Représentation de la guerre d’Israël contre Gaza dans les journaux vietnamiens en ligne

, par Hanh T. L. Nguyen


Introduction

Ce n’est un secret pour personne que les Vietnamiens ont été déshumanisés dans les récits américains pendant et après la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, les Palestiniens sont traités d’« animaux humains » par les Israéliens [1]. On pourrait s’attendre à ce que les médias vietnamiens – un pays et un peuple qui, pendant longtemps, ont été diabolisés et déshumanisés par la rhétorique américaine et occidentale – tentent de rendre justice à la représentation des Palestiniens dans leurs médias. Cependant, un coup d’œil dans les principaux journaux en ligne du Vietnam révèle une réalité troublante : ils font écho sans critique aux médias occidentaux traditionnels, renforçant les récits israéliens et américains sur la guerre à Gaza.

La description de la guerre à Gaza par les médias occidentaux a fait l’objet de critiques cinglantes de plusieurs côtés. Le Syndicat des Journalistes palestiniens (PJS), membre de la Fédération internationale des Journalistes (FIJ), affirme que les médias occidentaux non seulement ne parviennent pas à fournir la vérité objective, mais agissent comme des canaux de la propagande militaire israélienne pendant la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza [2]. Les experts affirment que, dans le contexte des bombardements de Gaza par Israël, les médias occidentaux « déshumanisent constamment les Palestiniens » et « légitiment les violations [par les Israéliens] du droit international », omettant le contexte historique crucial du traumatisme des Palestiniens qui dure depuis 75 ans [3]. Notamment, des médias comme The Independent, CNN, Fox News et le New York Post ont été critiqués pour avoir diffusé des affirmations non vérifiées, y compris les accusations d’Israël selon lesquelles le Hamas aurait décapité 40 nourrissons. Le New York Times, qui a publié une allégation non fondée selon laquelle le Hamas utiliserait le viol de masse comme arme de guerre, serait en train de colporter de la propagande israélienne [4]. Plus problématique encore, la couverture par CNN de la guerre Israël/Palestine aurait fait l’objet d’un examen par son bureau de Jérusalem opérant sous l’ombre de la censure des Forces de défense israéliennes (FDI [5]). En résumé, la couverture médiatique occidentale de la guerre contre Gaza a été critiquée pour avoir amplifié les récits israéliens, déshumanisé les Palestiniens, négligé le contexte historique et diffusé des affirmations non vérifiées, soulevant des inquiétudes quant à l’objectivité et à la profondeur des reportages.

Selon similar.com, une plateforme qui examine le trafic numérique, les cinq journaux en ligne les plus visités au Vietnam en décembre 2023 sont VnExpress, 24h, Dantri, Tuoitre et Thanhnien [6]. La plupart de ces plates-formes sont gérées par des agences gouvernementales : avec VnExpress sous le contrôle du ministère de la Science et de la Technologie, Dantri affilié au ministère du Travail, des Invalides et des Affaires sociales, Tuoitre sous l’autorité de l’Union de la Jeunesse de Hồ Chí Minh-Ville et Thanhnien associé à l’Union de la Jeunesse du Vietnam. Seul 24h est la propriété privée de la société par actions 24h Online Advertising. Cependant, un rapport de similar.com de décembre 2022 place znews.vn dans le top trois des médias en ligne, au lieu de tuoitre.net, sans pour autant remettre en cause le classement en général. Ce classement indique l’importance soutenue de ces journaux en ligne avant et après le 7 octobre 2023.

Cet article présente un aperçu de la représentation d’Israël et de la Palestine dans ces principaux journaux du 1er au 7 janvier 2024. Après avoir analysé environ 20 articles, les principales conclusions sont les suivantes. Tout d’abord, il y a une forte dépendance de ces médias à l’égard des sources médiatiques occidentales comme l’Agence France-Presse (AFP), le New York Times, Sky News, CNN, Reuters et même The Times of Israel. Deuxièmement, la couverture médiatique privilégie principalement le point de vue israélien, mettant en avant souvent les noms et les histoires israéliens tout en réduisant les Palestiniens à des statistiques sur les victimes. Enfin, il y a une absence notable du contexte de l’occupation illégale de la Cisjordanie et de Gaza par Israël depuis 75 ans et de son blocus sur la bande de Gaza depuis 2007. Le contexte principal invoqué pour expliquer la guerre contre Gaza est l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023.

