères temporels habituels (passé, présent et futur) et l’abolition de la frontière entre le monde des vivants et celui des morts...

Avec la quatrième figure plébéienne proposée par l’auteur, à travers le personnage de Mellors, le garde-chasse de la forêt de Sherwood dans le roman L’Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence, on passe des scènes de chaos, évoquées précédemment, à une structure guerrière des espèces beaucoup plus flexible, on a affaire à un désir de retour à la nature comme théâtre où se joue la vie, le renouvellement, la renaissance. Certes, la guerre, moins sanglante, continue de faire rage, mais sur un mode beaucoup plus souple, fluide, relatif, interchangeable. Si, dans le roman d’Emily Brontë, le plébéien tirait progressivement du côté du patricien, non pas dans dans sa rage de se venger et d’anéantir l’ordre des choses, mais dans sa manière de vouloir imposer sa domination (vengeresse), dans le roman de D. H. Lawrence il semble que ce soit le patricien qui ait quelque accent plébéien, ainsi de Clifford Chatterley, qui se présente comme atypique et rebelle à son milieu, comme le note A. Brossat (p. 163), et ainsi, plus encore, de son épouse Constance, qui va être irrésistiblement happée par la magie de la forêt comme lieu de l’épanouissement du plébéien, comme la « maison » plébéienne par excellence. En conséquence, malgré le prolongement de l’opposition des deux espèces, on dirait qu’on assiste là, à une circulation, à un passage, à une fluidité décomplexée, à des zones de flottement, à une forme de communication ou d’interconnexion possible entre les deux figures ancestrales pourtant radicalement en butte l’une contre l’autre, par cela même qu’il se peut, par exemple, que le patricien haïsse son milieu d’appartenance, tout en continuant d’en tirer les bénéfices, et que le plébéien, instruit, éduqué, se dés-assigne de son lieu d’origine :

« Nous voici dans un monde tout à fait disjoint, les individus ne coïncident plus avec les stéréotypes qui définissent leur groupe d’appartenance, ils s’écartent des moyennes, ils divergent, ils se détachent, ils s’opposent même - et pourtant ils demeurent dans leur rôle, et pourtant la répartition des places se maintient, et pourtant la structure sociale persiste, la guerre des espèces continue de plus belle » (p. 163).

En tant que plébéien, Mellors représente « le sauvage, l’indompté, le primitif » (p. 175). Habitant dans une cabane au milieu d’une clairière, il caractérise la dimension de l’hétérotopie. Il est exactement aux antipodes de Clifford, ce patricien décrit comme veule, reclus, rabougri, estropié, impotent et spectral.
Quoique se manifestant encore sur un mode contrasté, le caractère plébéien de Mellors apparaît moins possédé, tourmenté et antipathique que celui de Heathcliff. L’antipathie de Heathcliff est toute proportionnelle aux duretés et aux humiliations qu’il a subies – ce qui n’est pas sans énoncer l’idée que l’antipathique, l’insolent, le violent sont des êtres patiemment fabriqués par les structures sociales desquelles ils sont diaboliquement rejetés. Le charme relatif de Mellors tient au fait qu’avec lui : « Tout s’associe : il est la vie en tant qu’il est le sauvage, celui du dehors, le caché, l’homme du secret... » (p. 184). Il symbolise la vie en tant qu’elle est orientée vers son maintien et sa reconduction, tandis que Heathcliff est le représentant de la vie en tant qu’elle est promise à s’éteindre. Mellors se réfugie dans la forêt, parce qu’il ne croit plus à l’égalité, parce qu’il n’a plus confiance dans ses semblables. Il préfère la compagnie des arbres et des animaux (notamment des faisans), plutôt que celle des hommes qui l’ont déçu.
Sur le plan de la symbolique, il apparaît que le monde des vivants est alors ce monde où la vie s’éclate littéralement, se répand au dehors et se meurt au dedans. La force de Mellors se caractérise par sa propension plébéienne à bousculer les normes, à les infléchir ou à les recomposer aux conditions de la vie. Tout en faisant référence à l’idée d’égalité qui jalonne le livre d’A. Brossat, ce qui semble donc poindre de son commentaire du roman de D. H. Lawrence, c’est que la notion même de hiérarchie (le tout autre de celle de l’égalité) est facteur d’avachissement, d’ennui, de veulerie et de mort. Il y a là un renversement des normes et des codes traditionnels, puisque le lieu caché comme espace de la reproduction et de l’enfantement n’est plus signifié par la maison, l’intérieur d’un « chez soi », mais par le dehors, le retour à un état de vie brut, l’exposition. Le paradoxe est que, alors que la forêt n’est pas un lieu si véritablement caché, et qu’elle n’offre pas un abri sûr au sens de la sécurité, elle paraît devenir là, pour le moins, le territoire de l’épanouissement de la vie, la promesse de sa perpétuation, et ce malgré les risques et les périls qu’elle fait concrètement courir.

