J’avoue tout

, par Damien Broutard


« On ne choisit pas la porte par où entre le malheur » (proverbe vietnamien)

1- Dans les couples dégrisés et éprouvés par la vie commune, l’exigence modique de chacun.e est que l’autre lui foute la paix. Mais sur ce point, pas question de transiger.

2- Si la London Review of Books n’existait pas, on se passerait aisément des Anglais et de la Grande-Bretagne : quand ces gens-là ne vendaient pas de l’opium aux Chinois, ils brûlaient notre petite sainte en devenir, au prétexte qu’elle était un peu queer. Mais la LRB, cela suffirait presque à justifier leur existence, aux yeux du monde civilisé.

3- Offrez aux gens la possibilité de mourir sur le champ et sur le coup, sans douleur, peine ni tracas – et vous serez surpris par la proportion de ceux qui vous répondront : « tout de suite ! » – d’enthousiasme, sans hésitation.

4- Même quand le sénateur est communiste, son train est rarement blindé.

5- Croire en Dieu est une chose – lui faire confiance en est une autre.

6- Une fois pour toutes : le coup de foudre n’est pas matrimonialisable !

7- Michel Foucault : professeur de brain building – une traduction possible du souci de soi. Ou mieux, peut-être : mind building ?

8- Ils-elles veulent être aimé.e.s, nonobstant le fait qu’ils-elles ne soient guère aimables.
En d’autres termes, ils.elles veulent être aimé.e.s pour ce qu’ils.elles ne sont pas.
C’est évidemment sans espoir et cela ne peut que mal finir. Mais ce n’est pas près de finir pour autant.

9- Bien malin qui saurait prédire l’avenir du petit Zelenski – héros de la nouvelle indépendance ukrainienne aux couleurs du « monde libre », ataman de l’OTAN, HiWi (Hilfswilliger) de la Maison blanche – ou bien alors, dans l’hypothèse où les choses tourneraient mal, chef de la sécurité dans une colonie juive aux environs de Hebron, en Cisjordanie occupée ? Dans tous les cas : un destin glorieux, tout en biceps, tout en kaki.

10- S’ils ont réussi à vendre à l’opinion du Nord global le dernier soubresaut du colonialisme occidental en Asie orientale (le supposé « printemps » hongkongais destiné à rendre réversible le retour de ce territoire à la Chine) comme une formidable épopée démocratique, alors la preuve est administrée que tout est possible en matière de fabrication de récits taillés à la mesure des nécessités du moment. Tout se passe comme dans Avatar et dans la langue appauvrie de Biden : le monde se partage en « good people » et « bad people » et les seconds sont ceux qui ne courbent pas la tête sous le joug des premiers. Le présent est une page blanche sur laquelle l’hegemon griffonne les quelques mots-clés dont est tissé le storytelling du jour. La démocratie hongkongaise comme le dernier ballot d’opium livré à retardement par la puissance britannique au peuple chinois.

11- Ce qui a assuré le succès foudroyant et durable de la théorie des deux jumeaux totalitaires (le nazisme et le stalinisme, expéditivement mis en équivalence avec le système soviétique », « communisme »), c’est précisément ce par quoi elle pèche et fuit de toutes parts – là où elle évacue toute la part irréductible des hétérogénéités entre les deux configurations, formes de pouvoir, idéologies, « mondes ». Un léger pas de côté suffit pour rendre manifeste l’effet abrutissant des simplifications auxquelles cette tératologie politique procède : prenez le nazisme et le stalinisme par ce bout : leur mise en récit ultérieure par ceux qui en ont été des protagonistes, de tous rangs, de toutes qualités. Le contraste ne saurait être plus saisissant, entre, d’une part, le foisonnement, la richesse, la diversité des mémoires, autobiographies, souvenirs, confessions (etc.) des anciens protagonistes de la culture communiste et dont l’existence a été aspirée, souvent broyée par les appareils staliniens, au fil d’une histoire cataclysmique. Ces récits sont une pièce maîtresse du récit global de l’Histoire apocalyptique du XXème siècle. Par un contraste absolu, les anciens nazis sont, en règle général muets – leur expérience personnelle du pouvoir totalitaire, comme exercice, n’enchaîne généralement pas sur un récit mais sur le silence en quête d’oubli – on déchire les pages, on se fait oublier, on passe à l’ordre du jour.
Ce contraste met sur la piste d’une irréductible hétérogénéité, davantage que simple différence, entre les deux mondes totalitaires et les sujets humains qui les ont peuplés. Mais de ces complications, le totalisme démocratique ne veut rien savoir, abonné qu’il est, lui aussi, aux formules simplificatrices et aux oppositions binaires – plus la pensée « totaliste » y est en vogue, plus il aime à se voir comme l’Autre, tant radical que vertueux, de l’hydre totalitaire sans cesse renaissante.

