Séminaire de doctorants « Technique(s) du cinéma, politique(s) par le cinéma ? » Coordonné par Roman Dominguez et Adolfo Vera Quatrième séance Vendredi 21 mai, de 14h à 17h

, par Sylvie Parquet


M. Sergio Rojas, Professeur d’esthétique à l’Université du Chili
Donner lieu au réel

La condition moderne de l’art l’oriente vers la mise en question des limites de la perception, de l’expérience et de l’interprétation du monde. Ceci n’implique pas simplement la thèse d’après laquelle le monde « est plus » que ce que la subjectivité peut concevoir, mais que c’est bien la subjectivité elle-même qui est plus que les conditions catégorielles qui déterminent la possibilité du monde de l’expérience (et l’on sait bien que déjà dans l’esthétique du sublime, la subjectivité commence à se définir à partir de sa « mise en abîme » aux confins de l’individualité). Il s’agit, sous le titre « Donner lieu au réel », d’exposer trois formes de catastrophes de la subjectivité au cinéma, trois esthétiques de la destruction à l’échelle humaniste de compréhension du monde.
D’abord, une certaine esthétique, qui met au travail l’excès du Réel en dépassant les limites de la subjectivité, a développé au cinéma un style « néo-sublime ». C’est bien le cas de films comme « Aguirre, la colère de Dieu » (W. Herzog, 1972) ou « Apocalypse Now » (F.F Coppola, 1979), où la subjectivité se constitue en tant que mesure du monde. Elle s’y fait non seulement le lieu de l’autre, mais l’autre comme lieu. D’où l’importance du recours à l’esthétique et à la forme narrative du voyage : le passage du même à l’autre, dans l’attente de se retrouver avec le Réel lui-même.
D’autre part, et d’une façon bien éloignée de cette scénographie de la catastrophe, nous trouvons l’exercice de la facticité, dans lequel la subjectivité se trouve invalidée et, dans un certain sens, ravagée par la non-transcendance de l’existence. Il ne s’agit plus alors du « non-sens » de l’autre, mais du non-sens du même. On est désormais face à une esthétique de la non-transcendance. Des films comme « Caluga o menta » (G. Justiniano, 1990), « Rabia » (O. Cárdenas, 2006) ou « Man push cart » (R. Bahrani, 2005), montrent comment la subjectivité aliénée des personnages a perdu toute espérance, du fait précisément de ne pas pouvoir « se retrouver » dans un monde sans espoir, où même la figure de la folie a été éradiquée dans une quotidienneté sans horizon. Ce genre de films incorpore des éléments de l’esthétique du cinéma documentaire. On peut aussi mentionner le film d’Herzog, « Fata
morgana » (1971). Une troisième catégorie de films renvoie à ce qu’on définira comme la médiation
sans issue. Il s’agit de films qui s’interrogent sur la possibilité de trouver le Réel dans l’image et le récit. Par exemple, « Funny Games » (Michel Haneke, 1997, 2008), et « Y las vacas vuelan » (F. Lavanderos, 2006) ou le documentaire « Grizzly man » (Herzog, 2006). Les moyens de représentation et de signification y surgissent, en permettant que la réception du film elle-même soit consciente dans la construction de la fiction.

M. Patricio Landaeta, doctorant en philosophie à l’Université Paris 8.
Chris Marker : Variations autour de la cité et la représentation

Dans les films de Marker nous sommes face à une image très particulière du mythe de Babel : « l’image de la fermeture ou l’interdiction de l’espace, la disparition définitive de la Ville et la destruction finale de toute vie à la surface de la terre », (La Jetée). Mais aussi face à une image de la fragmentation définitive de l’espace, ou encore face à la difficile (presque impossible) possibilité de la mémoire (Sans Soleil). On dirait que Marker formule avec une grande précision l’intime et sans doute génuine correspondance entre le cinéma et le politique.
On peut penser d’abord au rapport entre La jetée et la métaphysique de Platon. Pour Platon l’espace est le lieu des êtres, mais aussi du trouble entre eux. Le lieu où ils ont été condamnés à vivre ensemble, à subir l’existence et à s’opposer les uns aux autres jusqu’à la fin de leurs parcours respectifs. Dans un sens très précis, le temps serait le juge de l’existence troublée, le maître qui s’impose et qui restaure l’ordre par le biais de la mort de chaque être. Au cœur du récit de Platon, l’ordre cosmique règle la vie des êtres d’après une hiérarchie qui commence avec la réalité suprême de l’idée, et qui se poursuit et arrive jusqu’aux choses les plus banales, en arrivant ainsi à l’harmonie du plus et du moins. Mais la possibilité du trouble et du conflit demeure et se configure dans l’espace, comme bruit qui frappe l’harmonie, comme hétérogénéité incapable d’obéir et de respecter la hiérarchie. Or, si dans La jetée tout espace a été fermé, il semblerait que ce n’est qu’au risque de voir renaître l’hétérogénéité sauvage. C’est de cette manière que nous pouvons comprendre la phrase suivante : « la seule fidélité au temps témoignerait la possibilité de faire recommencer l’espèce humaine ».
Pourtant, le temps ne se réduit pas à la manifestation de la hiérarchie des êtres. Il est aussi transgressé par des images et des désirs qui troublent l’ordre et l’harmonie. On peut penser dès lors l’inversion de la relation précédente : on peut dire que les habitudes des différents êtres humains multiplient et fragmentent le temps. Tandis que l’espace a été maitrisé grâce à l’ordre et à la hiérarchie d’une colonisation imaginaire qui rend possible la « ville-monde ». En s’opposant à l’espace homogène de la « ville-monde », les temporalités des êtres humains soulignent les pratiques quotidiennes capables de montrer, même au sein du banal, la possibilité de « mondes multiples ». Soit Sans soleil, où la fragmentation apparaît comme un moyen de casser la redondance d’images standardisées qui définissent le regard habituel. On dirait que dans Sans soleil, l’héterogénéité est corrélative aux images faites pour être vécues, c’est-à-dire aux images qui n’ont plus la forme redondante d’un cliché journalistique.

Calendrier de séances (les vendredis suivants, de 14h à 17h) : 4 juin
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