“L’animalité, un analogon de l’humanité”, ou si Kant avait eu un chien

, par Diane Morgan


Dès la première phrase de la première section du premier livre de l’Anthropologie, l’humain se construit sur le dos de l’animal assujetti :
Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivant sur la terre.
(Daβ der Mensch in seiner Vorstellung das Ich haben kann, erhebt ihn unendlich über alle andere auf Erden lebende Wesen). [1]
L’animal est dépossédé d’un « Je » ; il n’est personne ; il est inconscient des changements qui peuvent lui arriver [2]. Relégué au rang de choses dont les humains peuvent disposer « à leur guise » [mit denen man nach Belieben schalten und walten kann], l’animal ne semble pas vraiment avoir sa place en tant que tel dans un débat kantien centré sur l’anthropologie [3]. Conditionné par sa propre bestialité, il ne sert que de faire valoir à la dignité de l’homme [4].
Pourtant, il peut y avoir une autre lecture de l’animalité dans l’œuvre de Kant. Cette autre lecture est non seulement possible, mais nécessaire - ce sera mon argument - si l’on veut saisir les enjeux cosmopolitiques ouverts par le projet de Kant qu’est l’humanité [5]. Si l’on suit le propos de Philonenko, à savoir : « la nature humaine [pour Kant] n’est pas essentiellement un passé qui doit être dé-passé ; c’est surtout un avenir qu’il faut atteindre », il n’existerait pas de loi naturelle qui s’opposerait à une ouverture plus bienveillante à d’autres espèces [6]. Mieux anticiper les conséquences de nos actes, prendre en compte comment « une violation du droit [et il faudrait ici ajouter une discussion de qui détient quels droits] en un seul lieu » peut être « ressentie partout ailleurs », ceci est à l’ordre du jour [7]. Pour être à la hauteur de l’impératif catégorique, relu dans une optique écologique, il faudrait se concevoir comme une part d’un tout, ce qui nécessiterait un engagement responsable de notre côté. Ainsi le disait Kant à sa façon :
Demande-toi toi-même si l’action que tu projettes, si elle devait se produire selon une loi de la nature dont tu ferais toi-même partie, tu pourrais vraiment la reconnaître comme possible pour ta volonté [8].
Beaucoup dépend de cette volonté. Trop souvent l’état actuel des choses étouffe tout projet visant un avenir meilleur ; « la nature humaine » figure comme une forme figée, incapable de se réinventer. Il faut bien de l’imagination, de l’énergie, et même du courage pour vouloir du mieux. C’est beaucoup plus facile de ne pas espérer, de ne pas croire en une possibilité de produire quelque chose de différent, et de continuer à vivre en « appliquant [des] procédés habituels » [9]. Face à notre inertie, Kant nous enjoint de nous aventurer au-delà d’un présupposé statu quo ; à explorer ce qu’on peut faire de l’homme, à activer son potentiel. C’est la raison pour laquelle le projet cosmopolitique nous oriente vers un avenir qui s’ouvre sur d’autres conceptions de vie : c’est le « foyer au sein duquel se développeraient toutes les dispositions originelles de l’espèce humaine » [10]. Pour garder en vue ce projet, il faut adopter un « point de vue plus élevé de l’observation anthropologique », ne pas restreindre ce qui nous est possible par ce que nous faisons déjà, ou par ce que nous avons toujours fait [11]. C’est même le « nous » qui doit être interrogé, sa nature et ses relations avec autrui.

C’est bien la capacité humaine à se comporter différemment qui est mise en avant dans les Leçons d’éthique. Bien que Kant ne soit pas prêt à accorder des droits aux animaux, il nous impose des devoirs envers eux [12].
Ou plus exactement, il suggère que nous devions à nous même des devoirs envers eux. C’est au nom de cette humanité à venir que nous devrions traiter les animaux avec plus de considération, et même d’amour ; de ne pas leur faire du mal quand nous pouvons l’éviter ; de reconnaître tout ce qu’ils font pour nous, même s’il s’agit souvent d’un travail forcé. Nous abîmons « l’affabilité et l’humanité en nous » en tuant notre chien parce qu’il ne nous est plus utile ou serviable. La « cloche de l’ingratitude » [die Glocke der Undankbarkeit], que le vieil âne abandonné par son maître fait sonner par hasard, nous avertit de notre manque de finesse, nous rappelle que nous nous comportons d’une manière indigne de notre potentiel à faire mieux . Elle signale à juste titre qu’il y a grief, même si la bête ne peut l’exprimer elle-même et en tout cas n’a pas le droit de le faire. La cloche nous communique que, pour se situer cosmopolitiquement, il faut repenser nos liens avec le monde et questionner notre position de pouvoir. Il nous reste à faire le travail que Kant n’a pas poursuivi et prendre au sérieux sa proposition que les animaux sont des « analogon[s] de l’humanité » [13]. La reconnaissance du rapport que ces correspondances nous offrent, et c’est une vraie chance, peut contribuer à la mise en forme de la vision kantienne d’un monde meilleur, plus juste, plus beau et potentiellement plus paisible [14].