La cinquième et dernière grande figure plébéienne du livre, incarnée par Barrett dans The Servant de Joseph Losey, nous introduit vers une forme de relativisme et d’indifférence vis-à-vis de la lutte qui met habituellement aux prises patriciens et plébéiens. Les affrontements se délitent et se désagrègent en querelles de boutiquiers, ils ne sont plus vraiment indexés sur une cause. L’idée d’un « je vous vaux bien », mille fois défendue par les personnages plébéiens convoqués par A. Brossat, n’est jamais éloignée, au fond, de celle d’un « tout se vaut », voire d’un « rien ne va » :

« Dans The Servant, le maître et le serviteur se font de nouveau face, mais leurs disputes ont tourné à l’aigre. Les tentatives faites par le maître pour restaurer son autorité sont dérisoires et puériles, les réparties du serviteur sont inspirées par le ressentiment, voire la haine. Comme chez Beaumarchais et Diderot, leur relation est devenue incertaine, ouverte, mouvante, mais elle n’est plus placée sous le signe de la bataille pour l’égalité : un homme est un homme et, à ce titre, un homme en vaut bien un autre et un serviteur son maître » (p. 216-217).

Manifestement, Barrett, ce « Heathcliff au petit pied » (p. 217), n’entend pas s’engager pour une cause véritable ou juste, mais semble tout entier absorbé par le désir de privilégier ses petits intérêts personnels. S’il cherche à devenir l’égal de son maître, c’est selon une variante projective, pour le moins, consternante, parce qu’elle se compromet dans les travers qui affectent son maître lui-même, à savoir : le caractère parasitaire, la situation de dépendance. Tout comme Heathcliff, quoique sur un registre moins violent et enflammé, Barrett ne poursuit pas d’objectif clair de rétablissement de quelque chose, il n’inscrit pas ses actions dans un horizon porteur de sens et de valeur, il ne vise pas la droiture ou le redressement. Seule la volonté de saccage paraît l’animer. Ou, à tout le moins, ce qui le met en branle n’est autre qu’une volonté de pâle ressemblance au maître, plutôt qu’une ferme résolution de générer un authentique déplacement ou décentrement des conditions inégalitaires dont la portée serait culturelle ou politique :

« Tout se passe comme si l’horizon de la ’lutte’ de Barrett était non pas la liberté ou l’égalité, mais le renversement du bénéfice de la condition parasitaire » (p. 218).
Au terme de notre trajectoire de lecture, emplie de rebondissements et de circonvolutions, de champs et de contrechamps, Le plébéien enragé donne à voir une version plutôt négative, nihiliste du plébéien, là où, dans Le serviteur et son maître, on avait affaire à une version beaucoup plus positive, allante, prometteuse, constructive. Il apparaît que ce caractère malheureux du plébéien tient ici, proprement, à l’échec de la promesse de la réalisation de l’idéal démocratique. Les désillusions impliquées par la manifestation partout de l’inégalité affectent durablement le plébéien. D’où son attitude teintée de mélancolie, de fièvre, de fuite, de désespoir. Parce qu’on ne peut plus le tromper, parce qu’il ne croit plus à l’égalité, sa conduite paraît se rétracter sur elle-même, n’ouvrir sur aucun projet de construction, et se réduire à des actes, pour le moins, tantôt violents ou fuyants, tantôt suicidaires ou mimétiques. Da sa pleine conscience de la situation de délabrement démocratique, la subissant dans sa chair aiguisée et son être à fleur de peau, le plébéien enrage d’être trahi (il est un concentré de pathos), et sa conduite d’abandon reflète l’érosion, et même la déliquescence, des valeurs démocratiques, elle en est exactement à leur mesure. Les histoires des singularités plébéiennes que livre l’auteur dans Le plébéien enragé se présentent comme l’histoire d’une faillite collective, comme la révélation du pur plongeon de la démocratie (du moins parlementariste) dans son désir, tout théorique et abstrait, de réaliser l’égalité, comme la mise au jour de la pauvreté d’un système qui s’est déguenillé, au point qu’on finit par voir au travers.