Humour à mort.

, par Alain Brossat


Lorsqu’a éclaté il y a quelques semaines l’ « affaire Mitterrand », lancée et entretenue par une coalition hétéroclite de hyènes du Front national et de chacals du PS, j’ai eu le sentiment qu’il y avait là un rideau de fumée ou, si l’on veut, de souvenir écran : en effet, la question de savoir si l’actuel ministre de la culture a, ou non, recouru aux services sexuels de mineurs dans je ne sais quels bas-fonds de Bangkok, de savoir avec quelle assiduité il a pratiqué le tourisme (homo)sexuel dans ces contrées est typiquement le genre de débat d’époque « sociétal », futile et inconsistant dont se gavent nos contemporains. La 4° République avait ses « ballets roses » de M. Le Troquer, Giscard ses chasses avec actrice de cinéma X – rien de nouveau sous le soleil, si ce n’est qu’aujourd’hui le bon chic gouvernemental veut que soient respectés les quotas d’homos dûment déclarés et comeoutés.

Non, si cette « affaire » présentait un quelconque intérêt, celui-ci se devrait d’être détecté en amont de ce remugle : dans le moment même où Sarkozy, toujours à l’affût d’un bon coup, et sans doute sous l’influence de son quarteron de conseillers roués, décida de tirer parti du remaniement ministériel pour nommer à la culture… un Mitterrand. Je détecte là une « plaisanterie », une « plaisanterie » qui, irrésistiblement s’apparente à l’humour fasciste. Le propre de celui-ci est en effet distinct : il s’agit d’ajouter à la victoire l’humiliation publique du vaincu, à l’occasion d’une démonstration ou d’une cérémonie publique donnant aux « rieurs » l’occasion de se rallier aux vainqueurs. Le modèle de cet humour fasciste, c’est l’huile de ricin administrée aux autorités socialistes (ou autres) locales sur la place du village, devant la population rassemblée, par les partisans de Mussolini, lors de la Marche sur Rome et tout au long de la conquête du pouvoir par l’apprenti dictateur. Dans un registre plus noir, funèbre, sadique, l’humour fasciste, c’est l’usage établi par l’administration des Lager nazis de renvoyer aux familles des détenus les cendres de leurs proches morts en camp, par colis postal et à leur frais. L’humour fasciste s’associe toujours à une mise à mort, réelle ou symbolique, de l’ennemi, il est tourné vers la mort, il a un parfum de massacre ou de profanation.

Dans le cas qui nous intéresse ici, il s’agissait donc, en nommant ce Fr… Mitterrand qui est une sorte de double abject de l’autre, avec son air de famille et son parcours de renégat de la gauche, d’enfoncer le clou de la déliquescence du PS et de tout ce qui s’y associe en organisant cette « plaisanterie » en forme de piétinement de la tombe du grand mort qui, plus d’une décennie durant, envoya dans les cordes cette droite qui, dans un pays comme le nôtre, s’estime seule détentrice légitime du pouvoir politique, notamment de l’exécutif. Quant à savoir si cet intriguant, ce courtisan avait l’étoffe d’un ministre de la culture, Sarkozy et sa séquelle s’en souciaient comme d’une guigne ; la seule chose qui leur importait était la bonne blague faite à l’ancêtre qui les avait, un jour de 1981, remis à leur place – une blague en forme de « j’irai cracher sur ta tombe ». Ainsi va la politique aujourd’hui, non seulement de « coup » en « coup », mais, tout autant, de ricanement en ricanement, mobilisant une sorte de rire de ventre subliminal du côté du public habituellement abonné aux Guignols de l’info.

Nous voici donc face à ce fait troublant : le régime de Sarkozy est une démocratie policière, une machine de guerre ultra-libérale contre les pauvres et les travailleurs ; mais il n’est certainement pas un régime fasciste ou même fascisant. Il est, je l’ai dit ailleurs, un bouffon plutôt qu’un chef fasciste. Son programme, son parti sont tout sauf fascistes. Simplement, son humour, ce qui le fait rire et sa façon de (tenter de) faire rire le public en canapé est fasciste. De même que, parfois, son registre fantasmagorique : on se souvient que lorsque l’affaire Clearstream éclata, notre bouffon montra les dents, se promettant de « pendre à un croc de boucher » celui qui avait monté ce coup. La réminiscence est claire : ce sont les conspirateurs contre Hitler du 20 juillet 1944 que Hitler fit pendre à des crocs de boucher par ses SS.

Tout ceci pour dire qu’il peut être utile, parfois, de s’intéresser à des « détails » auxquels se dévoile la dimension de joie maligne (Schadenfreude) qui, dans nos sociétés, s’attache variablement à l’exercice du pouvoir.

Un dernier mot : au temps de la démocratie du public, les gouvernants se doivent de capter directement le désir de l’homme de la foule, à défaut d’espérer (ou même de tenter de) le convaincre, par une argumentation en appelant à sa raison et son intelligence, du bien fondé de leur politique. On identifie là, au rebours même de ce que je viens de dire, une affinité invisible entre ce régime de la démocratie tardive et le fascisme des années 1930 dont le propre fut, précisément, de capter le désir de la masse, de greffer ses propres fantasmagories sur celles de l’homme ordinaire. Simplement, ce processus de captation du désir de la masse par le chef va se produire, dans les régimes actuels, sur un mode allégé et futile ; on ne parlera même pas à ce propos de microfascisme(s), comme le faisaient Deleuze et Guattari, mais de simili-fascisme ou de fascisme à l’état de trace(s) : le désir de l’homme de la rue, un Sarkozy, un Berlusconi ne le capte pas en endossant le rôle du sauveur de la nation, du Chef providentiel, mais tout simplement en mettant dans son lit le genre de nana de magazine que tout un chacun rêve de baiser, une fois au moins dans sa vie. Ca a moins de gueule que les festivités de Nuremberg et les projet architecturaux d’Albert Speer – mais ça marche, en ces temps de manque rétractés qui sont les nôtres…