Les Israéliens paient le prix fort pour l’oppression des Palestiniens dans la bande de Gaza


Gideon Levy 10 octobre 2023 Haaretz (Israël)

Les menaces de "raser Gaza" ne démontrent qu’une chose : nous n’avons rien appris. L’arrogance persiste, même si Israël paie à nouveau un prix élevé.

Derrière tout cela se cache l’arrogance israélienne : l’idée que nous pouvons faire ce que nous voulons, que nous ne paierons jamais le prix et que nous ne serons pas punis pour cela. Nous continuerons sans être dérangés.

Nous arrêterons, tuerons, harcèlerons, déposséderons et protégerons les colons s’activant à leurs pogroms. Nous visiterons le tombeau de Joseph, le tombeau d’Othniel et l’autel de Josué dans les territoires palestiniens, et bien sûr le Mont du Temple - plus de 5 000 Juifs pour Souccot seulement.

Nous tirerons sur des gens innocents, leur réduirons les yeux en bouillie et leur écraserons le visage, nous expulserons, confisquerons, volerons, arracherons les gens à leur lit, pratiquerons la purification ethnique et bien sûr continuerons le siège incroyable de la bande de Gaza, et tout ira bien.

Nous construirons un terrifiant obstacle autour de Gaza - le mur souterrain seul a coûté 3 milliards de shekels (765 millions de dollars) - et nous serons en sécurité.
Nous compterons sur les génies de l’unité de cyber-renseignement 8200 de l’armée et sur les agents du service de sécurité Shin Bet qui savent tout. Ils nous avertiront à temps.

Nous transférerons la moitié d’une armée de la frontière de Gaza à la frontière de Hawara en Cisjordanie, uniquement pour protéger le député d’extrême droite Zvi Soukkot et les colons. Et tout ira bien, à Hawara comme au passage d’Erez, vers Gaza.

Il s’avère que même l’obstacle le plus sophistiqué et le plus cher du monde peut être franchi avec un vieux bulldozer fumant lorsque la motivation est grande. Cette barrière arrogante peut être franchie à vélo et en mobylette malgré les milliards qui y ont été investis et tous les experts célèbres et les entrepreneurs richissimes.

Nous pensions que nous continuerions à descendre à Gaza, à accorder quelques miettes sous forme de dizaines de milliers de permis de travail en Israël - toujours sous condition de bonne conduite – tout en les gardant en prison. Nous ferons la paix avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, et les Palestiniens seront oubliés jusqu’à ce qu’ils soient effacés, comme le souhaitent de nombreux Israéliens.

Nous continuerons à détenir des milliers de prisonniers palestiniens, parfois sans jugement, la plupart d’entre eux étant des prisonniers politiques. Et pas question de discuter de leur libération, même après des décennies de détention.

Nous leur dirons que seule la force permettra à leurs prisonniers de retrouver la liberté. Nous pensions que nous rejetterions avec arrogance toute tentative de solution diplomatique, simplement parce que nous ne voulons pas nous occuper de tout ça, et que tout continuerait ainsi pour toujours.

Il a été prouvé une fois de plus que ce n’est pas ainsi que ça se passe. Quelques centaines de Palestiniens armés ont franchi la barrière et envahi Israël d’une manière qu’aucun Israélien n’aurait imaginé possible. Quelques centaines de personnes ont prouvé qu’il est impossible de maintenir deux millions de personnes emprisonnées pour toujours sans payer un prix cruel.

Tout comme le vieux bulldozer palestinien fumant a déchiré la barrière la plus intelligente du monde samedi, il a déchiré l’arrogance et l’auto-complaisance d’Israël. Et c’est aussi ainsi qu’il a déchiré l’idée qu’il suffit d’attaquer occasionnellement Gaza avec des drones suicides - et de les vendre à la moitié du monde - pour assurer la sécurité.

Samedi, Israël a vu des images qu’il n’avait jamais vues auparavant. Des véhicules palestiniens patrouillant dans ses villes, des cyclistes entrant par les portes de Gaza. Ces images sapent cette arrogance. Les Palestiniens de Gaza ont décidé qu’ils étaient prêts à payer n’importe quel prix pour un moment de liberté. Y a-t-il de l’espoir dans tout ça ? Non. Israël tirera-t-il des leçons de cette expérience ? Non.

Samedi, on parlait déjà d’effacer des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande de Gaza et de la punir "comme elle n’a jamais été punie auparavant". Mais Israël n’a pas cessé de punir Gaza depuis 1948, pas un instant.

