Enfin des bonnes nouvelles ! - commentaires Enfin des bonnes nouvelles ! 2021-01-15T17:09:27Z https://ici-et-ailleurs.org/contributions/actualite/article/enfin-des-bonnes-nouvelles#comment149 2021-01-15T17:09:27Z <p>Article assez « déroutant », par rapport à des articles précédent signés par les mêmes auteurs, et qui entretient, me semble-t-il, une certaine confusion sur de multiples plans. Tout d'abord, Le Diable au corps est une fiction cinématographique (donc une « feintise ludique partagée » (Schaeffer), on est dans le monde du « comme si », des assertions feintes (Searle), qui demande à son récepteur une « suspension de l'incrédulité » (Coleridge) et une immersion consentie dans le monde fictionnel pendant le temps de la représentation). Sa réception ne peut pas être la même, sur un plan pragmatique, que celle des « <strong>représentations artistiques <i>non-fictionnelles</i></strong> » (notion empruntée à Pouillaude, Représentations factuelles, Cerf, 2020 – je suivrai, dans la suite du propos, les suggestions de ce philosophe ; voir pour des cas similaires, par exemple, Hatzfeld (POL, recueil de témoignages sur le génocide des Tutsis au Rwanda), et Svetlana Alexievitch qu'on ne présente plus depuis son Prix Nobel de Littérature). Même s'il est toujours possible de rompre le « contrat de lecture », ici le « contrat de vision », si l'on peut dire – le « scandale » provoqué par Le Diable au corps est né (entre autres raisons) justement par le fait qu'on a vu ce film comme une « histoire vraie », un « document », un miroir du monde et non pas comme une fiction, la proposition d'un monde possible dont la qualité n'est pas de reproduire le réel (quelle que soit, ici, la définition que l'on en donne), mais de nous proposer une « expérience de pensée » pour penser précisément notre monde autrement (la mère et le fils, des « personnages conceptuels » ?), faire un pas de côté parce qu'on est face à une « étrangisation », « défamiliarisation » de notre monde (cf. Chklovsky, « désautomatisation », остранение). En effet, dans le cas de Camille Kouchner, comme dans les témoignages « non artistiques » et contrairement à ce qui se passe pour la fiction, est présupposée et affirmée l'existence réelle du référent (dénotation référentielle) dont parle la représentation. Son livre se présente bien et est présenté comme « une représentation artistique non fictionnelle ». L'éditeur de Camille Kouchner, Le Seuil, est sans ambiguïté à cet égard : couverture « littéraire » du livre (liseré rouge), et sur le site : photo du livre dans la rubrique « Littérature française » – à côté de celle « Roland Barthes, Marcel Proust » (on peut sourire de cette proximité, peut-être à juste raison). Il s'en suit un engagement assertif, avec les conséquences qui s'y rapportent, car l'auteur.trice d'une représentation artistique non fictionnelle doit répondre de la vérité de ce qu'il.elle asserte et doit être en mesure d'apporter des preuves ou des raisons à l'appui de la vérité qu'il.elle énonce – son intention déclarée n'est pas suffisante. Il est donc nécessaire de s'interroger sur les bonnes (ou mauvaises) raisons qu'il y a d'asserter telle ou telle chose, à tel moment et pas à un autre (pourquoi attendre la prescription du crime ? une juriste ne pouvait ignorer un tel « détail ») et sur le type d'engagement qu'il présuppose (celui du parrèsiaste, pour reprendre les analyses de Foucault ? interrogation légitime quand un dire n'apparaît plus corrélé à une mise en danger pour l'énonciateur de ce dire). L'article suggère en effet quelques pistes intéressantes : sur le système médiatique (enquête avant parution du Monde) ; sur le fonctionnement du champ littéraire – le livre est apparemment en rupture de stock (effet « vu à la TV » : passage de l'autrice à « La Grande librairie ») ; sur le voyeurisme et le plaisir douteux de voir des « élites corrompues » tomber de la part d'un certain public… Mais aussi une certaine « libération de la parole » aujourd'hui des victimes des agressions sexuelles, un effet Mee too – trop facile de reléguer un tel phénomène à une contagion d'un « féminisme » en quête de notoriété. La qualité d'une œuvre littéraire (de l'art en général) n'est-elle pas peut-être de faire en sorte que le langage de l'un.e (fondée expressément sur une expérience personnelle, vécue) devienne aussi le langage de tou.te.s ? Non pas dans une synthèse abstraite et conciliatrice, mais dans un processus qui relève de ce que nous pourrions, cum grano salis, appeler une Aufhebung (hinwegräumen et aufbewahren à la fois pour reprendre les expressions de Hegel). Reste à savoir si le livre de Camille Kouchner parvient à concilier ces deux exigences : un universel parce que précisément singulier, avec effacement de tout pittoresque (c'est ce pittoresque que recherchent les lecteurs avides de révélations graveleuses, je suppose).