Dans la section suivante, je présente des preuves tirées de 10 articles sélectionnés, deux de chacun des cinq principaux journaux en ligne du Vietnam. Ces articles sont choisis parmi les publications du premier et du dernier jour de la période observée : le 1er et le 7 janvier 2024. Cependant, en raison de l’absence d’articles liés à la guerre à Gaza le 7 janvier dans dantri.com.vn et tuoitre.vn, j’ai sélectionné deux articles publiés le 9 janvier pour chaque source respective. De plus, le 7 janvier, thanhnien.vn a publié un article dont le titre (« Israël a déclaré avoir éliminé la direction du Hamas dans le nord de Gaza ») semblable à l’article de 24h.com.vn le même jour (« Israël a déclaré avoir “éradiqué” la direction du Hamas dans le nord de Gaza »). Comme ces articles traitent de la même question en utilisant un langage similaire, j’ai opté pour un autre article de thanhnien.vn, publié le 9 janvier, pour représenter la source.

Analyse

En analysant ces articles, je me pose des questions clés : Quelles sont les sources utilisées ? Quel contexte est restitué ? Quel est le point de vue mis en avant ? Comment les individus d’Israël et de Palestine sont-ils représentés, y compris les responsables et les civils israéliens, le Hamas et les civils palestiniens ?

Journal en ligne le mieux classé : VnExpress

Le 1er janvier 2024, VnExpess a publié un article intitulé « L’atout qui aide Israël à s’engager dans une guerre urbaine à Gaza » (Át chủ bài giúp Israel tác chiến giữa đô thị Gaza). [7] Cet article traite de l’utilisation par Israël de véhicules aériens sans pilote (UAV) de petite taille pour le repérage des tunnels à Gaza. Il s’appuie fortement sur des sources telles que le Wall Street Journal, l’AFP et Reuters, reflétant une perspective israélienne. Des responsables israéliens comme le Conseil de Sécurité nationale et l’ancien conseiller Jacob Nagel, ainsi que des alliés d’Israël tels que Blake Resnick, PDG de la société américaine de drones BRINC, et Aviv Shapira, cofondateur et PDG de la société de drones XTEND, décrivent la stratégie d’Israël, soulignant que les drones sont une « bouée de sauvetage » pour les soldats. L’article décrit Gaza comme « un champ de bataille densément peuplé, rempli de mines terrestres et de pièges » et un « labyrinthe souterrain, un endroit comportant des dangers mortels pour chaque soldat ». Les forces du Hamas sont décrites comme « se cachant fréquemment et apparaissant par intermittence ». Il n’y a aucune mention de civils à Gaza, bien que la bande de Gaza soit décrite comme « densément peuplée ». Le fait de présenter Gaza comme un « champ de bataille rempli de mines terrestres » efface effectivement les civils palestiniens vivant dans la bande de Gaza. Cela déforme la réalité, dépeignant les soldats israéliens comme piégés dans une terre périlleuse qui a besoin de soutien, alors que ce sont les Palestiniens qui sont confinés dans une minuscule bande et qui subissent des bombardements aériens, terrestres et maritimes.

