Psychopathologie du quart réservataire

, par Armelle Souyon


« J’ai parcouru la moitié de l’Europe, portant, pour toute pièce d’identité, une vieille carte de visite » (Georges Duhamel, Scènes de la vie future, 1930

1- Fini le temps des baisers volés, réputés les meilleurs. François Truffaut en avait pourtant fait le titre d’un film – un classique. Seuls auront cours désormais les baisers consentis (gravez bien cette formule dans vos petites têtes de piafs, elle est destinée à faire époque). Tout ce qui n’est pas baiser consenti sera réputé comme la fausse monnaie du baiser – sévèrement puni par la loi.

2- Le braiement déchirant de l’âne est ce qui se rapproche le plus de la mise en son de la plainte de la victime. Il se pourrait que Nietzsche l’ait dit avant moi – mais ça reste à prouver.

3- Lorsque l’interdiction des abayas à l’école sera définitivement entrée en vigueur, les petites diablesses muslims se mettront à porter des soutien-gorge halal produits en série dans les Emirats, rien que pour faire chier le successeur de Gabriel Attal. Elles les porteront avec ostentation : le tampon « halal » figurera en bonne place sur les bretelles, qu’elles laisseront paraître à loisir, bien sûr. Et à côté du logo Nike, bien sûr encore. Fabien Roussel sera l’un des plus prompts à exiger l’interdiction du port du soutien-gorge halal, au nom des intérêts bien compris du prolétariat français.

4- Quand un mille-pattes mal luné en rencontre un autre, tout aussi grincheux, qu’est-ce qu’il lui dit ? [1]

5- Au temps de ma splendeur lointaine, j’organisais des combats de chats, équipés de mitaines afin d’éviter qu’ils se blessent. J’ai fait pas mal de pognon avec ce truc. C’est plus tard seulement que je me suis lancé dans la politique parlementaire et sénatoriale, avec Méluche.

6- Dans les vieux couples, on se hait généralement avec constance et application. C’est seulement après la disparition de l’un ou l’autre que l’on se réconcilie, parfois. Il se peut même que le.la survivant.e érige tout un culte pathétique et burlesque autour de l’objet de sa détestation passée.

7- « Mais les journalistes ne peuvent dire la vérité, ni même la voir, comme les autres gens le font. C’est une incapacité professionnelle et c’est pourquoi je tiens le journalisme pour la plus démoralisante forme d’activité humaine, confectionnée de phrases toutes faites, de simples occasions quotidiennes et de sentiments changeants »
Joseph Conrad, La ligne d’ombre – une confession

8- Never say « No passaran ! »
Again
’Cause they did pass and pass
Again
’Cause they will pass and pass again
Rather say :
They did pass
They will pass
(again)
But WE’LL BE BACK
Ever and ever.

9- La lancinante petite musique de l’hégémonie : on n’a rien contre l’idée de regarder un vieux film philippin, bien sûr, on est même plutôt pour, ce soir s’il le faut – mais au dernier moment, on finira toujours pas opter pour la dernière en date des séries américaines.

10- If you go and visit the United Swamps, mind the leeches.

11- On peut parfaitement utiliser un jeune macaque comme oreiller, pour la sieste, notamment. Mais à condition de le désigner de manière appropriée : traversinge.

12- Si pour une fois, une fois seulement, ce pouvait être la souris qui accouche d’une montagne !

13- Comme on demandait à N. de mettre des mots sur ce qu’il éprouvait vraiment à l’endroit de la compagne de ses vieux jours, il répondait : « D’une façon générale, qu’elle existe, cela me convient tout à fait. Mais ce que je n’aime pas, en revanche, c’est qu’elle me traîne dans les pattes ».

14- Dans son Journal (Mes soldats de papier, 1933-1941), Victor Klemperer se décrit comme tourmenté chaque jour par l’idée de sa propre mort, ceci à la différence de sa femme Eva qui, elle, est trop occupée pour y penser. L’humanité se diviserait ainsi en deux espèces : la première qui serait habitée, jour après jour, par l’idée de sa mort, et l’autre qui n’y songerait guère. Les hommes seraient-ils davantage préoccupés de leur mort que les femmes ? Klemperer ne le dit pas, mais la question reste à creuser.

15- Sur le chemin de Compostelle, quand l’orage gronde et que les éclairs zèbrent le ciel, le pèlerin a-t-il les foies au point de perdre la foi ?

16- Mourir, on veut bien, puisqu’il le faut, mais tant qu’à faire, que ce soit de notre vivant.