Dans “Projet de paix perpétuelle”, Kant reconnait clairement comment la guerre, cette source ambivalente de “progrès”, a de tous temps pesé sur le dos des animaux [15]. Il décrit en détail comment, afin d’être utilisés comme “instruments de guerre”, les chevaux et les éléphants sont apprivoisés et domestiqués ; il aurait pu y ajouter les chiens, les pigeons et aussi nous rappeler ces fermes ambulantes, peuplées de vaches, moutons, cochons, qui suivaient les armées pour fournir viande et lait aux troupes [16]. Kant reconnait bien que la civilisation humaine s’est construite en inventant, entre autres, des techniques pour exploiter les animaux comme des “ressources naturelles” [17]. Les humains les ont transformés en matière pour la nourriture et l’habillement, moyens de transport et, dans le cas de la graisse des baleines et des phoques, source d’énergie [18]. Parlant du chasseur, Kant souligne un mode de vie plus primitif que celui de la vie agricole, car entièrement dépendant de l’instrumentalisation d’autres espèces. Il remarque que “[p]armi tous les genres de vie, celui du chasseur est sans nul doute le plus contraire à la condition civilisée” [19]. Par contre, l’agriculture, qui nécessite une vie plus sédentaire, du travail plus soigneux et soutenu dans le temps, a fait proliférer les échanges commerciaux et aussi a promu des rapports plus paisibles entre les gens [20].

