En avant vers le grand remplacement (et que ça saute !)

, par Charlène Burek


« On se défait d’une névrose, on ne guérit pas de soi »
Jean-Paul Sartre, Les mots

1- Le Bon Coin : Echange 450 000 petits Blancs teigneux abonnés à CNEWS contre nombre équivalent de Subsahariens affables et désireux de voir du pays.

2- Avez-vous déjà été piqué par un moustique tigre ? Si oui, avant qu’il ne vous attaque, l’avez-vous entendu feuler ?

3- Vous rappelez-vous quand le type qui présentait la météo à la télé s’appelait Tête-de-balai (Broomhead) ? ... Est-ce à dire que la télé était déjà folle, en ces temps lointains ?

4- Avez-vous déjà mis un coup de boule à un évêque ?

5- Le problème est au fond assez simple : même si la journée qui commence s’annonce mal, il va quand même falloir se lever.

6- Ce qu’il faudrait peut-être commencer par faire un effort pour comprendre : au cours des deux dernières décennies du siècle dernier, ce qui a sauvé la mise au vieux monde en perdition, ce n’est pas seulement l’effondrement de l’Union soviétique, c’est aussi, et peut-être tout autant, et peut-être même davantage, l’innovation – l’invention du digital, l’irruption de l’Internet.

7- Et quand un type portant chemise à fleurs et cheveux longs chantait : « Il prend un laxatif au lieu de prendre le train – O- yeah ! » - vous vous rappelez ?

8- Et qui sait si la poule, au moment où les dents acérées du renard s’abattent sur son cou, ne ressent pas quelque chose comme le frisson de l’orgasme ?

9- Sur consigne du Ministère de la Santé et dans les hôpitaux psychiatriques (ce qu’il en reste), l’expression « sans coup férir » a été remplacée par « sans fou quérir » - ou, à la rigueur, « guérir ».

10- On trouve souvent, dans les nécros payantes du quotidien de référence, la mention « grand lecteur du Monde » - comme s’il en existait de petits ou de moyens (les intermittents, les distraits, les malveillants...). On serait ainsi, à titre posthume, « grand lecteur du Monde », comme d’autres ont été, de leur vivant, distingués dans l’Ordre du Mérite ou faits chevaliers de la Légion d’Honneur... On imagine donc le grand lecteur du Monde, fraîchement passé de vie à trépas, se présentant aux portes du Paradis son bulletin d’abonnement à la main (soixante-dix ans de fidélité à l’organe de l’extrême centre !), escomptant bien que, face à un témoignage aussi probant d’impeccable moralité, celles-ci s’ouvrent d’elles-mêmes...
Toute la question étant de savoir comment l’on peut persévérer à être grand lecteur d’un canard tant obstiné, lui, à devenir de plus en plus petit...

11- Ce que montre tout un cinéma sensible à la singularité de l’à présent, aux quatre coins du Nord global, c’est l’obsolescence de ce que nous nommons « société » et dont l’évidence massive s’imposait à nous hier ou avant-hier encore. Toute l’œuvre de Balzac s’édifie autour de la jubilation à éprouver la consistance vivante, la palpitation de la nouvelle puissance du mot « société », dans le monde d’après la Révolution (la bonne blague, ici, est que l’écrivain soit, en l’occurrence, un légitimiste déclaré).
Finalement, le mot « société » tel que s’entend dans le grand roman réaliste anglais ou français, tel qu’il soutient la prolifération discursive des savoirs sociologiques à partir de la fin du XIXème siècle, aura connu une carrière brève : dans les sociétés d’Ancien régime, il n’est pas inclusif mais exclusif et excluant – il ne désigne que la bonne société, les personnes de qualité. Et depuis la dite révolution conservatrice amorcée dans les années 1980, il n’a cessé d’être vidé de sa substance – toujours plus de sociétal et toujours moins de social, le social rappelant trop l’existence des classes sociales et des antagonismes qui les opposent. Détruire toutes les puissances qui s’associent au mot société dans son acception post-révolutionnaire (« moderne », si vous y tenez), telle est l’idée fixe des néo-libéraux. Tout ce qui, en premier lieu, le rend inséparable de la lutte des classes.
Mais si ce n’était que ça... Nous sommes bel et bien embarqués dans un âge post-social, pour autant que nos modes de vie et nos subjectivités sont variablement contaminés par ces nouveaux dogmes : ce n’est pas seulement que les solidarités sociales traditionnelles sont délitées, que nos modes d’identification à une condition ou un destin social sont désorientés, c’est qu’au fond, nos sociétés ne sont plus, comme telles, que des tapis élimés jusqu’à la corde – on n’en voit plus les motifs, on n’en sent plus la trame épaisse et rassurante sous les pieds.
Il n’y a pas grand sens à nous demander ce qui est appelé à remplacer la société, la réponse pouvant être : rien qui ait la forme d’une positivité pleine et entière comme l’était la société éclose sur le terreau des modernités post-révolutionnaires. Ce qui demeure à notre portée, cependant, et qui est passionnant, c’est l’exploration et l’arpentage de ces vastes friches et champs de ruines que sont en train devenir nos sociétés, en compagnie du cinéma qui pense encore (American Money, Andrea Arnold, 2016).
Et pourtant : chaque fois qu’il y a lutte, affrontement, ce n’est pas seulement la division (l’immémorial) qui revient, c’est bien la société aussi qui reprend vie et forme, comme organisme ou totalité parcourus par des forces en tension. La raison pour laquelle les gouvernants sont obsédés par son abolition, son effacement : ils ne veulent avoir affaire qu’à des gens (atomisés, sérialisés) et des catégories disparates, hétérogènes. Ce n’est pas seulement la lutte des classes qui est l’œil dans la tombe et qui les regarde, c’est le spectre même de la société, organisme vivant, qui les hante.
Mais ce fantôme est tenace et l’on voit bien là l’absurdité de l’opposition constamment pratiquée entre le « politique » et le « social » - c’est exactement l’inverse qui est vrai : tant qu’il y aura de la société (en France, tout particulièrement), la politique animée par les tensions vives et la division, ne sera pas morte.

