La grande santé nietzschéenne (les chiottes au fond du jardin)

, par Clairette Dedy


« C’était une de ces nuits heureuses où l’on aime écouter, à travers l’obscurité des champs, la voix lointaine et heureuse du Noir qui va faire l’amour »
Carson Mc Cullers, La Ballade du café triste

1- La vie, c’est comme une glace en cornet : coloré, appétissant, abondant au début, de plus en plus décevant, de moins en moins ragoûtant au fur et à mesure que ça commence à couler par tous les bouts et qu’on s’en fout partout. On se dit, avant d’enfourner le dernier morceau de cornet sans goût ni saveur, que l’affaire ne valait pas la peine, qu’on s’est encore fait avoir.

2- Quand j’entends Fabien Roussel parler dans le poste, je me rappelle que l’on a déjà vu des cas de coma pouvant s’éterniser pendant des décennies entières. Sédation profonde, soins palliatifs sont devenus des mots appropriés à la politique des partis. Ce qui est sûr, c’est que ces perpétuels agonisants ne sont pas près de réclamer l’assistance de la médecine en vue d’une mort apaisée.

3- Vivre, blanc, en exil parmi les Blancs – beau programme, pour aujourd’hui comme pour demain !

4- En vue de sauver la planète, il nous faut apprendre à économiser en tout. Ceci inclut le vocabulaire, les mots – vous n’imaginez pas le nombre de mots inutiles que nous dépensons, c’est pire que ces fenêtres qu’on laisse grandes ouvertes en hiver tandis que le chauffage marche à fond. Il faut apprendre à composer des mots inspirés par les économies d’énergie, des mots qui rassemblent deux signifiants en un. Exemple : si vous avez chopé une gastro à cause d’un fromage resté trop longtemps au fond du frigo et que vous en avez conçu une aversion durable pour cet aliment, apprenez à dire que vous êtes fromatisé (peut s’écrire également fraumatisé) plutôt que fabriquer une phrase interminable avec des qui et des que en vue d’expliquer que vous avez chopé une chiasse phénoménale. La planète sera sauvée par une rigoureuse écologie de la parole ou ne le sera pas. Et puis : plus vous serez décroissantistes en la matière, moins vous raconterez de conneries.

5- Vous voulez savoir comment Fernando Pessoa est mort ? A force d’user et d’abuser des hétéronymes, il y est passé à la place d’un autre, le con. Vous réclamez plus de détails ? Eh bien voilà : un jour, cet homme secret et solitaire a publié une nouvelle dans une obscure revue lisboète, sous le nom de Joao Costa-Figueroa. Or, il se trouvait à l’époque, dans un village du fin fond de l’Algarve, un pauvre métayer dont le cancer des poumons avait atteint son stade terminal et qui portait exactement ce nom. C’est ainsi que Pessoa est mort par inadvertance, d’un excès d’hétéronyme et d’un cancer qui ne lui appartenait pas. Moralité : usez des pseudos, des surnoms, des blazes, des noms de guerre et de plume avec modération . Sinon, ça finira forcément mal.

6- Comme on fait son lit on se mouche (sur la taie d’oreiller).

7- Quand on regarde une personne dormir, on pense s’assurer un avantage certain sur elle. Ce qu’on ignore, c’est qu’elle nous voit dans son rêve, et nous juge.

8- Comprends pas : au Tour de France, quand un coureur s’échappe, on le félicite et le récompense. Dans les prisons françaises, quand un type s’évade, on le reprend et on le punit. La différence entre s’échapper et s’évader est-elle si substantielle ?

9- Naguère encore, une blague courante, lorsqu’un rouquin faisait son entrée dans un lieu public, consistait à lâcher une phrase de ce genre : « Messieurs (…) quelqu’un d’entre vous connaîtrait-il l’adresse des pompiers de cet endroit ? M’est avis que ce serait une sage précaution de les avertir » (Julien Green, Moïra).
Eh bien, le vrai progrès de la civilisation des mœurs est visible à l’œil nu : lorsque le député LFI Adrien Quatennens fait son entrée dans l’Hémicycle, ce n’est pas par ce genre de quolibet malséant qu’il est accueilli, mais bien par les imprécations vertueuses des vestales Mitou et tricolores. Là, on sent qu’on avance vraiment.