17- Tant qu’il y en aura un ou une pour trouver désirable de faire un selfie avec Macron (ou ce qui sera à sa place dans la suite des temps), la situation demeurera bonne mais pas catastrophique.

18- Tout le monde sait désormais comment a commencé la Troisième guerre mondiale : par une mauvaise blague proférée au cours d’une émission de divertissement très regardée, sur Fox News. Du genre : « Plus un chien mange de riz, plus il a les yeux bridés ». De fil en aiguille, il n’est resté de Los Angeles et Chengdu, Xi’an et Pittsburg, Nankin et Seattle que ruines fumantes et corps carbonisés. Cette prophétie devrait s’entendre comme une incitation à s’abstenir de faire de mauvaises blagues, surtout quand elles ont une connotation raciste.

19- Il y a, dans le monde, infiniment plus de malheur(s) que de chats noirs. Vous pouvez en tirer les conclusions qu’il vous plaira.

20- Des délits et des peines : plutôt que réclamer que les puissants qui se rendent coupables de ces délits et crimes dont les journaux tiennent l’abondante chronique soient envoyés en prison, à l’instar du commun des mortels, nous serions mieux inspirés d’exiger ceci : que leur peine consiste à conduire désormais l’existence du travailleur ordinaire : qu’ils vivent en cité excentrée, se lèvent à l’aube, somnolent dans les transports en commun, fassent la queue à la caisse du supermarché, soient à découvert dès le 15 du mois, passent, l’été et en guise de vacances, une petite semaine chez la belle-mère, etc. Peine terrible, à laquelle la plupart ne survivrait pas.

21- La lecture sur internet, c’est comme le parapente, le deltaplane – on regarde, on survole. On va où le vent nous pousse, à la « vent-comme-j’te pous’ ».

23- - Et qu’est-ce qu’elle fait, dans la vie, votre fille ?
– Psychotique à temps partiel...
– Beau métier ! Et ça gagne bien ?

24- On n’a pas été suffisamment attentif à la relation qui s’établit entre pandémies et (contre-) révolutions conservatrices. Et pourtant : l’irruption du sida, avec toutes ses conséquences, le manque à jouir, l’éloignement des corps, la fin de l’innocence hédoniste sont indissociables de l’interminable hiver politique qui s’annonce dans les années 1980. La pandémie covidienne en rajoute une couche, après les années du préservatif, celles du masque, tandis que montent aux affaires les démagogues populistes et les néo-fascistes. Les pandémies contemporaines, comme sans doute les grandes épidémies de jadis, jouent dans le camp du Malin. Le désir se reterritorialise : on ne veut plus prendre son pied, augmenter sa joie de vivre mais prendre l’avantage, punir, faire souffrir. Les pandémies accélèrent ces reconversions.

25- La peine qui s’associe à la perte d’un.e proche, parent, ami, connaissance, se compense inavouablement par le soulagement de voir disparaître un témoin de notre infamie, de notre honte.

26- Bizarrement, j’ai du mal à imaginer Lénine et Kroupskaïa faisant la bête à deux dos. Carence en vitamines D, probablement, affaiblissement des neurones.

27- Dès que l’on prononçait devant lui les mots « crème fouettée », il ne pouvait retenir l’exclamation facétieuse : « Ah, la garce ! Sûr qu’elle aime ça, qu’elle en redemande ! ». Il se trouvait alors immanquablement une vigilante dans les parages immédiats pour envoyer aussi sec un SMS à sa copine Judith, Mitou à 120%, et dans la demi-heure qui suivait, il recevait deux à trois cents messages de haine. L’avenir est radieux depuis que le progrès technique et le progrès moral ont fusionné.

28- Après le western spaghetti, voici venu le temps du péplum maghrébin – succès planétaire du coup d’essai – Spartacouscous.

29- C’est bien joli de se moquer de Mémère plongée dans d’interminables colloques avec ses chats et chiens – mais vous, vous faites quoi avec Alexa qui n’est jamais qu’un agencement de semi-conducteurs et de fils électriques ? Les chats et les chiens, quand on leur parlent, ils nous regardent. Quid des yeux d’Alexa ?

30- Mieux vaut le plus incorrect, le plus imprononçable des gros mots d’aujourd’hui dans la bouche d’un lascar que le plus parfait des imparfaits du subjonctif dans la gueule de Le Pen.

Armelle Souyon

Notes

[1« Va te faire scolopendre ailleurs ! »