Ceci dit, Kant signale que parfois nous ne travaillons pas seulement contre, mais aussi avec ce qu’on appelle “la nature” [21], comme si nos besoins avaient déjà été pris en compte par elle. Il s’agit de l’apparente “prévoyance de la nature” [die Vorsehung der Natur] [22]. L’aptitude des chameaux à traverser le terrain hostile du désert est à mettre en parallèle avec l’ingéniosité humaine déployée pour la construction de bateaux qui traverseront les mers : les chameaux sont en effet “les vaisseaux du désert” [das Kamel, das Schiff der Wüste] [23]. Ils font partie des processus d’hospitalisation de la planète, ils nous accompagnent dans l’histoire et évoluent avec nous. Comme le dit Eric Baratay dans Le point de vue animal : une autre version de l’histoire :
Les animaux vivent dans les conditions imposées par les hommes, en allant de la contrainte brutale à la sollicitation amicale, mais ils réagissent, avec des différences selon les bêtes ou les situations et avec des évolutions, et leurs attitudes rejaillissent sur celles des hommes, les modifient, dans un jeu continu d’interactions. Montrer les conditions subies et les rôles joués permet d’atteindre une réalité plus complexe ; et lorsqu’on accepte l’élargissement de l’histoire et le décentrage du regard, cette réalité est finalement facile à trouver, à observer, à écrire. Le versant animal complète et enrichit le versant humain, mais il a aussi son autonomie et son intérêt propre aiguisé par l’intérêt toujours plus fort pour les animaux et les inquiétudes croissantes sur l’avenir de la biodiversité [24].
Kant lui aussi réclame une autre version de l’histoire qui se dissocie des récits conventionnels et qui produirait une autre optique sur les événements, plus englobante, mais il ne va pas pour autant jusqu’à l’inclusion explicite du point de vue de l’animal et à l’interaction sensible avec l’animal. Il dit :
La nature a ses phénomènes mais l’être humain a aussi ses phénomènes. Personne n’a encore écrit une histoire du monde qui fût aussi une histoire de l’humanité, et pas seulement une histoire des états et leurs changements (qui compte pour beaucoup mais qui n’est en fin de compte qu’une petite partie d’un tout). Toutes les histoires des guerres se ressemblent : elles ne contiennent qu’un descriptif de batailles. Mais dans le long terme [im gantzen genommen], qu’une bataille soit gagnée ou non ne change pas grand-chose. C’est la raison pour laquelle plus d’attention devrait être prêtée aux humains. Hume nous en a donné la preuve avec son Histoire d’Angleterre. Observer l’humain et ses comportements et regrouper ses phénomènes suivant des règles, c’est le but de l’anthropologie [25].
Afin de s’investir vraiment dans “le long terme”, Kant devrait, pour citer le document sur l’approche éco-systémique de la COP 5 (de l’an 2000), tenir compte « des échelles temporelles et des décalages variables qui caractérisent les processus écologiques », et ainsi respecter plus les diverses vies qui forment le monde [26]. Ce faisant, il entrerait forcément en conflit, selon ce même document, avec « la tendance humaine à privilégier les avantages à court terme et à préférer le profit immédiat aux avantages futurs » [27]. Mais ce décentrement des intérêts purement anthropocentriques ne devrait pas lui poser problème, car Kant a toujours été très critique envers les gratifications trop faciles et en définitive illusoires [28]. De plus, il vient de dire que l’anthropologie pragmatique vise à connaître le monde et que ce monde consiste en “la quintessence de tous les rapports dans lesquels l’humain peut entrer et où il peut exercer sa compréhension et son adresse” [Durch die Welt wird hier verstanden der Inbegriff aller Verhältnisse, in die der Mensch kommen kann, wo er seine Einsichten und Geschicklichkeiten ausüben kann] [29]. Il devrait ainsi être obligé d’entrer plus dans la complexité synergétique du rapport humain/animal qui n’est pas seulement “double” [zwiefach], c’est-à-dire “le monde comme objet de nos sens internes” (l’humain) et “le monde comme objet de nos sens externes” (la nature) [30], mais aussi - et j’ajoute- souvent “contradictoire” [zwiespältig]. Kant nous en donne un exemple dans la Critique de la raison pratique en parlant d’expériences sur les animaux, plus précisément sur les insectes [31]. Même si les avancées scientifiques sont souvent faites en s’emparant de spécimens d’autres espèces, et en les torturant, il se peut cependant qu’une petite brèche s’ouvre parfois dans les rapports instrumentalisants avec d’autres formes vivantes. Kant raconte l’anecdote suivante :
Un naturaliste finit bien par aimer des objets qui au départ heurtent ses sens, quand il découvre la merveilleuse finalité de leur organisation et qu’ainsi sa raison se réjouit à la contempler, et Leibniz, après avoir attentivement examiné un insecte au microscope, le posait à nouveau précautionneusement sur sa feuille, parce qu’il trouvait qu’il s’était instruit à le regarder et qu’il en avait reçu pour ainsi dire un bienfait [32].
L’évolution dans la mentalité du naturaliste grâce à sa rencontre avec un autre être vivant ne suffit pas pour apporter une vraie (pure) “valeur morale” à ses actes, car son “amour” pour l’insecte en question est trop informé par sa propre gratification : il “aime” “ce dont la considération [lui] permet de sentir l’élargissement de l’usage de [ses] facultés de connaître”. Néanmoins, cette façon de penser « selon les lois morales » acquiert « une forme de beauté que l’on admire, mais que l’on ne recherche pas encore pour autant » [33].