10- Aux yeux de la plupart des femmes, de toutes espèces et conditions, Satan fait plus jeune que son âge.

11- Ce n’est évidemment pas quand tu as le nez collé sur ton écran que te viennent tes meilleures idées – c’est sous la douche, quand tu étends le linge, en épluchant des carottes, etc.

12- Contemporain de Machiavel et Montaigne, Jean Bodin a jeté les fondements de la théorie moderne de la souveraineté. Aujourd’hui encore, il n’est guère de discussion sur les questions de souveraineté qui ne fasse référence aux Six livres de la République (1576) dont il est l’immortel auteur. Mais Bodin, c’est aussi De la démonomanie des sorciers (1580), un traité militant en faveur de la persécution des sorcières et autres magiciens, persécution dans laquelle il fut lui-même directement engagé. Et puis c’est en sus l’auteur d’une ambitieuse encyclopédie intitulée le Théâtre de la nature universelle dans laquelle il affirme, entre autres âneries, que les serpents s’en prennent davantage aux femmes qu’aux hommes, ceci par un effet de la bonté de Dieu dont la volonté est que « ce qui est de moindre conséquence en la nature soit le premier violé » ; ou bien peut-être, ajoute-t-il, est-ce que cela résulte de « la mortelle antipathie entre la femme et le Serpent, ainsi que nous apprenons en la Sainte Ecriture ».
Dans tous les cas, la chose ne souffre pas la moindre contestation : les serpents mordent davantage les femmes que les hommes.
Moralité : ce n’est pas seulement que tous les auteurs, même les plus grands, même les plus solidement panthéonisés, sont, par définition inégaux quant à la qualité de leurs écrits. C’est aussi qu’il est constant que l’auteur du plus classique des ouvrages, figurant en meilleure place au patrimoine (philosophique, littéraire ou autres) de l’humanité, a aussi publié, et sous le même sceau, les plus farces ou les plus abjectes des insanités.
D’où il découle que notre boussole, ce sera toujours davantage les textes que les auteurs. A la limite, oublier les auteurs et s’émanciper ainsi du fétichisme qui s’attache à leur nom.

14- Il faut faire dégorger l’histoire et la mémoire coloniales, jusqu’au bout, comme les escargots : spectacle peu ragoûtant, mais opération indispensable.

15- L’imbécile qui se tient en équilibre (instable) au sommet de la pyramide de l’Etat : il est tellement imbécile, justement, qu’il ne sait pas que ce qui vient après les Cent-jours, c’est Saint-Hélène...

16- Quelle différence entre Poutine et Buster Keaton ? [1]

17- Si les hommes, en général, évitent de dormir tout nus, c’est que quelque chose demeure dans leur inconscient de la crainte immémoriale de se faire sodomiser, dans leur sommeil et par surprise, par un autre mâle – en rut, celui-ci. C’est également la raison pour laquelle une forte proportion d’entre eux dort plutôt sur le dos que sur le ventre. Ceux qui dorment tout nus et à plat ventre sont a priori suspects. On tient là un invariant culturel, comparable à la prohibition de l’inceste, à ce titre – mais qui a toujours beaucoup moins attiré l’attention des ethnologues, des anthropologues, allez savoir pourquoi. Claude Lévi-Strauss, qui probablement portait au lit des pyjamas de soie sauvage, n’en souffle mot.

18- Dans la vie réelle, les flics sont équipés de vraies armes et ils s’en servent – ils tuent. Dans les films, à la télé, c’est un peu différent : ils sont équipés d’une conscience morale, de scrupules et de dilemmes. Ils sont la fibre souffrante de l’humanité.

19- Absence remarquée de laïus présidentiel à l’occasion du 14 juillet. Difficile en effet de commémorer (autrement que par un défilé militaire agrémenté de la présence de quelques crapules de beau calibre) le souvenir d’une émeute promise à un bel avenir – par les temps qui courent, n’est-ce pas...

20- Avec la canicule, le Tour de France n’a pas été long à se transformer en Four de Transe...

Clairette Dedy

Notes

[1Aucune : ils ne rient jamais, ni l’un ni l’autre... Si, quand même, un peu : le second fait rire en ne riant jamais, le premier ne fait jamais rire en ne riant pas et ne ferait pas rire, même s’il riait – vous suivez ?