Le 7 janvier 2024, VnExpress a publié un autre article, intitulé « La peur d’affronter le Hezbollah hante le peuple d’Israël » [8]. Ses sources incluent le Washington Post, Reuters et l’AFP. Si l’article du 1er janvier adopte le point de vue officiel d’Israël, dans cet article, VnExpress met en avant la voix des civils israéliens dans le contexte d’un conflit armé potentiel entre Israël et le Hezbollah au Liban. Les civils israéliens mentionnés dans cet article sont mentionnés par leur nom, notamment David Shtift, Moshe Davidovich, Dotan Razili, Tirtsa Valentine et bien d’autres.
Directement cités, ils disposent d’un canal pour exprimer leurs inquiétudes : « Ce qui se passe dans le sud est précisément ce que nous craignons qu’il ... se produise ici, c’est la vérité. » Utiliser des mots chargés d’émotion tels que « peur » (nỗi lo), « obsédant » (ám ảnh), « préoccupé » (lo ngại), « ne jamais se sentir en sécurité » (luôn cảm thấy bất an), « amer » (cay đắng), « effrayé » (sợ), « peu sûr de lui » (bất an), « luttant » (vật lộn), ce long article plonge profondément dans les émotions des civils israéliens. L’article suggère que les Israéliens éprouvent ces émotions en raison du manque d’efforts du gouvernement pour fournir une assistance, y compris un logement et des procédures de logement simplifiées. Les personnes évacuées de la région frontalière avec le Liban seraient dans l’incertitude quant à leur maison et aux délais de retour. Cependant, l’accent mis par l’article sur la détresse psychologique israélienne, qui fait pâle figure par rapport à la mort et à la destruction considérables que les Palestiniens ont endurées, est ironique. Il convient de noter que VnExpress, entre le 1er et le 7 janvier 2024, n’a publié aucun rapport d’un point de vue palestinien, montrant une sympathie sélective claire pour les Israéliens.

Deuxième journal en ligne : 24h

Le 1er janvier 2024, 24h a publié un article intitulé « Israël fait face à une série d’attaques à la roquette dès le début de la nouvelle année » [9]. Il s’agit d’une republication du même article publié à l’origine sur le journal en ligne Tiền Phong (tienphong.vn), l’agence centrale de l’Union de la Jeunesse communiste Hồ Chí Minh, citant Reuters et The Times of Israel comme sources.
Le titre dépeint Israël comme la victime des roquettes du Hamas à une date inopportune, en particulier au début de la nouvelle année. De même, l’illustration visuelle intitulée « Attaques à la roquette sur Israël le 1er janvier 2024 », créditée au Times of Israel, renforce le récit de victimisation d’Israël. Cependant, tout au long de l’article, il présente les voix de plusieurs parties, y compris l’armée israélienne, l’armée états-unienne, les forces du Jihad islamique palestinien, les Nations unies, l’Organisation mondiale de la Santé et les civils palestiniens. D’une part, l’article décrit les piétons israéliens devant trouver un abri contre les roquettes du Hamas et cite l’avertissement du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, selon lequel le conflit pourrait durer « de nombreux mois jusqu’à ce que le Hamas soit éliminé et que les otages soient libérés », ce qui, tout comme l’article du 1er janvier de VnExpress, dépeint de manière problématique les priorités d’Israël à Gaza comme étant d’éradiquer le Hamas et de sauver les otages israéliens alors que la conduite d’Israël a prouvé le contraire.

D’autre part, l’article raconte également des histoires de Palestiniens, documente leur nom et leur âge, et les cite directement. Il met en lumière le sort des habitants de Gaza, Hamdan Abu Arab, 20 ans, et Bassam Hana, 29 ans : « Nous avons dû changer de maison cinq fois pendant ce conflit. Nous sommes épuisés. Espérons que les choses iront mieux en 2024. À l’heure actuelle, nous ne vivons pas comme des humains, mais comme des animaux. » L’article cite le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui condamne les « souffrances humaines épouvantables » et les « punitions collectives » infligées aux civils palestiniens. Il fait référence à l’avertissement de l’OMS sur le risque de propagation des maladies infectieuses. L’article mentionne également l’arrivée d’une « délégation du Hamas » du Qatar au Caire le 29 décembre pour discuter du plan proposé par l’Égypte, qui comprend trois étapes : un cessez-le-feu, la libération d’otages et de prisonniers palestiniens et, en fin de compte, la fin du conflit.

En résumé, cet article donne un aperçu des actions et des déclarations des différentes parties impliquées dans le conflit. Il diverge de manière frappante des autres échantillons en soulignant la condamnation par l’ONU des violations du droit international par Israël, en particulier de la punition collective des Palestiniens à Gaza. De plus, le Hamas est dépeint dans sa condition officielle, s’engageant dans des négociations plutôt que d’être dépeint comme des terroristes ou des criminels, comme on le voit dans d’autres articles. Notamment, l’article humanise les Palestiniens en les identifiant par leur nom et leur âge et en citant leurs pensées et leurs sentiments. Cependant, le titre « Israël fait face à une série d’attaques à la roquette dès le début de la nouvelle année » est quelque peu trompeur car il ne résume pas entièrement le contenu principal de l’article.