C’est en effet la beauté qui peut nous préparer “à aimer quelque chose, même la nature, d’une façon désintéressée” (et le sublime à “l’estimer hautement”, avec plus de respect) [Die Schöne bereitet uns vor, etwas, selbst die Natur, ohne Interesse zu lieben ; das Erhabene, es, selbst wider unser sinnliches Interesse, hochzuschätzen] [34]. Le soin (ou ce qu’on tend à appeler aujourd’hui le care) d’un Leibniz n’est pas encore à la hauteur du jugement esthétique [35], mais il peut lui préparer le chemin. Du même ordre est le soin qu’on peut prendre avec les animaux de compagnie. Comme un exemple “[du] pouvoir du mental d’être maître de ses sentiments maladifs par sa seule résolution”, Kant cite le cas d’un “homme âgé” qui parvenait à “exciter ses forces” et à rajeunir ainsi sa vie en s’occupant de ses oiseaux :
[Il] trouvait dans le nourrissage et le soin de ses oiseaux chanteurs amplement de quoi occuper son temps, entre son propre nourrissage et le sommeil [36].
Kant considère que les petites préoccupations de ce monsieur ordinaire apportent autant de bienfaits à la longévité que celles d’un grand philosophe qui, lui, stimule ses forces vitales avec des idées profondes. Le fait de donner à manger à l’autre, comme à soi-même, met en pratique le sens même du compagnonnage, com panis (« avec pain ») [37]. Dans cette scène, la main n’est pas seulement cette disposition [die Anlage], dite “technique”, qui pour Kant distingue l’humain “de façon frappante de tous les autres êtres naturels” en le rendant apte à manier les choses tangibles [die Handhabung der Sachen] aussi bien qu’intellectuelles [38]. Loin d’être un outil de maîtrise, la preuve de la supériorité de l’espèce humaine, la main contribue ici à la formation de ce que Donna Haraway appelle “un devenir mondain” (“becoming worldy”), qui se veut être une autre forme de mondialisation que celle qui domine la société de la consommation [39]. Pour Haraway, ce « devenir mondain » est intimement impliqué dans le quotidien : il “se débat avec l’ordinaire, plutôt que de généraliser à partir de l’ordinaire” [we learn to be worldly from grappling with, rather than generalising from, the ordinary”] [40]. Les petites préhensions attentionnées de la vie de tous les jours peuvent constituer “des variétés imprévisibles du “nous” [unpredictable kinds of “we”] ; de ces rencontres entre “espèces de compagnie” émergent des “nœuds inter-spéciaux” [41]. Ici Haraway rejoint Stengers, parmi d’autres. Ainsi, Lolive et Soubeyran définissent la réflexion cosmopolitique comme la volonté de :
Repenser les mondes communs comme un cosmos pour tenter d’intégrer l’étranger, d’absorber l’hétérogène dans un nouvel ordre du monde qui demeure juste et lui restitue sa beauté. Les cosmopolitiques explorent de nouvelles conditions de possibilité de la politique, mais c’est une politique méconnaissable puisqu’elle est bâtie autour de l’étrangeté (humaine et non humaine) [42].
Il faut revoir ce que Kant appelait “les phénomènes”, en les rencontrant vraiment. Cette re-vision donnerait le sens même de l’acte de respect, de respecere. Pour citer Haraway :
Tenir en regard, répondre, se regarder réciproquement, remarquer, prêter attention à, avoir un regard courtois, estimer : tout cela fait partie des salutations polies et contribue au polis, quand et où les espèces se rencontrent (ma traduction) [43].
Un total manque de ce respect envers l’animal domestique apparaît dans “Qu’est-ce que les Lumières ?”. L’animal figure ici pour nourrir une analogie avec le sort des femmes dans le monde dit civilisé. Kant écrit :
Après avoir rendu bien sot leur bétail (Hausvieh) et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où ils les ont enfermés, ils leur montrent les dangers qui les menace, si elles [les femmes] osaient s’aventurer seules au dehors [44].
La “connaissance relationnelle” entre “deux choses dissimilaires” qu’une analogie rend possible est ici sous-exploitée par Kant [45]. Dans son livre Hospitalités, René Schérer élargit l’analyse pour nous, tout en appuyant sur la situation précise des animaux domestiqués. Il écrit :
Si on transpose [ce passage de Kant] à la situation présente, tous les mots portent. Celui de bétail, car c’est bien d’animaux qu’il s’agit, parqués dans des pièces étouffantes, puantes, l’impossibilité de faire un pas “hors du parc”, le “rendu bien sot” correspondant à la dégradation humiliante de l’individu… Et surtout ces mots portent, à la fois, sur ceux qui subissent la déshumanisation, justifiant la manière dont on les traite, et sur le si stupide bétail de la population autochtone, entretenus dans l’idée du danger de l’immigration et de la politique d’endiguement des flux [46].
Schérer attire bien notre attention sur les mécanismes de “dégradation” que certains animaux et certains humains peuvent avoir en commun. Il faut bien reconnaître les effets nocifs engendrés par la subjugation de l’animal, par sa relégation à une position inférieure. Kant en donne une démonstration flagrante dans son “Compte rendu de l’ouvrage de Herder : Idée en vue d’une philosophie de l’histoire de l’humanité”. Ayant présenté ce qui doit être compris comme une hiérarchie des félicités à attendre de la vie - celle d’un animal, puis celle d’un enfant, celle d’un jeune homme, et enfin celle d’un homme - Kant s’adresse à Herder :
L’opinion de notre auteur serait-elle celle-ci ? Que si les heureux habitants de Tahiti n’avaient jamais reçu la visite de nations plus policées et se trouvaient destinés à vivre dans leur tranquille indolence encore des milliers de siècles, on tiendrait une réponse à la question : à quoi bon l’existence de ces gens et est-ce qu’il ne vaudrait pas autant avoir peuplé ces îles de moutons et de veaux heureux que d’hommes heureux dans leur pure satisfaction physique ? (c’est moi qui souligne)
Meint der Herr Verfasser wohl, dass, wenn die glücklichen Einwohner von Otaheite, niemals von gesittetern Nationen besucht, ihrer ruhigen Indolenz auch Tausende von Jahrhunderte durch zu leben bestimmt wären, man eine befriedigende Antwort auf die Frage geben könnte, warum sie denn gar existieren, und ob es nicht eben so gut gewesen wäre, dass diese Insel mit glücklichen Schafen und Rindern, als mit im blossen Genusse glücklichen Menschen besetzt gewesen wäre [47].
L’abaissement de l’animal fraye le chemin pour celui des Tahitiens [48]. Apparemment les vies des moutons et des vaches ne valent pas grande chose, et de même, si les Tahitiens étaient restés attachés à leur niveau de félicité naturelle, leurs vies n’auraient compté pour rien. Par voie de conséquence, la colonisation figure comme une intervention salvatrice, en les obligeant à se “civiliser”. Sans elle, on aurait pu se demander, dit Kant : “à quoi bon l’existence de ces gens ?… warum sie denn ganz existieren ?”. Il est difficile de voir dans ce passage une célébration de la différence culturelle, entre humains, sans parler même de celle entre les humains et les animaux [49].

