Romero et les zombies. Autopsie d’un mort-vivant

, par Joachim Dupuis


Romero et les zombies est né d’un étonnement : il n’y a pas qu’une sorte de zombie, mais plusieurs. Le cinéma, avant Romero, dans les années 30/40 propose le N’zumbe, un"vivant" hypnotisé et rendu esclave par une potion donnée par un sorcier, qu’on prend pour un mort. C’est le zombie magique, le zombie lié à la religion. Aujourd’hui, le zombie hante les villes dans des marches macabres, il hante le cinéma d’horreur, et apparaît comme plus terrifiant que les vampires d’autrefois. Ce zombie est marqué par le discours
biologique, c’est un virus, un prion. On en parle avec un discours scientifique, et en même temps la science semble incapable d’en venir à bout.Entre ces deux figures, il y a l’oeuvre de Romero, qui commence avec La nuit des Morts-vivants en 1968. Le problème qui se pose alors c’est de comprendre cette évolution du zombie liée à l’histoire du cinéma, à sa manière de toucher le spectateur : on peut voir que Romero s’ écarte radicalement des normes de l’industrie de masse en offrant une conception du zombie qui n’est ni religieuse, marquée par un genre fantastique, ni biologique, marqué par un discours médical. Le zombie de Romero incarne, lui, autre chose, il exprime toutes les formes de mort-vivantitude (il y a
du vampire en lui, du Frankenstein, du Golem, etc...), ce n’est pas un mort-vivant supplémentaire, mais la somme, l’intégrale de tous les morts-vivants réunis : ce qui veut dire qu’il n’est pas un mort-vivant en particulier, mais une Idée, que Romero appelle "a disaster", une catastrophe.

En ce sens, le zombie de Romero échappe à toute emprise par le cinéma hollywoodien, il est vraiment un objet politique, il incarne le " changement", ce que l’homme ne peut comprendre, intellectualiser. Et empêtré dans des formes de pouvoir qui le dominent, l’homme verra le zombie comme l’expression d’un virus. Foucault décrit d’ailleurs ce point de vue du virus comme celui du pouvoir moderne, le nôtre depuis la fin du XVIIIe siècle (il parle de biopolitique, c’est-à-dire la peur de la contamination (sida, ebola), que Vincent Paris nomme "le risque". Mais Paris ne va pas assez loin : il prend le zombie comme un phénomène de société, avec des instruments de pensée contestables.

Dans une telle perspective,le zombie n’est pour Paris qu’un monstre, qu’il fait entrer dans une catégorie, un genre du cinéma. Mais avec Romero, on n’est sur un tout autre plan.
Le zombie romerien échappe à toute représentation : il sort des cases. Il n’est pas l’expression d’un profil social, d’une attitude sociologique. Aussi les zombies d’aujourd’hui sont moins intéressants que ceux de Romero. Certes "Walking dead", c ’est très impressionnant, mais cette série n’a pas l’éclat révolutionnaire de La nuit des morts-vivants. Il est rare que le cinéma produise une Idée philosophique.Ce qu’a apporté le film de Romero, c’est qu’il y a de l’espoir de "changer"l’homme, car sans la "catastrophe" qu’incarne le zombie, l’homme ne veut pas changer, il reste l’esclave des systèmes qu’il invente, capitalisme, Etat, nationalisme, etc. On n’est loin de la lutte des classes, du retour du refoulé (Thoret), on se situe sur un autre plan avec Romero.

C’est ce que n’ont pas compris les critiques canadiens ni français, et c’est pourquoi j’ai écrit ce livre.