Dans les viscères du tigre mort

, par Dylan Ravaillac


« On en a soupé des comédies,
Des moral’s, des phizolofies,
L’Homm’ doit pus faire que son plaisir
Et la beauté de ses désirs »

Jehan-Rictus, Les soliloques du pauvre

1- Plus moyen de crever tranquille : tandis que N. agonisait, au fond de son lit, ayant bataillé ferme pour pouvoir rendre le dernier soupir à la maison, entouré des siens, le voisin s’activait avec un zèle sadique sur sa perceuse japonaise – et sur le mur mitoyen.

2- Une autre version, avantageuse, du libéralisme : gouverner, cela ne consisterait pas à prendre l’ascendant mais tout au contraire à multiplier les obstacles s’opposant à toute espèce de prise d’ascendant.

3- A l’issue de trois jours et trois nuits d’émeutes sanglantes, le palais des Grimaldi avait été pris d’assaut, pillé puis incendié par la populace en furie. Traqués dans les caves du Casino où ils avaient cru pouvoir trouver un illusoire refuge, le Sérénissime et les trois dispendieuses princesses avaient achevé leur clinquante carrière au bout d’une corde, devant une foule en liesse.
Ben quoi ? On n’a plus le droit de rêver ?

4- « Je sauve les livres comme les mémères à chats recueillent les animaux abandonnés ! », répondait N. quand ses amis s’étonnaient de sa nouvelle passion pour les boîtes à livres. « Je les héberge, les soigne, les protège comme ces braves vieilles offrent un nouveau foyer à ces bêtes. Je suis l’Abbé Pierre des bouquins sans abri, jetés à la rue... Même les moches, les estropiés, je les récupère – les Troyat, les Bazin, les Konsalik, tout cornés, déchirés... »

5- Il faut bien comprendre le sens du mot « tournant », dans l’expression « tournant décolonial » – ce n’est pas nous qui tournons, c’est la route, le chemin de la vie. En d’autres termes, l’agitation anti-woke peut se poursuivre à en perdre haleine – elle n’empêchera pas la route de tourner.

6- Lecture, hygiène de vie, pharmacopée : lire en priorité absolue tout ce qui est susceptible de renforcer l’immunité contre l’inanité du présent.

7- Mais n’était-ce pas dans L’intrépide que je lisais, enfant, les aventures de Blek le Roc ? [1]

8- On critique Macron à trop bon compte. C’est pourtant lui l’inventeur génial de la martingale qui nous a permis de bénéficier d’un régime de Vichy-bis, sans avoir à passer par les pénibles cases Défaite, Débâcle, Occupation, Collaboration, etc. Et ça, il fallait le faire, quand même...

9- Les empereurs, en général, meurent dans leur lit, comme le commun des mortels. Certains se distinguent, par exemple en finissant contre un mur, avec douze balles dans la peau, comme l’infortuné Maximilien. Mais le plus inventif d’entre eux demeure assurément le Romain Caracalla, promptement expédié au Royaume des Ombres par un prétorien (d’un coup de glaive fourbement porté sous la clavicule) alors qu’il pissait tranquillement au bord d’une route.

10- Vu distinctement en rêve ma fille déposant chez Emmaüs mes chemises, mes pantalons, sans oublier mon cher peignoir bleu en tissu éponge, entassés en vrac dans des sacs poubelle de 50 litres.
En ai déduit logiquement que je devais être mort et re-mort.

11- Dans une perspective rigoureusement utilitariste, la différence entre objets supposément inertes et êtres vivants tend à s’effacer. La primauté du vivant y est constamment remise en question. Ce n’est pas faire insulte à mon chat noir de dire que mon vélo rouge se rend, en règle générale, plus utile que lui. Si ce qui importe au premier chef est ce qui sert le bonheur commun (?), voire le plaisir, alors innombrables sont les objets qui, en la matière, l’emportent sur les êtres vivants, du moins la plupart d’entre eux. De là à en déduire que la plupart de mes semblables méritent moins de considération que mon vélo rouge... [2]

12- Bien sûr que la Terre est plate – c’est juste que comme nous ne cessons d’y tourner en rond, dans tous les sens du terme, nous avons fini par nous faire à l’idée que la planète elle-même était ronde. Mais elle ne l’est pas – c’est un vrai boulevard, tant droit que plat, qui conduit de Darmanin à Bardella.