12- Quand, au petit matin, vous vous trouvez partagé.e entre une pressante envie de pisser et une irrésistible envie de continuer à dormir, que faites-vous ? L’âne de Buridan finit toujours par se pisser dessus...

13- Quand un chien vous aboie après de loin, à l’abri d’un solide grillage, on dira qu’il travaille en distantiel. Quand il surgit d’un buisson pour vous sauter dessus, tous crocs dehors, on dira qu’il s’active en présentiel.

14- Du point de vue d’une ontologie du présent, le témoin, fût-il oculaire, ne suffit pas. Le témoin peut être distrait, mal placé, de mauvaise foi, stupide – faux. Il ne suffit pas de voir, d’avoir été là et de raconter. Le témoin est souvent inepte parce qu’il n’a rien compris à ce qu’il a vu. Il faut scruter le présent – une attention continue, exigeant sagacité, concentration et ténacité.
On vante souvent la qualité supposément prophétique d’un livre, d’un film – d’un auteur. Mais en tout premier lieu, ce n’est pas de prophètes que nous avons besoin mais de vrais scrutateurs (pas de ceux qui participent au dépouillement du vote), de vigies et de diagnosticiens du présent. L’avenir se déchiffre dans le présent.

15- Envisager la création d’une famille comme une discipline olympique – avec les sauts, les lancers. En général, ça foire au premier essai, ensuite, c’est selon : soit ça continue à foirer, irrémédiablement, soit ça s’améliore au second, voire au troisième essai, in extremis.

16- Elles veulent bien qu’on continue à les faire jouir un peu, mais de moins en moins qu’on les foute à l’ancienne, more geometrico. C’est moins alarmant que la fonte des glaces du côté de Cercle polaire, bien sûr, mais un peu déprimant, quand même.

17- Tant qu’à faire, on préférerait éviter de crever en poussant de ces petits couinements pitoyables et que l’on dirait factices, comme font souvent les agonisants. Tant qu’à faire...

18- Canicule : même ne rien faire devient une épreuve d’endurance. Les heures elles-mêmes paraissent figées par la chaleur. Les optimistes se disent que ça va bien finir par passer. Les pessimistes que c’est un entraînement en vue de l’éternelle damnation.

19- Une guerre civile sans merci fait rage, mettant aux prises les partisans de « pain au chocolat » à ceux et celles qui opinent en faveur de « chocolatine ». Des commandos de fanatiques se postent aux portes des boulangeries-pâtisseries, armés de cutters et tranchent l’oreille gauche des écoliers qui, à la sortie des classes, n’apportent pas la bonne réponse lorsqu’ils sont sommés de prononcer le vrai nom de la viennoiserie qu’ils viennent d’acheter. D’ailleurs, depuis le temps que cette stasis dure, plus de 85% des boulangeries-pâtisseries ont été incendiées par l’un ou l’autre parti. La police, les gendarmes ne sont pas seulement impuissants à apaiser le conflit : les forces de l’ordre elles-mêmes sont irrémédiablement divisées à propos du nom de la chose et il n’est pas rare qu’une fusillade éclate, dans un commissariat ou une gendarmerie, à l’heure de la relève où, traditionnellement, l’équipe de nuit et celle de jour partagent devant un café fumant les petits pains tout juste sortis du four de la boulangerie voisine – s’il en reste une.
En attendant, ce sont évidemment les supermarchés et les boulangers industriels qui tirent les marrons du feu – mis en circulation sous le nom banalisé de « délices au chocolat », leurs pauvres ersatz de l’objet de tous les litiges se vendent... comme des petits pains.
A force et longueur de temps, bien sûr, les combattants des deux bords finiront par se fatiguer, même les plus acharnés. Des compromis s’esquisseront : au nord d’une ligne Ouest-Est allant de Brest à Strasbourg, on dira « chocolatine », au sud, « pain au chocolat ». De toute façon, « chocolatine », ça ne fait pas seulement un peu pédé – ça fait belge.
Mais voici déjà qu’une autre ligne de fracture, tout aussi prometteuse de peine et de sang, se dessine : le vent de la discorde souffle là où les uns disent « cuisinière à gaz » et les autres « gazinière » – les adversaires se regardent en chien de faïence, prêts à en découdre.
Mais que fait donc l’ONU ?

20- Avez-vous déjà embrassé sur la bouche et par surprise une joueuse de foot espagnole ?

Damien Broutard