Le 7 janvier, 24h a publié « Israël a déclaré avoir ‘éradiqué’ la direction du Hamas dans le nord de Gaza » [10]. Semblable à l’autre article de 24h, il s’agit d’une republication d’un article original publié sur le Labor Electronic Newspaper (nld.com.vn), une agence de presse relevant du Comité du Parti de Hồ Chí Minh-Ville. Citant Sky News et Reuters, l’article rapporte les événements du point de vue des responsables israéliens et américains, en mettant en évidence leurs récits. Le contre-amiral Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, a déclaré le 6 janvier qu’Israël avait achevé la destruction de l’infrastructure militaire du Hamas dans le nord de Gaza et éliminé environ 8 000 militants du Hamas. Le Premier ministre israélien Netanyahou a ordonné à l’armée « d’éliminer le Hamas, de sauver tous les otages et de s’assurer que Gaza ne représente aucune menace pour Israël ». Cela renforce le récit douteux d’Israël sur son autodéfense et visant à éradiquer le Hamas et à sauver les otages israéliens. L’article adopte également le point de vue des États-Unis, présentant la quatrième tournée du secrétaire d’État Antony Blinken au Moyen-Orient en trois mois comme un effort pour empêcher l’escalade du conflit, permettant à « l’aide » d’accéder aux civils à Gaza.

Les Palestiniens ne sont mentionnés qu’en termes de statistiques sur les victimes. On dit qu’ils ont « perdu la vie » (thiệt mạng), ce qui est en fait présenté comme un dommage collatéral.

Troisième journal en ligne : Dantri

Le 2 janvier, Dantri a publié un article intitulé « Israël annonce le retrait de milliers de soldats de la bande de Gaza » [11]. L’article, provenant de l’Associated Press News (AP News), présente un point de vue israélien. Il présente des citations directes et indirectes du contre-amiral israélien Daniel Hagari et du général de brigade à la retraite Shlomo Brom, tous deux soulignant la longue durée attendue du conflit à Gaza. Ils expliquent la décision de retirer les soldats pour qu’ils s’entraînent et se reposent. L’affirmation de l’article selon laquelle « des dizaines de milliers de personnes des deux côtés ont été tuées » au cours des derniers mois est grossièrement trompeuse. Au moment de sa publication le 2 janvier 2024, des dizaines de milliers de Palestiniens et environ 1 300 Israéliens ont été tués, dont 1 200 victimes le 7 octobre et 172 soldats depuis lors [12]. En outre, l’article présente l’opération du Hamas le 7 octobre 2023 comme la cause des attaques d’Israël contre Gaza, ignorant le contexte plus large de l’occupation de la Palestine par Israël et du blocus de la bande de Gaza. Comme l’a signalé le groupe de surveillance des médias Fair en 2012, lorsqu’il s’agit de décoder les messages des médias sur Israël/Palestine, il est essentiel de considérer que lorsque les journalistes affirment que les dernières violences ont commencé, « ils choisissent un point de départ pour une raison [13] ». Néanmoins, les médias occidentaux continuent de présenter des chronologies qui positionnent Israël comme répondant à la violence palestinienne, justifiant ainsi le nettoyage ethnique d’Israël à Gaza. Cet article de Dantri, ainsi que d’innombrables autres dans les journaux vietnamiens, cautionne sans réfléchir les crimes d’Israël contre les Palestiniens en faisant écho aux nouvelles occidentales.