Après 75 ans de mauvais traitements, le pire scénario imaginable l’attend à nouveau. Les menaces de "raser Gaza" ne démontrent qu’une chose : nous n’avons rien appris. L’arrogance persiste, même si Israël paie à nouveau un prix élevé.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu porte une très grande responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais cela n’a pas commencé avec lui et cela ne s’arrêtera pas après son départ. Nous devons maintenant pleurer amèrement pour les victimes israéliennes, mais nous devrions aussi pleurer pour Gaza.

Gaza, dont la plupart des habitants sont des réfugiés créés par Israël. Gaza, qui n’a jamais connu un seul jour de liberté.

[Version originale]

Israelis Made to Suffer the Cruel Price for Oppression of Palestinians in Gaza

The threats of "flattening Gaza" prove only one thing : We haven’t learned a thing. The arrogance is here to stay, even though Israel is paying a high price once again.

Gideon Levy, Oct 10, 2023, Haaretz (Israel)

Behind all this lies Israeli arrogance ; the idea that we can do whatever we like, that we’ll never pay the price and be punished for it. We’ll carry on undisturbed.
We’ll arrest, kill, harass, dispossess and protect the settlers busy with their pogroms. We’ll visit Joseph’s Tomb, Othniel’s Tomb and Joshua’s Altar in the Palestinian territories, and of course the Temple Mount—over 5,000 Jews on Sukkot alone.
We’ll fire at innocent people, take out people’s eyes and smash their faces, expel, confiscate, rob, grab people from their beds, carry out ethnic cleansing and of course continue with the unbelievable siege of the Gaza Strip, and everything will be all right.
We’ll build a terrifying obstacle around Gaza—the underground wall alone cost 3 billion shekels ($765 million)—and we’ll be safe. We’ll rely on the geniuses of the army’s 8200 cyber-intelligence unit and on the Shin Bet security service agents who know everything. They’ll warn us in time.
We’ll transfer half an army from the Gaza border to the Hawara border in the West Bank, only to protect far-right lawmaker Zvi Sukkot and the settlers. And everything will be all right, both in Hawara and at the Erez crossing into Gaza.
It turns out that even the world’s most sophisticated and expensive obstacle can be breached with a smoky old bulldozer when the motivation is great. This arrogant barrier can be crossed by bicycle and moped despite the billions poured into it and all the famous experts and fat-cat contractors.
We thought we’d continue to go down to Gaza, scatter a few crumbs in the form of tens of thousands of Israeli work permits—always contingent on good behavior—and still keep them in prison. We’ll make peace with Saudi Arabia and the United Arab Emirates and the Palestinians will be forgotten until they’re erased, as quite a few Israelis would like.
We’ll keep holding thousands of Palestinian prisoners, sometimes without trial, most of them political prisoners. And we won’t agree to discuss their release even after they’ve been in prison for decades.
We’ll tell them that only by force will their prisoners see freedom. We thought we would arrogantly keep rejecting any attempt at a diplomatic solution, only because we don’t want to deal with all that, and everything would continue that way forever.
Once again it was proved that this isn’t how it is. A few hundred armed Palestinians breached the barrier and invaded Israel in a way no Israeli imagined was possible. A few hundred people proved that it’s impossible to imprison 2 million people forever without paying a cruel price.
Just as the smoky old Palestinian bulldozer tore through the world’s smartest barrier Saturday, it tore away at Israel’s arrogance and complacency. And that’s also how it tore away at the idea that it’s enough to occasionally attack Gaza with suicide drones—and sell them to half the world—to maintain security.
On Saturday, Israel saw pictures it has never seen before. Palestinian vehicles patrolling its cities, bike riders entering through the Gaza gates. These pictures tear away at that arrogance. The Gaza Palestinians have decided they’re willing to pay any price for a moment of freedom. Is there any hope in that ? No. Will Israel learn its lesson ? No.
On Saturday they were already talking about wiping out entire neighborhoods in Gaza, about occupying the Strip and punishing Gaza “as it has never been punished before.” But Israel hasn’t stopped punishing Gaza since 1948, not for a moment.
After 75 years of abuse, the worse possible scenario awaits it once again. The threats of “flattening Gaza” prove only one thing : We haven’t learned a thing. The arrogance is here to stay, even though Israel is paying a high price once again.
Prime Minister Benjamin Netanyahu bears very great responsibility for what happened, and he must pay the price, but it didn’t start with him and it won’t end after he goes. We now have to cry bitterly for the Israeli victims, but we should also cry for Gaza.
Gaza, most of whose residents are refugees created by Israel. Gaza, which has never known a single day of freedom.