Il semble que l’esclavage, corollaire de la colonisation, soit condamné par Kant à partir des années 1790 [50], mais son abolition est nullement envisagée pour l’animal. En parlant de “la luxure dénuée de toute spiritualité” dans “Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine” comme “l’esclavage le plus abject, jointe à tout le cortège de perversités de l’état barbare”, Kant écrit :
[Le luxe] détourna inévitablement le genre humain des voies qui lui étaient tracées par la nature, pour développer ses dispositions au Bien ; et par là il se rendit indigne même de son existence, qui est celle d’une race destinée à dominer la terre et non pas à jouir de façon animale et à vivre servilement comme des esclaves [51].
La condamnation d’un certain type d’esclavage repose sur le dos des animaux assujettis ; la logique de la division entre l’humain et ce qu’on appelle “l’animal” le mène à présenter son embrigadement, son emprisonnement, sa servitude, comme volontaire [52]. Un autre rapport à l’animal doit bien nous être possible ; il est même peut-être nécessaire pour vraiment explorer ce que l’humain « fait ou peut et doit faire de lui-même », s’il s’agit bien là de l’objet de l’Anthropologie de Kant [53].

Michel Foucault souligne que le monde de l’Anthropologie de Kant ne consiste pas en “l’opposition de l’homme et de la nature”. Il écrit que :
La tâche de se diriger vers une Weltkenntnis est tout entière confiée à une Anthropologie qui ne rencontre plus la nature que sous la forme déjà habitable de la Terre (Erde) [54].
A contrario d’un point de vue déterminant qui fixerait l’humain dans une propre identité, la visée anthropologique comprise ainsi serait la vision d’une “cité à bâtir” plutôt “qu’[un] cosmos déjà donné” [55]. Il faudrait donc revisiter les dernières lignes de l’œuvre qui envisage :
…l’organisation progressive des citoyens de la terre dans et vers l’espèce en tant que système dont le lien est cosmopolitique [56].
…die Erreichung des Zwecks [kann]…nur durch fortschreitende Organisation der Erdbürger in und zu der Gattung als einem System, d.i kosmopolitisch verbunden ist, erwartet warden [57].

Dans l’avenir, et aussi pour l’avenir, les animaux devront pouvoir compter comme citoyens, et pour être véritablement cosmopolitique, le “système” devra embrasser plus que l’espèce humaine. Dans l’entretemps, on devrait au moins reconsidérer le Haustier, l’animal domestiqué/ domestique, cet analogue de la femme de bonne société [58]. Sa situation peut aussi présenter, pour citer encore Foucault, « un réseau où ni le droit ni la morale ne sont jamais donnés à l’état pur mais où leur entrecroisement offre à l’action humaine - et il faut ajouter “à l’action animale ” - son espace de jeu (Spielraum), sa latitude concrète » [59].

