Loi sur la rétention de sûreté – médicalisation et pénalisation

, par Alain Brossat


Le principe de cette loi et du dispositif qui l’accompagne - la « rétention de sûreté » - est de rendre indistinctes les logiques et les dynamiques de la médicalisation et de la pénalisation ou, si l’on préfère, de la « criminalisation » d’un problème particulier – la « pédophilie », comme forme de délinquance sexuelle. Au départ, du moins, ensuite on assiste à une extension irrésistible, quasi-mécanique du dispositif. La loi votée au Parlement, avalisée par le Sénat avec quelques modifications, est ouvertement et avant tout répressive. Elle prévoit des mesures de « rétention de sûreté » d’une durée indéfinie dans des lieux annexés aux établissements pénitentiaires (la prison de Fresnes, par exemple) pour des personnes ayant achevé de purger leur peine. Elle introduit une disposition étrangère au droit pénal français qui prévoit qu’à une infraction, délit ou crime, correspond une peine proportionnée. Elle déplace la peine du champ de l’infraction vers la personne même de l’infracteur, considéré comme appartenant à une espèce dangereuse et exceptionnelle et représentant un péril constant pour la société. On voit resurgir en force ici la figure de l’ « irrécupérable » dont Foucault a montré le rôle clé qu’elle joue dans l’agencement du discours en faveur des prérogatives de la police et, plus généralement, de la production de l’ordre. Cette orientation répressive de la loi sur la rétention de sûreté est si évidente que celle-ci a suscité une levée de boucliers parmi les parlementaires socialistes, conduit l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand Robert Badinter à publier une tribune très énergique à ce propos dans Le Monde et même entraîné des divisions au sein de la majorité. C’est le bunker sécuritaire regroupé autour de Sarkozy qui a voulu cette loi et l’a fait adopter à bride abattue, en spéculant sur des effets de popularité automatiques, le pédophile occupant en quelque sorte la place du monstre ou du criminel maximal dans nos sociétés. Mais en même temps, ce nouveau dispositif qui introduit une clause absolument exorbitante dans le droit pénal français (la possibilité d’un emprisonnement à vie au delà de toute peine infligée selon une procédure de justice régulière – c’est le retour des lettres de cachet !), ce nouveau dispositif est au demeurant totalement inscrit dans un horizon de médicalisation : les lieux d’enfermement concernés sont parfois désignés du nom de « prisons-hôpitaux » et la justification que se donne cette loi sécuritaire est la suivante : il s’agit de perpétuer l’enfermement de criminels sexuels qui « refusent de se faire soigner » - considérés donc, à ce titre, si les mots ont un sens, comme des malades et même comme de grands malades… Première forme d’indistinction, donc, et première inconséquence : le plus souvent, ces « malades » viennent d’accomplir de très longues peines (le dispositif est destiné à des gens qui ont purgé des condamnations de quinze ans et plus) durant lesquelles, de notoriété publique, ils n’ont eu accès qu’à des soins épisodiques, inadaptés, voire pas de soins du tout. C’est un psychiatre, cité par un journal, qui se demande à ce propos : « A quoi ça sert de condamner des gens à quinze ans, si on en est au même point à l’issue de ces quinze ans ? ». De grands malades d’un côté, tellement malades qu’une obligation de soins peut leur être imposée pour le restant de leurs jours, mais qui vont être « traités » en même temps comme des hypercriminels, des monstres. On revisite ici involontairement, sur un mode particulièrement confusionniste, la « scène primitive » sur laquelle juges et médecins se demandent si Pierre Rivière est un aliéné ou un monstre pervers. Interminable bégaiement de l’histoire des rapports de la Justice et de la médecine, de la psychiatrie ? Dans le même esprit, une sorte de fusion de l’approche médicale et de l’approche policière se produit lorsque la « cible » de ces centres de « rétention » est désignée comme suit : les prédateurs sexuels présentant un « risque particulièrement élevé » de récidive à l’issue de leur peine de prison. Comme on le sait, la notion de risque fait partie aussi bien de l’arsenal discursif policier que médical : l’idée de catégories sociales, ethniques, de topographies dans lesquelles les risques en terme de sécurité ou de criminalité sont plus élevés que d’autres d’une part ; les risques sanitaires liés aux épidémies, aux conditions environnementales, aux catégories d’âge, de l’autre. On retrouve là les enjeux multiples qu’une police générale des conduites peut faire aujourd’hui des théories du risque, du discours savant, sociologique ou autre, agencé autour de la notion même de « société du risque ». Ici, le fantasme sécuritaire, comme fantasme médico-policier, c’est l’élimination du risque. Or, comme le remarque un psychiatre, dans le contexte de la discussion sur la loi Dati, « le risque zéro, ça n’existe pas, ou alors, il faut enfermer 40% de la population ». En principe, les programmes de l’action policière et ceux de l’action médicale sont parfaitement distincts : empêcher de nuire, mettre hors circuit, enfermer les fauteurs d’illégalismes d’un côté, soigner, traiter, guérir de l’autre. Il faut donc se demander sous quels auspices peut se produire la fusion tendancielle de ces modes d’action si distincts dans leur principe, fusion dont l’invention de ce dispositif des « centres socio-médico-judiciaires de sûreté » (leur désignation officielle, semblerait-il) est une manifestation. C’est sous le signe de notions plus ou moins nouvelles ou redéployées comme celle de la prévention, du traitement, du suivi, du contrôle, de la précaution…, notions fonctionnelles aussi bien dans l’espace médical que dans celui de la police qu’une telle indistinction peut se produire. Sous le signe de cette indistinction peut apparaître un nouveau paradigme, celui du « soigner et punir » - quand bien même le « soigner » risquerait fort d’apparaître ici comme le pur et simple alibi d’un nouveau tour répressif – ce n’est pas pour rien, sans doute, que le Syndicat de la Magistrature, qui n’est pas précisément un repaire de gauchistes, parle à propos de ces centres de « logique d’élimination ». Mais en même temps, ce qui importe, c’est que le nom de la médecine ou, si l’on préfère, l’instance médicale ne puisse être absents de ce dispositif. C’est Sarkozy qui, alors encore ministre de l’Intérieur, énonçait les tâches que les médecins auraient à accomplir dans le cadre de ces centres de rétention (rétention et non détention, comme pour les étrangers expulsables, tout ce joue dans la différence entre le « r » et le « d » ; la substitution de l’un à l’autre signale celle du jugement par le décret, la décision administrative qui ouvre la voie à tous les arbitraires (cf : le Schutzhaft, pour mémoire, déjà l’usage toutes mains de la « prot