Un truc de l’autre monde

, par Annabella Chipolato


« Et, pour ma part, il serait trop long de raconter comment j’ai gâché ma vie. Elle tombe déjà en ruine ; c’est mon mortier qui ne vaut rien. »
Henri Calet, Le tout sur le tout

1- Etes-vous vraiment inquiets pour l’avenir politique de François Bayrou ?

2- Cyniques : antiplatonichiens.

3- Comment avons-nous pu être assez cons pour être, en son temps, gorbatchévien.ne.s ?

4- Viendra, plus tôt que vous ne le pensez, un temps de manque si cruel que vous disputerez aux chiens des riches les croquettes, dans leurs gamelles.

5- Avez-vous déjà giflé un chat haret ? Un chat à l’arrêt ?

6- La rumeur courut un moment qu’on pourrait arrêter de baiser comme on arrête de boire ou de fumer – rapidement démentie.

7- Les mots ne veulent rien dire. Quand je pense à Charles, roi d’Angleterre, je suis férocement républicain. Quand je pense à Trump, à Les Républicains (LR), au Printemps républicain, je suis tout aussi férocement contre, etc. Les mots de la politique sont comme ces bêtes au pelage soyeux qui vous mordent dès que vous faites mine de les caresser.

8- N’ayant jamais vu personne boire de la honte, ni au verre, ni au goulot, ni même à la pipette, N. s’était convaincu que l’expression « toute honte bue » ne voulait rien dire et il en réprouvait la consommation, avec ou sans modération.

9- Ce qu’ils aiment par-dessus tout, c’est saloper les mots – « populisme », « radicalisation », etc., – les transformer en épouvantails ou en bâtons merdeux. Il existe, en France, toute une grande et belle tradition de littérature populiste dont le trait commun est la tendresse pour le peuple entendu comme populo. Et la radicalisation de la critique, chez Marx, c’est celle qui porte, au-delà de la surface des choses, à la racine (radix) du mal – l’exploitation capitaliste. La pensée devient plus sagace et incisive en se radicalisant, en se portant vers la racine du problème. On est là bien loin des petits goulags hypersécurisés où sont confinés les « radicalisés », dans les prisons françaises.

10- Dans un article tout à la gloire d’un des pères fondateurs de l’universelle sinophobie contemporaine, Simon Leys, le correspondant du Monde à Pékin s’en prend au passage à « l’inénarrable Alain Badiou, butte témoin d’une époque révolue », comme en témoignerait son attachement jamais démenti au maoïsme et à la révolution chinoise [1]. Que ce personnage extravagant, ce semi-dément soit l’un des philosophes français contemporains les plus respectés, lus et traduits aux quatre coins du globe, ce n’est pas cet infime détail qui suffirait à arrêter la plume du petit soldat de l’universelle doxa sinophobique. Pas davantage que ne l’effleure le soupçon que les affinités de Badiou avec le communisme chinois pourraient bien être d’un seul tenant avec son travail philosophique.
Ce n’est pas d’hier que nous savons que ce qui caractérise le con en propre, c’est qu’il ose tout, ne doute de rien et notamment pas de son jugement infaillible – même que c’est à cela qu’on le reconnaît. Que c’est à cela même qu’on le reconnaît, ici à l’outrecuidance du rat qui s’autorise à pisser sur la patte du lion assoupi. La connerie, c’est l’infinie suffisance du journaliste qui, lui, sait, et d’un savoir inoxydable, ce qu’il en est de l’époque présente et des époques révolues – en tant, précisément, qu’il est le gardien des platitudes et de la correction politique du moment. Qui sait que tout énoncé sur la Chine et le régime chinois suppose aujourd’hui un énonciateur en uniforme et qui met son point d’honneur à être férocement et obstinément majoritaire ; qui a de longue date oublié la différence entre vérité et bouillie consensuelle. « Inénarrable », Badiou se tient hors de la portée de la réduction de la philosophie aux conditions des tambouilleurs de la rubrique internationale du Monde. Ceci, par contraste avec son détracteur, bien trop « narrable », lui – entièrement prévisible.
Une époque où le premier venu des folliculaires se sent habilité à faire le coup du mépris à Socrate ou Platon, comme on voudra, puis à le prendre par l’oreille pour le conduire au piquet – ça ne sent jamais très bon. Le jour (proche, assurément) où les enfants des écoles seront conduits en rangs par deux au Musée de la Bêtise Journalistique (MBJ), Frédéric Lemaître y aura sa statue en papier mâché, en bonne place, tout à de suite à droite, en entrant.