Pour conclure, si Kant avait eu un chien, il aurait non seulement bénéficié d’une bonne garde contre “les sentiments maladifs provenant de pensées intempestives” en se promenant avec lui [60], mais il aurait aussi pu approfondir ses réflexions sur les possibles “espaces de jeu” inter-espèces.

Diane Morgan,
School of Fine Art, History of Art & Cultural Studies,
University of Leeds,
Angleterre, R.U.

Notes

[1I. Kant Anthropologie in pragmatischer Hinsicht AK VII 7, 127 ; trad. et introduction de M. Foucault Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Vrin, 2008, p.89.

[2Voir l’analyse de J. Derrida, L’animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006, p.132 : « C’est parce qu’il ne serait capable de cette autotélie autodéictique ou autoréférence que, privé du « Je », l’animal serait à la fois sans « je pense », sans entendement et sans raison, sans réponse et sans responsabilité ». Ce geste kantien de dénigrement envers l’animal se répète, à peu d’exceptions près (notamment Nietzsche), à travers toute l’histoire de la philosophie. Pour une idée de comment cette violence épistémologique peut avoir des effets terrifiants sur l’animal, voir M. Horkheimer et Th. Adorno La dialectique de la raison, Paris, Gallimard 2015, p.375 : « l’animal répond à son nom et n’a pas de moi, il est refermé sur lui-même et cependant exposé à l’extériorité, une contrainte succède à l’autre, aucune idée ne la transcende » (c’est moi qui souligne).

[3APP AK VII, 127 ; trad. Foucault op cit p.89. Je rappelle que pour Heidegger, c’est justement l’« en tant que tel » qui manque à ce qu’on appelle - avec paresse, mais aussi avec violence, linguistique, psychologique, sociologique et souvent physique - « l’animal ». Voir par exemple Heidegger : Les concepts fondamentaux de la métaphysique §47a : le rocher comme rocher [die Felsplatte als Felsplatte] n’est pas accessible [zugänglich] au lézard. Voir aussi Derrida op cit pp. 218-9.

[4Ici, il n’y a rien d’étonnant ; c’est bien la raison pour laquelle Elizabeth Costello, dans le récit de Coetzee The Lives of Animals, préfère les poètes aux philosophes. Au moins ces premiers sont sensibles aux “autres façons d’être-dans-le-monde” (J.M.Coetzee The Lives of Animals Princeton, New Jersey, Princeton U.P.,1999 p.51). Par contraste, les philosophes sont en général trop bornés par leur investissement dans notre “raison”, qui n’est qu’un seul aspect de la vie de l’esprit, pour s’aventurer vers une rencontre avec d’autres formes de vie. Au sujet de cette même fameuse « raison », on peut se demander, non seulement si elle appartient uniquement à l’espèce humaine, mais aussi si sa possession nous donne véritablement les clés de l’univers. Peut-être ne vaut-elle pas tant que ça. Si elle est une invention de l’“animal malin” [kluges Tier] qu’est l’humain, ceci n’exclut pas pour autant que d’autres espèces puissent se considérer eux-mêmes aussi fûtés que nous pour se débrouiller dans la vie (Nietzsche “Uber Wahrheit und Lüge im aussermoralischen Sinne” in KSA Bd. I dtv/de Gruyter1988 ; 875 23, à comparer par ex. avec l’anecdote concernant les poux dans HGN AK I 353). C’est bien l’intuition de Costello et, pensait-elle, initialement aussi celle de Kant. Elle se déclare en fin de compte déçue par lui. Elle considère que finalement le courage intellectuel lui faisait défaut quand il s’agissait de prendre en compte la validité des points de vue d’autres espèces sur le monde, et par conséquence d’accepter la relativité de la nôtre. Notre “raison” ne devrait pas nous accorder un sentiment de supériorité à l’égard d’autrui (Coetzee op cit p.25).

[5Jean-Christophe Bailly présente le monde animal comme “la conjugaison active du divers” et propose qu’elle “devrait avoir valeur de test, si tant est que la politique consiste dans la mise à l’épreuve de la capacité à installer dans le vivant des formes d’association susceptibles de tendre des liens et de fournir des seuils” (J- C Bailly Le parti pris des animaux, Paris, Christian Bourgeois, 2013, p.8-9). La “cosmopolitique” pourrait être justement considérée comme l’“installation” ainsi décrite.