L’article suivant de Dantri s’intitule « La mer Rouge se réchauffe : le conflit pourrait éclater et s’intensifier à tout moment » [14], publié le 9 janvier 2024, citant Sky News comme source. Du point de vue des consommateurs occidentaux, l’article explique que l’augmentation des prix des produits de base est attribuée aux attaques des forces houthies, un partisan du Hamas, contre des navires commerciaux, principalement ceux liés à Israël ou en route vers Israël. Mettant en œuvre un récit occidental caractérisé, l’article écrit : « En réponse aux attaques des Houthis, les États-Unis et 12 autres pays, dont le Royaume-Uni, ont mis en place une force d’opérations spéciales navale et lancé la campagne “Défenseur de la prospérité” pour protéger les navires civils. » Cela présente les États-Unis comme un protecteur des navires civils et, par extension, des civils. L’article dépeint en outre les États-Unis et l’Occident comme des protecteurs et des arbitres consciencieux et bienveillants, citant Raphael Cohen, directeur du programme de stratégie et de doctrine à la Rand Air Force : « Les États-Unis, comme la communauté internationale, ont essayé d’éviter de causer un préjudice réel aux Houthis » et que « les États-Unis et leurs alliés sont déchirés entre les objectifs de désescalade dans la région, optant ainsi pour un usage moindre de la force ». Minimisant le contexte des attaques houthies contre des navires commerciaux en mer Rouge, cet article les dépeint uniquement comme des perturbations du commerce mondial plutôt que comme des actes de solidarité avec la lutte palestinienne contre l’occupation israélienne.

Quatrième journal en ligne : Tuoitre

Le 1er janvier 2024, Tuoitre a publié un article intitulé « Les Nations unies avertissent que la moitié de la population de Gaza risque de mourir de faim » [15]. Cet article rend compte de la crise alimentaire à Gaza. Il cite des témoignages de civils palestiniens qui traversent une telle crise. Cependant, pour expliquer la crise, l’article invoque Eylon Levy, porte-parole du gouvernement israélien, qui fait porter au Hamas la responsabilité de la situation actuelle et déclare qu’Israël n’entrave pas les activités d’aide humanitaire à Gaza. Bien que Levy ne fournisse aucune preuve à l’appui de son accusation contre le Hamas (qui se serait emparé de l’aide humanitaire), les responsables occidentaux et arabes affirment que le Hamas est connu pour disposer d’un important stock de fournitures, notamment de nourriture, de carburant et de médicaments. L’article ne traite pas du blocus de Gaza par Israël, qui comprend la coupure des approvisionnements essentiels tels que la nourriture, l’eau, le gaz et les médicaments. Ces actions constituent potentiellement des crimes de guerre au regard du droit international humanitaire.

Le 9 janvier, Tuoitre a publié un autre article, intitulé « Le Hezbollah attaque Israël, vengeant l’élimination d’un commandant de haut rang » [16], citant Reuters comme source. L’article indique que le Hezbollah a attaqué une base militaire israélienne dans la ville de Safed, située près de la frontière israélo-libanaise. La phrase suivante résume l’article ainsi que son récit problématique : « La tension entre les deux parties augmente également les inquiétudes internationales quant à l’escalade potentielle du conflit entre Israël et le Hamas, le transformant en une guerre impliquant Israël contre d’autres organisations islamiques, ainsi que des groupes soutenant le Hamas. »
Premièrement, le bombardement de Gaza par Israël et le meurtre de civils, pour la plupart des individus non membres du Hamas tels que des enfants et des femmes, sont décrits comme un conflit entre Israël et le Hamas uniquement. Trois mois après le début de la guerre, le 9 janvier 2024, lorsque cet article a été publié, Israël avait tué environ 23 000 Palestiniens à Gaza, pour la plupart des civils. Même en Cisjordanie occupée où le Hamas est absent, entre le 7 octobre 2023 et le 9 janvier 2024, plus de 300 Palestiniens ont été tués et un peu moins de 4 000 d’entre eux ont été blessés par les forces israéliennes et les colons [17]. Ainsi, décrire la guerre comme un conflit entre Israël et le Hamas est un abus de langage. Deuxièmement, l’étiquetage répété du Hamas et de ses partisans par l’article comme des « organisations islamiques » dépeint de manière trompeuse le conflit à Gaza comme une guerre religieuse entre l’État juif et un groupe islamique. Cette caractérisation néglige le rôle du Hamas dans la résistance palestinienne en général contre l’occupation et l’apartheid israéliens à Gaza et en Cisjordanie, qui est une lutte de l’occupé contre l’occupant, de l’opprimé contre l’oppresseur, indépendamment de l’appartenance religieuse.

