Le somnambulisme des mouvementistes - commentaires Le somnambulisme des mouvementistes 2019-11-20T00:31:59Z https://ici-et-ailleurs.org/contributions/actualite/article/le-somnambulisme-des#comment56 2019-11-20T00:31:59Z <p>Cet article est aux antipodes du travail de Brossat sur la violence, Foucault et Deleuze. Par ignorance ou par l'aveuglement de ses prénotions, il livre une analyse coloniale à rebours de tous ses idéaux, dans un élan désespéré de défendre une vision géopolitique dépassée. Et ce n'est pas moi qui le dit, mais les Hong-Kongais et Tawanais qui ont lu cet article. Ils apprécient de se savoir à ce point objectivés par des Européens qui pensent comprendre la situation Hong-Kongaise, mieux que les Hong-Kongais eux-même.</p> <p>Des précisions ci-dessous :</p> <p>Paris-Hong-Kong, 40 années lumière ?</p> <p>Depuis quelques mois, les manifestations Hong-Kongaises ont été largement commentées. Les lignes qui suivent sont le fruit d'un travail d'observation et d'échange, non seulement avec des commentateurs basés Européen, mais aussi avec des citoyen.nes. Hong-Kongais.es et/où Tawanais.es. Ces observations portent à croire que les quelques 10000 kilomètres qui séparent Paris de Honk-Kong sont en réalité 40 année lumière, tant les informations depuis la mort de Máo Zédōng semblent longues à nous parvenir. Après de nombreux échanges, notamment avec des militants du PCF, c'est l'article récent * de Alain Brossat qui a généré l'envie définitive d'écrire ces quelques lignes*.<br class="autobr" /> Cet article d'Alain Brossat se base sur le postulat qu'une polarisation orient/occident, USA/Chine, capitalisme/communisme, justifie encore en 2019 de soutenir un camps en se basant sur le principe selon lequel : « l'ennemi de mon ennemi est mon ami ». Ce soutien passerait par une dévalorisation et un mépris nécessaire des revendication du peuple Hong-Kongais au nom de la lutte contre l'impérialisme Américain. En relevant quelques adjectifs, le ton ne laisse que peu de doutes. La mobilisation Hong-Kongaise est ainsi décrite comme « forcenée » et « hystérique » ; le ton est donné. S'en suit, dans la droite lignée de ces jugements de valeur arbitraires, une description sociologique pour le moins discutable en terme de rigueur qui énonce une : « jeunesse bien propre sur elle, éduquée, et qui parle anglais, classe moyenne encravatée (…) d'une prodigieuse ignorance de l'histoire ». Notre auteur base-t-il ces affirmations sur une observation participantes ? Un cycle d'entretiens ? Une étude quantitative ? Rien de tout cela n'est évoqué. Bien au fait de l'Histoire, Alain Brossat semble pourtant ne pas réaliser à quel point il se contredit, puisqu'il n'hésite pas à affirmer plus loin que : « Ceux qui évoquent une terreur policière apocalyptique, de facture typiquement totalitaire à propos des affrontements qui, depuis de longues semaines, se déroulent dans les rues de Hong Kong ne savent pas de quoi ils parlent ou sont d'une mauvaise foi sans mesure ». Le problème est ainsi posé : les Hong-Kongais eux-même dénoncent les violences policières, ce qui pose une question essentielle : qui ne sait pas ici de quoi il parle et où est la mauvaise foi sans mesure ? Serait-ce là une illustration de la bonne vieille fable de l'arroseur arrosé ? C'est certes une grande tradition intellectuelle Française, de Jules Ferry à Bernard Henry-Levy, que d'aller dans le sens du pouvoir et de décider à la place des populations ce qui est bon pour elles. Alain Brossat, ici, qui nous a pourtant habitué à citer Deleuze et Foucault, ne fait rien de plus et rien de moins que de s'inscrire dans cette veine.<br class="autobr" /> Cette objectivation hasardeuse du mouvement Hong-Kongais basée sur des généralités sociologiques non-vérifiées et non étayées ne s'arrête pas là. Le texte nous explique (sans jamais le démontrer) que tout le mouvement s'explique par le fait que les Hong-Kongais qui manifestent sont des bourgeois, qu'à ce titre ils sont portés vers l'étranger (qu'ils sont donc des traitres à leur patrie) et qu'à ce titre ils sont télécommandés par les États-Unis. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette démonstration comporte beaucoup d'approximations et de raccourcis. Bien sûr, on ne peut résumer ainsi la complexité d'un espace social et encore moins en déduire une logique géopolitique. Et l'auteur ne s'arrête pas là : il nous explique aussi qu'il existe un racisme anti-mandarin très puissant et très violent. Il va d'ailleurs plus loin encore en expliquant sans hésiter que ce racisme justifierait que les Hong-Kongais soient dépossédés de leur territoire. Si tel est le cas, faut-il trouver dès maintenant une île pour les Français ? Les tensions inter-comunautaires existent de fait, et elles peuvent être expliquées par des causes historiques évidentes, mais suffisent-elles à résumer à elles seules les mouvements sociaux actuels ? Permettent-elles à elles seules de se forger une quelconque opinion positive ou négative ? Si le doute persiste, rappelons que cette tension entre Chinois continentaux et Hong-Kongais est sans doutes le symptôme d'un traumatisme anthropologique profond, mais précisément : ce traumatisme est lié à une colonisation Européenne. Il est donc pour le moins contradictoire, à plusieurs titres, de la part d'un universitaire Français (qui utilise par ailleurs toujours le terme colonial « Pékin » et non Bejing), de prétendre comprendre mieux que les Hong-Kongais et à la place des Hong-Kongais, ce qui est bon pour Hong-Kong. Comme dit l'auteur et comme il devrait se l'appliquer à lui-même : « qu'ils commencent par balayer devant la porte de leur histoire coloniale, ces donneurs de leçons ! ».<br class="autobr" /> Résumer les violences des habitants de Hong-Kong vis à vis des continentaux à une forme de racisme comparable à celle du Front National est en outre une aberration politique et sociologique doublé d'une contradiction flagrante (bien qu'on ne soit plus, à ce stade, à ça près). Comme le rappelle l'auteur, Hong-Kong est une ancienne colonie et ses habitants ont, à ce titre (parce que c'est ainsi que procèdent les colonies) longtemps été considérés comme des citoyens de seconde zone. Leur refus d'être à nouveau colonisés par un pouvoir qui n'a rien en commun avec leur espace social et politique peut-être étudié et problématisé, mais en aucun cas faire l'objet du jugement exogène de Français qui, rappelons-le, n'ont pas été dans la posture des colonisés, mais des colons. Dans son article, Alain Brossat n'envisage pas un instant et pas le temps d'une ligne, la possibilité que les Hong-Kongais aient leur mot à dire sur leur territoire. Dans la grande tradition coloniale, il les considère ainsi, comme le faisaient les Anglais et comme souhaiterait le faire le gouvernement de Bejing, comme des citoyens de seconde zone, n'ayant pas leur mot à dire.<br class="autobr" /> Faire du peuple Hong-Kongais les pions d'un champs de bataille géo-politique international, reprend grosso modo la base des mouvements coloniaux qui justifient l'annexion d'un territoire pour des raisons idéologiques au mépris de l'avis de ses habitants. Si il est difficile d'imaginer en retour les habitants de Chine, de Hong-Kong ou de n'importe quel territoire Asiatique commenter ainsi les mouvements sociaux Français ou Européens, c'est sans doute parce que la domination symbolique, par définition est unilatérale.<br class="autobr" /> On pourrait opposer à ces quelques lignes que prendre parti pour les Hong-Kongais est aussi, en-soi, une forme d'ingérence. C'est d'ailleurs l'accusation portée au mouvement Hong-Kongais : le mépris pour le peuple est tel, que l'on ne prend même pas la peine d'imaginer qu'il puisse exister par lui-même et être autre chose qu'une marionnette de la CIA. À cela il est facile de répondre par un rappel de ce qu'est un pouvoir. Citons le début de l'article lorsque l'auteur commence par énoncer l'anecdote d'un ami Taïwanais. Aujourd'hui 16 pays dans le monde reconnaissent la souveraineté de Taïwan *, c'est à dire l'idée pourtant évidente, que Taïwan appartient aux Taïwanais. Comment est-il possible qu'un territoire aussi important à bien des égards, ne soit pas reconnu par la communauté internationale ? Tout simplement parce que le gouvernement de Beijing interdit à tout pays qui entretiendrait des relations diplomatiques et commerciales avec lui de déroger à ses ambitions coloniales en termes de revendications territoriales.