« Tout se passe comme si les combattants palestiniens avaient voulu produire un effet-miroir de la guerre menée par Israël contre la Palestine »

, par Alain Naze


Le fait que l’on somme quiconque intervient autour de l’action militaire des Palestiniens de l’identifier comme « terroriste » indique déjà une volonté de disqualifier cette opération, au nom de ce qui serait inacceptable, y compris en situation de guerre. Que le caractère asymétrique de cette guerre impose un certain type d’intervention aux Palestiniens, de cela, il n’est tenu aucun compte. Mais, surtout, cette insistance montre bien que cette opération en territoire israélien a atteint son but, certes pas médiatiquement, mais en termes d’explicitation de la nature de la politique guerrière d’Israël. En effet, tout se passe comme si les combattants palestiniens avaient voulu produire un effet-miroir de la guerre menée par Israël à l’encontre de la Palestine. De cette intervention en territoire israélien des images ont effectivement été produites – filmées par les combattants palestiniens, mais aussi, après coup, par des médias de multiples nations. Or, jusqu’ici, les bombardements israéliens touchant la Palestine étaient seulement relayés au moyen d’un récit froid, indiquant éventuellement le nombre des victimes, mais ne présentant jamais les visages des Palestiniens tués ou estropiés. Cette fois, les reportages se multiplient, qui insistent sur les détails de la mise à mort d’Israéliens, ou qui donnent la parole aux familles de victimes ou d’otages des combattants palestiniens. L’empathie internationale, dès lors, se trouve mise en branle, qui va jusqu’à justifier un soutien inconditionnel à l’égard des mesures de rétorsion qu’Israël pourrait être conduit à adopter. Le fait qu’on prive la Palestine d’eau, d’électricité, de gaz, d’alimentation, tout cela serait légitimé par le fait qu’on se trouve face à des « sauvages » (expression d’un ministre du gouvernement israélien), justifiant qu’on ne respecte plus, en l’occurrence, les lois de la guerre. Netanyahu parle d’ailleurs d’une « vengeance » à exercer à l’encontre des Palestiniens, et pas du tout de justice.
Si l’on peut dire, malgré tout (y compris le déluge de feu s’abattant actuellement sur la Palestine) que cette opération a atteint son but, c’est qu’elle révèle ce qu’a toujours été la politique israélienne à l’égard des Palestiniens – une volonté d’extermination, dans le sens où un « bon » Palestinien devrait être mort, ou intégré à l’Etat d’Israël. Aujourd’hui, au moment où ne pas définir cette opération militaire comme « terroriste » voue quiconque aux gémonies, l’Etat israélien triomphe, dans sa volonté exterminatrice – exceptant les combattants palestiniens de l’humanité, il est dès lors aisé de les livrer à une extermination hors des lois de la guerre. J’insiste : cela n’est pas nouveau, et constitue le fond de la justification israélienne des violences et privations exercées à l’encontre du peuple palestinien. Cette opération a joué à cet égard le rôle de révélateur. N’oublions pas, en effet, que lorsque Israël s’est trouvé en face d’opposants palestiniens plus souples que le Hamas, toujours il a fait en sorte de ne rien céder, ouvrant ainsi la voie à une désespérance dont on mesure aujourd’hui la portée.
Et puis, si cette opération militaire a atteint son but, c’est aussi en ce que, images à l’appui, elle a pu rendre visible ce qui jusqu’ici était invisibilisé : la mort, les mutilations de femmes, d’enfants, sous les bombardements de rétorsion israéliens. Rien de tout cela n’était visible – juste un communiqué froid de l’AFP, signalant des représailles à l’encontre du territoire palestinien. Oui, le meurtre d’enfants israéliens soulève le cœur, mais lorsque les enfants sont palestiniens, cela doit-il moins nous révulser ? Cette opération palestinienne en territoire israélien permet de saisir, enfin, le malheur subi par les populations palestiniennes depuis des décennies. Si j’osais, je dirais que cette opération revêt une vertu pédagogique.
Dans un article d’août-septembre 2006, Le monde diplomatique évoque le documentaire de Claude Lanzmann, Tsahal, lors duquel, en tant qu’interviewer, il laisse passer sans broncher cette parole de généraux de l’armée israélienne : « Notre armée est pure (...), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes] ». Les bombardements sur des zones surpeuplées de Palestine suffisent pour démentir cette affirmation, et lorsque, sur un des théâtres d’opérations actuel des combattants palestiniens revient, inscrite, la même affirmation : « Nous ne tuons ni les femmes ni les enfants », le jeu de miroir est évident. Bien sûr, tout cela passera sous les radars, alors que cette mise en perspective permettrait de saisir les soubassements de cette opération de la résistance palestinienne, me semble-t-il. Cette démonstration par l’action a tout de ce qui caractérise le scandale. Elle est devenue nécessaire, mais gageons qu’elle ne sera pas entendue.