<br class="autobr" /> Pour en revenir à des considérations génériques, il n'en reste pas moins qu'il faudrait expliciter quelle différence (et quels en sont les effets sociaux et doxastiques) il peut y avoir entre une fiction, un témoignage factuel, et une œuvre factuelle à prétention artistique qui, elle, mêle étroitement poiésis et praxis, car soucieuse de la configuration du témoignage donné à lire et de son action dans/sur le monde. En effet, comme le dit Pouillaude : « les œuvres factuelles ne s'épuisent pas dans la seule volatilité de l'action, dans la seule performance et l'intervention. Elles maintiennent bel et bien l'idée d'œuvre séparée, d'objet stable et pérenne qui peuplent notre monde commun. Mais les idées d'œuvre et de représentation sont alors mises sous condition de leur inscription pragmatique dans le sérieux du monde. Elles sont certes des œuvres séparées, mais agissantes, émanant du monde et visant, peut-être sans trop d'illusion, à le transformer » (Exposé de Frédéric Pouillaude (Université Paris Sorbonne) dans le cadre des Lundis de la Philosophie 2017-2018 - <a href="https://savoirs.ens.fr/expose.php?id=3378" class="spip_url spip_out auto" rel="nofollow external">https://savoirs.ens.fr/expose.php?id=3378</a>). <br class="autobr" /> Par ailleurs, juger de la qualité d'un livre (qu'on n'a pas lu, puisque on cite une citation du Monde) par son « style » ( ?! position bien conformiste) en ne citant qu'une phrase dont on moque la facture est un peu léger (quelle légitimité et autorité pour s'instituer arbitre des élégances ?) : aucune œuvre d'un écrivain (prosateur ou poète), même reconnu dans le champ littéraire, ne résisterait à un tel procédé de citation d'une phrase que l'on trouverait, peut-être à juste titre, « ridicule ». L'interrogation sur la littérarité d'un texte mérite une réflexion plus sérieuse. Il faut s'y résoudre, la « littérature » est un concept « épais » : à la fois descriptif et jugement sur ce qu'on estime être la « bonne/mauvaise » littérature. Une distance critique et réflexive sur tout jugement s'impose ici ; ainsi, la conception de l'art, de la littérature comme transgression (Louis Malle ? Bataille, Artaud très certainement) est loin d'être éternelle et devrait être replacée dans le contexte de son champ et de la société où elle apparaît. Enfin, pour terminer, et sans expliciter pour ne pas être trop long, pourquoi cette diatribe sur les féministes, « plutôt brunâtres, que brunettes » (sic), « corneilles » plutôt que « corbeaux » (re-sic) ? Pourquoi l'accent dépréciatif mis sur la victime (pour ses détracteurs, elle ne parle jamais au bon moment (trop tôt ou trop tard), ni jamais de la façon qui conviendrait (sans style ou trop « littéraire ») ? Pourquoi passer si vite sur l'agresseur (« on sait depuis longtemps ») ? Quid de la domination ? Le cas d'Olivier Duhamel n'est-il pas une belle illustration de l'intersection que l'on peut trouver entre domination sexuelle, capital social, capital économique, capital symbolique ? Enfin, le problème des victimes des agressions sexuelles (ou d'autres sortes) ne tient-il pas moins dans l'impossibilité de trouver les mots, de dire l'indicible, que d'être écouté, entendu, de trouver à qui s'adresser ?<br class="autobr" /> Camille Clément (« philosophe », « femme de lettres », ENS, candidate à l'Académie française, commandeure de la Légion d'honneur, etc., etc.) a osé tweeter (5/1/21) : « Décidément, je n'aime pas la délation, surtout familiale ? Ça me répugne. » Dit autrement : « il faut laver son linge sale en famille » – le point Godwin n'est pas loin. Sans commentaires !</p>