[6A. Philonenko Théorie et pratique dans la pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793 Paris, Vrin, 1968, p. 40. Pour que cette référence à une « ouverture » envers les autres formes vivantes ne reste pas dépourvue de sens, un geste bien-pensant mais vide de contenu, il faudrait creuser plus le sujet. Une ouverture de quoi exactement, envers qui, de quelle manière, selon quels critères et sous quelle forme ? Il nous serait nécessaire de prendre en compte la Huitième « Elégie de Duino » de Rilke (« A pleins regards, la créature/ voit dans l’Ouvert… ») et la fameuse réplique de Heidegger dans Parmenides, Gesamtausgabe Bd.54 p. 225-240, mais aussi Les concepts fondamentaux de la métaphysik par ex. p.309, où il nie la possibilité d’exister avec un animal, même d’être avec eux : « Dieses Mitsein ist aber auch kein Mitexistieren, sofern ein Hund nicht existiert, sondern nur lebt. Dieses Mitsein mit den Tieren ist so, dass wir die Tiere in unserer Welt sich bewegen lassen » (Die Grundbegriffe der Metaphysik Gesamtausgabe Bd. 29/30. p.308). Pour Heidegger, les « rencontres » entre les espèces, telles que célébrées par Haraway (voir ci-dessous), n’entrent pas en jeu. Je dirais qu’en conséquence, ce n’est pas seul l’animal qui est « pauvre en monde » (weltarm), mais nous aussi. A la place du sentiment heureux de partager quelque chose, même indéfini, avec un être à la fois très différent et semblant pourtant avoir quelque chose en commun avec nous, on sent une sorte de malaise : « Le chien mange avec nous – non, il ne mange pas. Et oui, avec nous ! Un aller-avec, un état de déplacement – et pourtant pas » (« [Der Hund] iβt mit uns- nein er iβt nicht. Und doch mit uns ! Ein Mitgehen, eine Versetztheit- und doch nicht »). C’est comme si, au lieu d’apprécier le dépaysement et d’intégrer l’ambiguïté de la relation animal-humain, le fait par exemple qu’elle peut nous faire sortir de nos histoires psychologiques humaines, trop humaines, Heidegger se sent gêné par le fait qu’il ne peut pas la catégoriser. A voir aussi G. Agamben L’ouvert : de l’homme et de l’animal (Paris, Rivage, 2016) et E. L. Santner On Creaturely Life Chicago, University of Chicago Press 2006). Voir plus bas l’exemple du vieux monsieur avec son oiseau qui indique un Kant potentiellement plus sensible qu’un Heidegger au rapport humain - animal domestique.

[7PPP AK VIII, 360 trad. Fr. J. Gibelin Paris, Vrin, p.33.

[8CRP AK V, 69 ; trad. fr. J-P Fussler Garnier Flammarion 2003, p. 177

[9PPP AK VIII, 374 ; trad. fr. p62. Kant parle souvent de l’importance de l’espoir : « Cette espérance en des temps meilleurs, sans laquelle un désir sérieux de faire quelque chose d’utile au bien général n’aurait jamais chauffé le cœur humain... » (T&P p.54). Derrière chaque invention, il y a la volonté d’espérer quelque chose de nouveau. Sans elle, nous n’aurions jamais eu de « voyage[s] aérien[s] en aérostats » (ibid p.55). Même si indéniablement les avions nous amènent aujourd’hui des soucis écologiques, nous serions passés à côté de beaucoup d’expériences en ne les inventant pas. Notre conception du globe - si importante pour une mobilisation concertée contre le changement climatique - dépend pour une grande part « des vues d’en haut » (voir le catalogue de l’exposition du même nom qui a eu lieu au Centre Pompidou Metz sous la direction d’Angela Lampe 2013). La façon dont divers points de vue informe la pensée cosmopolitique de Kant est le sujet de mon livre Kant, Cosmopolitics and Globality (à paraître en 2019).

[10IHU, AK VIII, 28. trad. fr. par L. Ferry, Paris, Gallimard, p.31.

[11PPP AK VIII, 374, trad. Fr. Gibelin p. 62.

