Du jeûne et de la grève de la faim comme actions politiques.

, par Jean-Pierre Dacheux


Le jeûne est un engagement du corps. C’est une action sur soi, pour soi, ou bien, dans le cas du jeûne politique, c’est une interpellation. Le renoncement volontaire à s’alimenter exerce une pression sur ceux qui
en sont les témoins. C’est pourquoi, il n’est pas de jeûne politique qui soit secret. Tout au contraire, il est public, annoncé.

Le jeûne-action est un jeûne politique différent de la grève de la faim(1). Sa durée dans le temps est fixée. Il ne met pas en péril la santé des jeûneurs si les précautions utiles sont prises. Ce n’en est pas moins une
épreuve physique et psychologique. C’est un temps d’arrêt favorable à l’échange et à la méditation. C’est une action publique qui interpelle la société. C’est vécu comme une désobéissance civile qui manifeste le refus de politiques inciviles. Les participants ont des motivations qui peuvent être spirituelles ou pas. L’esprit même du jeûne exclut tout prosélytisme et tout sectarisme. La non-violence active est au coeur de l’inspiration de
ces jeûneurs. La fin visée est radicale : l’arrêt définitif de ce que l’on pas fin avec la fin du jeûne.

Le jeûne n’altère pas la santé. Il peut même lui être favorable. Le jeûne hydraté n’offre généralement pas de difficultés particulières. Les obstacles rencontrés sont ; le plus souvent, d’ordre psychologique : (crainte de l’affaiblissement, de la souffrance ou de l’accident de santé, perte d’un rythme de vie où les repas sont des repères, présence autour de soi d’incitations à manger). La « dédramatisation » du jeûne fait partie de sa
préparation. La présence d’un médecin est une garantie le plus souvent inutile. Un jeûneur en bonne santé ne risque rien. Un jeûneur malade chronique ou très âgé a besoin d’une autorisation médicale. Interrompre un
jeûne par angoisse ou grande fatigue n’est pas une faute. Les jeûnes brefs font souvent découvrir les apports et bienfaits du jeûne.

La réflexion philosophique sur ce moyen d’agir sur soi et sur la société est très ancienne. Elle se présente, dans les traditions religieuses, comme une purification et une maîtrise de soi. C’est l’inversion de l’addiction qui est une dépendance. C’est un effort libératoire. Il fait partie de coutumes ancestrales et de pratiques confessionnelles (durant les temps de carême ou de ramadan). Ce peut-être aussi, au contraire, une perversion, si c’est une punition qu’on s’inflige, une soumission à une contrainte disciplinaire. C’est, dans l’ordre de la santé publique, une maladie, si c’est un refus de s’alimenter, une anorexie qui, en fait, n’a plus rien à voir avec le jeûne, lequel est un choix.

Le jeûne-citoyen ou jeûne-politique n’est pas en contradiction avec le jeûne personnel, mais c’est un jeûne partagé, dont la motivation n’est pas, d’abord, la construction de soi mais bien la manifestation d’un désaccord, avec appel à rectifier des choix jugés erronés et dangereux. C’est le cas des jeûnes antinucléaires qui se répètent, tous les ans, entre le 6 et le 9 août, en commémoration des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki, mais aussi pour en appeler à l’abandon, par les 9 pays dotés, de leur armement nucléaire. Les jeûnes personnels et partagés de Gandhi et des Indiens qui le soutenaient, indissociables des grèves de la faim car sans limites, ont sans doute été parmi les plus efficients et ont contribué au retrait de l’empire britannique de son immense possession coloniale. Le jeûne sans retour, « à mort » sauf satisfaction, conduisit Bobby Sand à sa fin, face à une Margaret Thatcher implacable et, au contraire, permis à Louis Lecoin de faire reconnaître l’objection de conscience à Charles de Gaulle.

L’engagement du corps dans l’action au moyen du jeûne ou de la grève de la faim est une agression faite non aux personnes mais à la violence elle-même, en ce sens que c’est la manifestation d’un refus total d’une injustice estimée insupportable. Ce n’est pas une absence de violence car le jeûneur, d’une part, se fait violence à lui-même de façon exceptionnelle, pour attirer l’attention et modifier un état de fait mais, d’autre part, risque de déclencher la violence institutionnelle, en contestant les pouvoirs. C’est pourtant une non-violence active, car c’est l’une des voies empruntées, pendant un temps ou en permanence, par ceux qui, de façon pratique et consciente, tels Gandhi, Mandela, Luther King ou d’autres, ont su comment à la violence dire : non.
1 - Cette distinction était abordée avec précision et clarté, dans l’article suivant :
Daniel Besançon, Le jeûne, la grève de la faim, Anarchisme et non-violence, n°13, avril 1968.
http://www.la-presse-anarchiste.net/spip.php?article1043