11- Mais quand j’aurai un goitre gros comme une orange et annonciateur de l’état de crétinisme définitif dans lequel je sombrerai sous peu – est-ce que tu m’aimeras encore ?

12- Rêvé qu’appelée à effectuer une mission dans l’espace, je devais préalablement obtenir la signature de mon mari sur une feuille blanche, comme sauf-conduit. Je rechignais à effectuer cette mission, craignant de manquer d’air, d’étouffer. Je disais, sans oser trop insister, que je préférerais que ce soit Lou Reed qui y aille à ma place.
Les rêves, c’est vraiment devenu n’importe quoi...

13- Belle stance nietzschéenne à ciseler autour du motif : comment les Allemands sont devenus le peuple le plus vertueux du monde. Réponse : en épousant l’hybris israélienne en secondes noces après leur premier mariage désastreux avec la folle du logis nazie. Mais depuis quand soigne-t-on la peste en s’inoculant la vérole ?

14- Une enquête de terrain : enfermez trois souris affamées dans une boîte à livres pendant trois jours. Libérez-les. Observez selon quel(s) principes(s) elles les ont rongés – les bons plutôt que les mauvais (ou l’inverse), la littérature française en priorité (ou l’inverse), la philosophie plutôt que la littérature ou le jardinage (ou l’inverse) ? Rédigez, en anglais verbeux bien sûr, un article agrémenté du nombre réglementaire de références scientifiques et de citations savantes, proposez-le à Nature. Attendez, espérez.

15- Quand j’étais jeune, j’avais les vieux en horreur. Maintenant que je suis devenue vieille, je déteste les jeunes. La vie est mal foutue.

16- Désormais, à moins de douze femmes qui attestent qu’au cours du dernier demi-siècle tu les as harcelées grave, t’es qu’un minus et les journaux te calculent plus. La notoriété, ça se mérite.

17- Tout le monde veut communiquer avec les morts, mais on s’y prend affreusement mal, avec des vieux trucs qui n’ont jamais marché (faire tourner les tables, frapper dans ses mains en scandant des invocations d’une voix grave, etc.). Alors qu’il serait tellement simple de leur accorder une heure de parloir par mois.

18- Le suprémacisme d’aujourd’hui ne guérit ni ne répare le suprémacisme d’hier, il l’aggrave en en rajoutant une couche. Ce n’est pas le suprémacisme qui corrige le suprémacisme, c’est l’égalité. C’est clair ou faut-il entrer dans les détails ?

19- N. aimait à dire que les Israéliens n’étaient jamais que des pieds noirs qui se prenaient pour les colons du Mayflower. Ce qui lui valait régulièrement toutes sortes d’ennuis, tout en méritant examen et réflexion.

20- Mais alors, si on peut équiper les armes de poing de silencieux, pourquoi pas les perceuses électriques ? Qui feraient, quand on les met en marche, juste ce petit « blop ! » que j’aime entendre, dans les films policiers, quand le type appuie sur la gâchette de son 9 mm ?

21- Voici désormais Lolita devenue, non plus seulement victime mais, comme Jean Genet, comédienne et martyre. C’est bon pour les journaux – ça leur permet de vendre du cul sous emballage vertueux.

Annabella Chipolato

Notes

[1Le Monde, 3/02/2024.