Cinquième journal en ligne : Thanhnien

Le 1er janvier 2024, Thanhnien a publié un article intitulé « Les formidables forces de chiens de combat d’Israël à Gaza » [18], citant The Guardian, le New York Post et le Times of Israël comme sources principales.

Il définit l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 comme le point de départ de l’agression israélienne à Gaza, et les bombardements d’Israël sur Gaza comme une « campagne de réponse ». Sans surprise, la guerre est appelée le « conflit Hamas-Israël » et les assauts d’Israël à Gaza sont atténués en tant qu’« opérations militaires » d’Israël. Cela fait également écho à la propagande d’Israël selon laquelle l’objectif d’Israël à Gaza est d’éliminer le Hamas. Bien qu’il y ait une mention du nombre de victimes et de blessés, il n’y a aucune mention des mots « Palestiniens » ou « Gazaouis » tout au long de l’article.

L’article traite de l’implication de l’unité canine Oketz dans le conflit israélien à Gaza. Le terme neutre « chiens de combat » est traduit par « những chú chó » (vaguement, « amis canins »), un terme qui tend à personnifier les chiens comme mignons et amicaux. En anglais, des termes tels que « soldat » de Tsahal et/ou « tireur » du Hamas montrent une approche biaisée de Tsahal comme légitime et du Hamas comme criminel (la définition de « tireur » dans le dictionnaire en ligne de Cambridge est « un homme, généralement un criminel, qui est armé d’une arme à feu ». [19] La version vietnamienne perpétue la représentation biaisée du Hamas comme de vils criminels et de Tsahal comme de nobles soldats, version renforcée par l’aide des chiens. Alors que les Palestiniens sont rarement mentionnés par leur nom, les chiens de combat d’Israël, nommés Patrick et Toy, sont mis en évidence. En tant que telle, la déshumanisation des Palestiniens est d’une ampleur dévastatrice lorsqu’on la compare à l’humanisation des chiens israéliens.

Le 9 janvier, thanhnien.vn a publié un article intitulé « Le secrétaire d’État américain fait face à une mission difficile en Israël » [20]. Il cite Reuters et le Wall Street Journal comme sources. Cet article adopte le point de vue des États-Unis à l’approche de la quatrième tournée du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, au Moyen-Orient. Après avoir présenté le programme de Blinken au Moyen-Orient, l’article exprime l’inquiétude de Washington face à l’escalade de la violence dans la région. Les États-Unis sont dépeints comme un négociateur de paix qui tente non seulement de faire pression sur Israël pour qu’il présente des mesures immédiates pour augmenter l’aide à Gaza, mais aussi de convaincre les pays arabes de se préparer à jouer un rôle dans les plans de reconstruction, de gestion et de maintien de la sécurité à Gaza une fois qu’Israël aura éliminé le Hamas. Ensuite, l’article présente le point de vue d’Israël avec une section intitulée : « La détermination d’Israël », qui est ensuite clarifiée comme « détermination à se battre », car l’article cite ces mots du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Cela fait également écho aux objectifs très discutables proclamés par Israël à Gaza : « éliminer le Hamas, ramener [en Israël] tous les otages et faire en sorte que Gaza ne soit plus une menace pour Israël ». En bref, cet article s’aligne sur le modèle observé dans les analyses précédentes, servant de canal supplémentaire pour la propagande de guerre israélienne et américaine.