<br class="autobr" /> Derrière les division apparentes, la communauté internationale s'accorde sur une constante : un phénomène global de concentration sans précédent dans l'Histoire de capitaux économiques et symboliques ou en d'autres termes, de pouvoirs ; pouvoirs économiques donc, mais aussi médiatiques et par la même politiques. L'oligarchie est ce dénominateur commun qui explique le triomphe du néo-libéralisme partout dans le monde. Il en est lui-même à l'origine. En tant que « programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur », ainsi que le rappelait Pierre Bourdieu dans un célèbre article *, le néo-libéralisme définit un projet politique qui s'étend bien au delà des frontières et dont l'un des symptômes est la fièvre nationaliste mondiale que l'on peut observer de Beijing à Washington en passant par la Russie, l'Inde, la Turquie, le Brésil et à peu près toute l'Europe (la liste est loin d'être exhaustive).<br class="autobr" /> Faire l'hypothèse que les mouvements sociaux se rejoignent potentiellement n'est donc pas absurde, même si il convient d'être extrêmement prudent et de ne jamais se repose sur ces certitudes. En effet, que peut-on trouver de commun entre le coup d'état de l'extrême droite en Bolivie et les manifestations en France ou en Algérie par exemple ? Certainement aucun. En revanche, face à la menace de pouvoirs totalitaires, à l'explosion des inégalités et au renforcement des sociétés de contrôle, les manifestants de Paris et de Hong-Kong se trouvent des causes communes, ce que l'on peut observer sur les panneaux des manifestants : résister aux pouvoirs totalitaires.<br class="autobr" /> Que l'auteur se sente obligé pour parachever sa démonstration, de minimiser les violences policières et de les relativiser en les comparant avec celles que subissent les gilets jaunes démontre bien une chose : sa démonstration est du côté du pouvoir. Ce sordide comparatif des violences policières et de leurs conséquences en terme de calcul comptable des morts et des éborgnés, tend à relativiser la répression policière, à la banaliser en lui ôtant sa gravité et in fine, à la rendre acceptable. Comble de l'absurde : Brossat accuse les journalistes d'être des mercenaires parce qu'ils sont payés pour faire leur travail. Il semble oublier par la même que c'est la définition même de l'aliénation, que d'être rattrapé par des conditions matérielles de subsistance et que cette limite définit précisément l'aliénation dans le travail. Et que dire des forces de police qui sont historiquement les forces du maintien de l'ordre social et économique ? Il y a, à Paris VIII où enseigne l'auteur, toute une tradition philosophique et sociologique qui s'est employée à le démontrer avec rigueur. Que ce même auteur participe à la banalisation de l'action policière en dit long sur un naufrage intellectuel individuel et collectif. <br class="autobr" /> Pour finir, est-il permis d'utiliser le terme « Chinazi » ? Pour les raisons sus-évoquées, pas de manière exogène sans doutes, pas par un Français. Mais venant des Hong-Kongais qui sont directement menacés par le gouvernement de Beijing, ce terme peut nous faire réfléchir sur le processus de totalitarisation d'un gouvernement qui restreint toute forme de diversité d'opinion et d'existence au nom d'une politique qui n'a plus rien de communiste depuis des décennies. Cela peut nous faire réfléchir sur le fait que cette tendance à la généralisation des sociétés de contrôle à l'ère du numérique n'est pas restreinte à la Chine et à son système de contrôle citoyen, mais que la menace de ce processus de normalisation social, médiatique et politique est mondial (on peut se demander au passage comment l'auteur peut en conscience citer Deleuze qu'il croit de son côté). Du côté des marges, le terme Chinazi, venant des Hong-Kongais, peut nous faire prendre conscience que le gouvernement nationaliste Chinois, entre autres actions, met en place des camps de concentration pour les minorités Ouïghours * et que cette tendance de gouvernements menaçant des minorités est là encore mondiale.