13- Si le cirque populaire périclite, c’est que l’on ne peut plus y présenter ces numéros dont étaient si friands les enfants, où des éléphants cacochymes se tenaient en équilibre sur un pied, où des tigres fatigués sautaient dans des cerceaux enflammés, où des otaries déprimées tenaient des ballons multicolores sur le bout de leur nez, etc. Fini tout ça, la faute au bien-être animal.
L’alternative s’impose, propre à ramener sans tarder le public dans les travées : remplacer les animaux exotiques démobilisés par des politiciens célèbres au rencart – Sarkozy en singe savant, Hollande en contorsionniste, Borne en femme à barbe, Ségolène en femme à deux têtes, Fillon en Elephant man... Freaks, freaks, freaks.

14- On n’a jamais tant (re)parlé d’Auschwitz et de la Shoah que depuis que les Israéliens ont relancé à Gaza leur stratégie du « chaos constructif » – un maximum de destructions massives destinées à produire un effet de saturation et d’accablement dissuasif sur les populations directement concernées – une « technique » mise en œuvre au Liban en 2006, déjà. Ni plus ni moins, avec les moyens décuplés d’aujourd’hui, ce que pratiquaient la Luftwaffe et ses Stukas piquant sur les colonnes de réfugiés pendant la débâcle à l’été 1940. Ce détournement de la mémoire du génocide, mise au service de la pire des cause, c’est l’infamie in proprio.

15- D’où nous vient donc cette mode soudaine des doudounes serrées, sans manches, qui se portent aujourd’hui sous la veste ? Facile ! C’est, pour le commun des mortels, ce qui s’apparente de plus près aux gilets pare-balles dont sont désormais affublées toutes les espèces de flics, jusqu’aux gardiens de squares. Le look d’époque, keuf en patrouille, le doigt sur la gâchette, le refus d’obtempérer en ligne de mire.

16- C’est l’histoire du mec qui, à force de se prendre pour une grosse légume, en était venu à se raser chaque matin avec un épluche-carottes. D’où son visage entièrement balafré. D’ailleurs, on avait fini par l’appeler le Balafré – ce qui, forcément, ne peut que nuire à une carrière de grosse légume.

17- Je me souviens d’une chanson à succès des années 1950, « Cha cha cha des thons » et dont le refrain était : « Cha cha cha des thons/ avec un T comme crocodile ». C’était l’bon temps – on savait encore rigoler, à l’époque !

18- A propos de Je me souviens (par Georges Perec), publié en 1978 et voué à un grand succès, on se rappellera utilement que ce livre doit beaucoup, tout de même, à un texte beaucoup moins célèbre – Le tout pour le tout, de Henri Calet (1948). Un album de souvenirs peut en cacher un autre.

19- Les licenciements collectifs, les départs à la retraite anticipés et supposément volontaires sont des massacres collectifs euphémisés. Un jour, pas si éloigné, on organisera de vrais départs anticipés et volontaires dans l’autre monde, avec un programme d’incitations adapté. Le tout à des fins d’économie et de rationalisation. De dégraissage en forme d’extermination douce de ceux.celles qui sont devenus « inutiles au monde ».

20- On assiste, depuis le 7 octobre et en réaction à cet événement, à la formation d’une OAS mentale dans le camp sioniste. Ces sionistes éclairés et cultivés qui, naguère encore, avaient à cœur de donner à entendre qu’ils avaient lu Mahmoud Darwish, qu’ils ne rataient pas un film de Elia Souleiman voient aujourd’hui l’hydre de l’antisémitisme enserrer la planète dans ses tentacules (comme d’autres voyaient jadis et naguère le Juif étendre son emprise sur le monde entier). Les voici prêts à prendre les armes et à partir en croisade pour combattre l’infâme. Pendant ce temps, bien sûr, le massacre continue à Gaza et la Cisjordanie est, plus que jamais, écrasée sous le talon de fer de l’armée israélienne et des colons.

Dylan Ravaillac

Notes

[1Non : Kiwi, plutôt.

[2Toute cette laborieuse démonstration pour suggérer que l’utilitarisme contemporain à la Peter Singer pourrait bien n’être qu’une philosophie des imbéciles parmi tant d’autres.