À l’intérieur de l’article, deux vidéos sont montées par un journaliste différent, sans citer de sources. La majeure partie de la première vidéo n’est qu’une représentation visuelle de l’article lui-même, avec des images de Blinken en Jordanie et au Qatar. La vidéo montre également des images de Gaza et de brèves déclarations de deux Gazaouis anonymes sur la visite de Blinken. La deuxième vidéo, intitulée « La bande de Gaza – une terre périlleuse pour les journalistes », est un ajout plus intéressant et une antithèse à l’article dans son ensemble. Doublée d’un sous-titrage – plutôt d’une transcription – en vietnamien, la vidéo met en scène Wael Al-Dahdouh, le chef du bureau d’Al Jazeera à Gaza, qui a tragiquement perdu sa femme, son fils et sa fille dans une frappe aérienne israélienne. Récemment, son fils aîné a également été tué par Israël. La vidéo montre en gros plan Wael Al-Dahdouh en larmes, pleurant la perte de sa famille. Il exhorte les téléspectateurs à être témoins de la souffrance d’innocents Gazaouis à travers leurs propres yeux plutôt qu’à travers l’objectif d’Israël. Ce qui est extrêmement ironique, c’est qu’alors que le journaliste de Gaza supplie les téléspectateurs de discerner la réalité de manière indépendante plutôt que d’accepter le récit d’Israël, la vidéo présentant son plaidoyer est intégrée dans un article de journal qui, lui, qui ne fait que perpétuer la propagande israélienne et américaine. C’est un triste rappel de la façon dont les voix palestiniennes sont étouffées, même lorsqu’elles parviennent à atteindre un public mondial, éclipsées par le récit dominant contrôlé par Israël.

Conclusion

Sur les 10 articles examinés, 9 dépeignent principalement les points de vue d’Israël et des États-Unis, s’adressant à des responsables israéliens et américains, à des civils et à des chiens de combat, tandis que les Palestiniens sont principalement dépeints comme des victimes, avec une visibilité et une représentation minimales. Les articles font souvent référence à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 comme catalyseur de la guerre à Gaza, omettant l’occupation illégale de longue date de la Cisjordanie par Israël et le blocus de Gaza pour le contexte. Beaucoup de ces articles s’appuient sur des sources médiatiques occidentales dont le parti pris pro-israélien a été critiqué par beaucoup.

Alors que les experts mettent en garde contre le fait que les Gazaouis sont confrontés à un génocide [21], ne rapporter qu’un seul côté de l’histoire, en particulier le point de vue de ceux qui pourraient commettre un génocide, est non seulement non professionnel mais aussi contraire à l’éthique. S’il est compréhensible que les journaux vietnamiens manquent de reporters à Gaza en raison des restrictions imposées par Israël à l’entrée des journalistes dans la bande de Gaza, il est inexcusable de répéter comme des perroquets les médias occidentaux sans vérification indépendante. Il existe diverses sources disponibles pour les journalistes vietnamiens au Vietnam afin qu’ils puissent les étudier et s’y appuyer pour leurs reportages. Et pourtant, alors que The Times of Israel est cité à de nombreuses reprises, les médias arabes tels qu’Al Jazeera, avec des journalistes en poste à Gaza partageant des histoires palestiniennes, sont pour la plupart négligés. De plus, des millions de personnes dans le monde entier ont un aperçu de la guerre à Gaza grâce aux comptes de médias sociaux des journalistes palestiniens [22]. Des plateformes comme Facebook (très populaire au Vietnam), TikTok et Instagram permettent à des journalistes palestiniens comme Motaz Azaiza, Bisan Owda et Hind Khoudary de diffuser en direct les difficultés, les victimes et la dévastation auxquelles leur communauté est confrontée. Et pourtant, les journalistes des principaux journaux en ligne vietnamiens semblent ignorer l’existence de ces sources d’information de première main. Même en Occident, des journalistes indépendants, tels qu’Owen Jones et Lowkey, ont produit de nombreux podcasts et vidéos disponibles gratuitement sur des plateformes comme YouTube. Malgré tout cela, les journaux vietnamiens persistent à s’appuyer sur les grands médias occidentaux pour leurs sources.

Dans le meilleur des cas, il s’agit d’un journalisme bâclé. Dans le pire des cas, ces journaux et ces journalistes, peut-être involontairement, sont complices du nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël. Bien que l’agent orange n’ait pas été éliminé du sol et de l’eau vietnamiens, continuant à infliger des infirmités à nos enfants, adopter une perspective américaine dans les reportages sur les atrocités commises par les États-Unis et leur allié génocidaire et de l’apartheid, Israël, est une trahison de notre propre histoire et de notre peuple.

Hanh T. L. Nguyen