12- Là où coule un ruisseau, dans nos campagnes, on trouve souvent un moulin. Là où roule un flic (un motard), dans nos villes, on trouve souvent un mort (proverbe nanterrois).

13- Mieux vaut mourir subitement et intestat un jour de grêle que testateur en règle et d’un cancer de l’intestin grêle (au terme d’atroces souffrances, qui plus est).

14- Méfiez-vous des gens qui vous font des cadeaux : c’est soit qu’ils attendent quelque chose en retour, soit qu’ils veulent que vous les aimiez. Dans les deux cas, it sucks for good...

15- Le mieux serait encore que désormais les gilets pare-balles fassent partie des assortiments compris dans le prix d’achat d’une automobile neuve et que les racisés aient, automatiquement, droit à une ristourne.

16- Un détail qui serait éventuellement susceptible de nous alarmer : le Général Mark A. Milley, le militaire de rang le plus élevé aux Etats-Unis (Chairman of the Joint Chiefs of Staff) et principal conseiller militaire du Président, est, physiquement, la réplique assez exacte, presque la caricature, du Général Buck Turgidson (sic), interprété par George C. Scott, dans l’immortel Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Si vous ne me croyez pas, vérifiez.

17- Amendement sur la question de la fierté ou : comment réagir de manière appropriée à une insulte en forme d’interpellation althussérienne : si on vous traite de sale pédé, sale gouine, sale Arabe, sale nègre, sale Juif (etc.), la bonne réponse en forme de retournement du stigmate n’est pas : oui, je suis pédé, gouine, arabe, noir, juif (etc.) et j’en suis fier.fière. Il n’existe en effet aucun motif intrinsèque de fierté qui s’associe à l’une de ces conditions, pas davantage qu’il y aurait lieu d’être fier supporter du Lens FC (Football Club). La tautologie qui statue « je suis fier d’être ce que je suis » est la plus désolante et insubstantielle qui soit. Car quel serait donc ton mérite à être ce que tu es ?
La réponse appropriée est donc : en effet, je suis bien ce que vous dites ou du moins, je suis prêt.e à me reconnaître dans ce que vous dites, et qui est censé me rabaisser ou m’incriminer – et je vous emmerde. Réponse de combat, car elle se profère nécessairement de face. La fierté est ici une crétinerie impensante et moralisante. Je suis ce que je suis et ce que je suis (et qui est néanmoins infiniment variable) et étant ceci ou cela, je ne nuis à personne. Et si, en dépit de ceci, cette mienne condition continue de vous incommoder, pour des raisons qui me demeurent obscures, eh bien nous allons nous expliquer. Je suis ce que je suis ou que vous pensez que je suis – et je vous emmerde. Il faut toujours être prêt au combat, plutôt qu’à exhiber son impeccable moralité, sa respectabilité-quand-même...

18- On t’a vu Grégoire
On t’a vu Grégoire
Pisser dans la baignoire
On t’a vu, on t’a vu, on t’a vu
Espèce de salopard !

On t’a vu Paulette
On t’a vu Paulette
Cloper dans les toilettes
On t’a vue, on t’a vue, on t’a vue
C’est pas beau, la fumette !

On t’a vu Frédéric
On t’a vu Frédéric
Piquer tout mon fric
On t’a vu, on t’a vu, on t’a vu
Mon blé, mon artiche, ma soudure
Frédéric – espèce d’ordure !

19- On ne dira pas que la démocratie n’existe pas, qu’elle est une pure illusion ou imposture, on dira plutôt qu’elle est une infime pellicule disposée sur la vie réelle des gens. L’existence substantielle du monde est faite d’une multitude d’autres choses, infiniment plus lourdes, épaisses, poisseuses, irrésistibles et insurmontables et qui sont entièrement hétérogènes à ce qui se subsume sous le nom de la démocratie. Le problème de la démocratie (sa fameuse « crise » perpétuelle) est ontologique avant d’être « politique », comme on l’entend couramment (institutionnel, culturel...). Son problème indépassable, son vide constitutif, c’est le déficit ontologique, le peu de réalité. La démocratie moderne n’a jamais été, du point de vue de la vie des gens, qu’une bulle. Elle en a la consistance et le peu d’épaisseur. La vie est ailleurs.

20- Corrélat : le réel vraiment réel, l’épaisseur des choses (la peau, les os, le sang, les organes vitaux...) se retrouvent là où s’active la plèbe du monde, et qui se dérobe à la vue – les gagnepetits, les précaires, les déplacés, les enfermés, les corps vendables et vendus, le planétariat d’aujourd’hui... etc. Ce qui se surexpose dans la représentation et cherche à s’imposer comme le réel a une vocation ornementale – c’est l’imposture perpétuelle instituée, le réel de synthèse, comme convention et diversion.

21- Ils sont tous d’accord, après les émeutes, des héritiers de Hollande à Zemmour, en passant par les syndicats de flics, pour dire que la priorité, c’est le perfectionnement des dispositifs contre-insurrectionnels. Ils sont passés en phase active de préparation de la guerre civile. Et nous ? On se prépare à demander la nationalité belge, à apprendre le néerlandais ?

Charlène Burek