Sucs

, par Marco Candore


Composition pour deux voix multiples et une machine

Musique électroacoustique Alain Engelaere

Voix Aude Antanse & Marco Candore

Installation Francine Garnier

d’après un texte de Marco Candore

Sucs

Une étrangeté. Un laisser-aller de la voirie.
Les hommes en vert font toujours leur travail pourtant, mais – est-ce suite à un arrêté municipal – ils ne le font plus de la même façon, eux-mêmes semblent changés.
Celui qui, dans ma rue, s’occupe des mauvaises herbes, ne me dit plus bonjour.
Je crois à une histoire d’étrennes.

À ce moment-là, dans ma vie, quelque chose me préoccupe
quoi je ne sais pas - j’ai la sensation que
il y a quelque chose d’important dans ma vie
le petit homme en vert dans ma rue je m’en fous complètement
son travail d’exterminateur de mauvaises herbes comme de l’an 40
quelle expression
je m’en fous complètement
l’an 40

C’est sans doute un nouveau programme municipal, un truc écologique.
Les petits hommes verts – tous très grands et certains de ces hommes sont aussi des femmes – et la flore urbaine intempestive
Ils ne désherbent plus : ils cultivent.

J’ai moi aussi un travail, sur la grande esplanade toute lisse, je ne sais pas trop mais j’ai un travail à faire, je me rends là-bas, y reste longtemps, puis je rentre chez moi.

Chez moi il y a des carnets. Plusieurs milliers. Certains sont vierges. Tous les autres sont remplis de dessins, au crayon, au stylo. C’est comme des cheveux, ou des serpents, des buissons. Des pages en sont totalement noires. Mais au toucher on sent chaque fibre, chaque nervure, une, des millions. J’aime toucher mes carnets envahis.

Je ne me souviens pas des moments où je dessine
si c’est moi qui dessine
impossible de trouver de quoi écrire dans cette maison

Il y a trop de lumière, j’ai condamné portes et fenêtres.
Je suppose que c’est à cause de la lumière car sinon pourquoi et je suppose que c’est moi car sinon qui ?

Tellement bien condamné que j’ai creusé une petite galerie qui aboutit au Parc.
Je suppose que c’est moi l’auteur du tunnel car sinon qui et je reconnais mon travail même si je ne m’en souviens pas.

Je n’ai pas le souvenir non plus de ce Parc. Il a sans doute toujours été là.
Pour rentrer chez moi je n’utilise que ce tunnel, je ne sais plus à quoi peut bien ressembler l’extérieur de ma maison.
Si elle a un extérieur. De l’intérieur j’ai l’impression qu’elle est de plus en plus grande, qu’elle pousse.
Chaque jour je découvre de nouvelles pièces mais c’est peut-être à cause de l’oubli

tous les autres n’ont qu’un seul visage

Au Musée du centre-ville tous les portraits sur les tableaux sont identiques
Je crois, je n’y suis jamais allé il n’y a pas de musée dans cette ville personne n’en parle

Personne ne parle plus. Juste une rumeur constante, un bourdonnement très bas.
Une vibration.

J’ai moins de soucis qu’avant je crois.
il y a quelque chose d’important dans ma vie
mais plus maintenant
maintenant c’est la maison et les carnets qui crépitent en moi

j’ai presque perdu la vue et mes perceptions des sons et du toucher ont changé de nature, vague sensation que cela n’a pas toujours été ainsi, je bouge plus lentement, je coule, je me répands

Dans mon antre je ne suis jamais seul, habité de toutes sortes d’occupants qui ont des visages aux bouches toujours fermées.

Quand je sors dans la rue tous les autres sont moi. Tous. Pas seulement les hommes, les femmes. Toute chose.

j’ai du mal à rassembler mes idées

Nous allons tous chaque jour vibrer à l’unisson du Grand Printemps.
Puis chacun retourne, tout comme avant, à ses occupations.
Nous rions, intérieurement.

Puis nous rentrons chez nous, par les milliards de galeries.
Nos cocons sont toujours plus géants, ils mangent la terre, nous la suçons.
Nectar.

Marco Candore
(publié dans Chimères n°82 / juin 2014)

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