<br class="autobr" /> Enfin, signe que l'auteur est décidément bien éloigné de l'Asie : Taiwan, à l'occasion des élections de Janvier est actuellement menacé par un regain du Kuomintang qui fait le double jeu de la collaboration en étant proche des États-Unis (leurs cadres sont nombreux à avoir des intérêts sur le territoire Américain), tout en favorisant un rapprochement avec le gouvernement de Beijing. C'est donc tout le contraire du portrait des “boute-feux de Taiwan” qui est présenté ici. L'opposition Historique entre le KMT et le gouvernement communiste de Beijing n'a plus lieu d'être puisque Beijing, gouvernement totalitaire et nationaliste n'a plus de communiste que le nom. <br class="autobr" /> Au final, les manifestations de Hong-Kong heurtent une certaine Europe ou plutôt une certaine vision qu'a l'Europe du monde, soit une vision dépassée de longue date où son avis était entendu de gré ou de force. Les grilles de lectures elle-mêmes sont moribondes et témoignent sans doutes d'avantage d'une nostalgie que des dynamiques réellement à l'oeuvre. De même que les chefs d'état néo-libéraux se prosternent à la queu leu leu devant le gouvernement de Bejing pour en obtenir les faveurs commerciales, le parti communiste Français représenté par Fabien Roussel annonçait même durant l'été 2019 sans aucune impudence et avec son inénarrable sens de l'à propos historique, en pleine crise Hong-Kongaise, que : « Le Parti communiste français apprécie hautement les résultats du développement de la Chine durant 70 ans ». <br class="autobr" /> Mais alors, peut-on concilier à la fois le soutien au peuple Hong-Kongais et l'adhésion à la doctrine marxiste ? C'est non seulement possible si l'on considère cette dernière comme un processus de déconcentration du pouvoir, mais aussi nécessaire compte tenu de la marche du monde où précisément, les pouvoirs atteignent comme nous l'avons vu des taux de concentration inédits. Cette approche suppose également d'interroger les grilles de lecture géopolitiques moribondes et nos tendances, fut-ce au nom de la lutte contre la domination, à vouloir dominer.<br class="autobr" /> « Face au réel, ce qu'on croit savoir offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. » G. Bachelard : La formation de l'esprit scientifique (1938), Vrin, 1983 (p. 14)<br class="autobr" /> Ledit article : <a href="https://lundi.am/Le-somnambulisme-des-mouvementistes?fbclid=IwAR0zDnvMVON91Px3nEshtV9mfRNjWtpR4X5-SeLuDNTR8i7B602NMXXKJNg" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://lundi.am/Le-somnambulisme-des-mouvementistes?fbclid=IwAR0zDnvMVON91Px3nEshtV9mfRNjWtpR4X5-SeLuDNTR8i7B602NMXXKJNg</a><br class="autobr" /> Pour éluder les tentatives d'objectivation, précisons que l'auteur de ces lignes est anarcho-libertaire marxiste et qu'il a été fortement saisi par la présence Américaine lors de séjours à Okinawa et Séoul. Le discours présenté ici ne critique donc le gouvernement Chinois, que parce qu'il le considère comme étant aux antipodes depuis des décennies de ce que devrait être un projet communiste.<br class="autobr" /> la France, pays des droits de l'Homme abonné aux rendez-vous manqués avec l'Histoire, n'en fait évidemment pas partie<br class="autobr" /> <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609</a><br class="autobr" /> Citons pêle-mêle le fait que Taïwan est le premier pays Asiatique a avoir légalisé le mariage gay et qu'il est progressiste à bien des égards en terme d'égalité sociale (plus progressiste et plus égalitaire que la Chine), que son industrie participe largement à l'économie mondiale notamment en terme de produits high-tech, mais aussi culturel et, last but not least, que c'est un pays magnifique.<br class="autobr" /> <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/11/17/ouighours-opprimes-dans-le-xinjiang-soyez-sans-pitie-a-dit-xi-jinping_1763891" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://www.liberation.fr/planete/2019/11/17/ouighours-opprimes-dans-le-xinjiang-soyez-sans-pitie-a-dit-xi-jinping_1763891</a></p>