[12Eine Vorlesung über Ethik ed. G. Gerhardt, Frankfurt am Main, Fischer 1990, p256. Selon Kant, nous pouvons bien nous demander pourquoi les animaux existent, alors que cette même question ne se présente pas s’agissant des humains (à l’exception des Tahitiens dans leur condition naturelle originelle - cette remarque choquante de Kant sera discutée plus tard). Les humains ne sont pas réductibles à de purs moyens ; en revanche, l’animal ne trouve sa raison d’être qu’au travers de son utilité. Heureusement, l’apport esthétique, avec sa « finalité sans fin » (Zweckmässigkeit ohne Zweck), nous sort de cette façon de penser instrumentalisante et nous rend capable d’apprécier, et même d’aimer, les créatures, les fleurs, les arbres, les pierres « sans intérêt »… Nous risquions sinon de n’avoir que du mépris pour le monde naturel. L’avantage de la proposition de Kant que les animaux n’ont pas de droits, mais que nous avons des devoirs envers eux (car ce sont des devoirs indirects envers nous-même, c’est-à-dire l’ensemble nommé « l’humanité » auquel nous devrions aspirer), est qu’elle nous évite la discussion autour de qui devrait, voire « mérite », d’avoir des droits. Cette discussion n’est non seulement sans fin, mais est aussi forcément injuste : les primates seraient probablement accordés une protection, mais c’est mal parti pour les rats ou les cafards (même s’ils souffrent). Jeremy Bentham, qui nous a dit "[l]a question n’est pas : "Peuvent-ils raisonner ?", ni "Peuvent-ils parler ?", mais "Peuvent-ils souffrir ?" a aussi annoncé un jour où “tout ce qui respire sera protégé" : “The time will come when humanity will extend its mantle over everything which breathes” (Bentham Introduction to the Principles of Morals and Legislation). Ainsi il nous sollicite à élargir notre conception des droits au-delà même du domaine des animaux ; les plantes « respirent ». L’air même, respire-t-il ? (Bentham Introduction to the Principles of Morals and Legislation). Pour la réticence de Derrida sur la question des droits d’animaux, voir L’animal que donc je suis (op cit p. 122-3) ; aussi les discussions entre B. Cyrulnik, E de Fontenay et P. Singer dans Les animaux aussi ont des droits, entretiens réalisés par K. L. Matignon avec D. Rosane, Paris, Editions du seuil 2013. A noter que Kant sort écorné de ce débat : « ... la tradition kantienne de base semble perdurer encore à ce jour en Europe continentale, les animaux ne comptent pas, on continue de mettre l’emphase sur la dignité humaine, sur la spécificité humaine, sur le respect pour les humains et, bien évidemment, l’accent sur la différence entre l’Homme et le reste du monde vivant » (Singer dans ibid p24). Mais il est intéressant de noter que, comme Elizabeth Costello, Peter Singer exprime sa déception envers Kant : « Kant n’aurait pas dû se prononcer ainsi sur les animaux » (ibid). De Kant, on aurait pu attendre mieux : sa position sur la question animale n’est pas à la hauteur de sa pensée (de même sur l’ethnicité. Voir R. Bernasconi « Kant’s Third Thoughts on Race » in Reading Kant’s Geography sous la direction de S. Elden & E. Mendieta , N.Y. : S.U.N.Y 2011)).

[13« Leçons d’éthique », AK XXVII, 459.

[14J’emploie le terme « correspondances » par référence au poème de Baudelaire du même nom : « La nature est un temple où de vivant piliers/ Laissent parfois sortir de confuses paroles/ L’homme y passe à travers des forêts de symboles/ Qui l’observent avec des regards familiers ». Le défi pour un philosophe sera peut-être d’apprécier que « les paroles » de la nature restent « confuses ».

[15Derrida souligne comment pour Kant « [la] socialisation de la culture humaine va de pair » avec une certaine conquête de l’animal, avec son « affaiblissement » [Schwächung], « avec la domestication de la bête apprivoisée ». Derrida y ajoute que la production du « bétail » est même inhérente à « [la] constitution politique, [au] politique » (Derrida ibid p. 134, Kant APP, AK VII 327). C’est pour cela qu’une cosmopolitique devrait surmonter ce rapport de force pour établir d’autres façons, plus paisibles et plus positives, de coexister dans ce monde. Pour certains, il reste peu d’espoir que cela soit encore possible. Pour eux, cette guerre contre les bêtes sauvages a été achevée il y a longtemps et nous, les humains, l’avons définitivement gagnée. Comme le dit de nouveau Costello (Coetzee op cit 25) : « Aujourd’hui, ces créatures-là n’ont plus de pouvoir sur nous. Aux animaux ne restent que leur silence pour nous confronter ». Il y a presque quarante ans, John Berger annonçait déjà que « [c]es derniers siècles, les animaux ont progressivement disparu… nous vivons sans eux ». Réduits au statut d’objet et de marchandises, les animaux ne peuvent plus servir de « médiateurs entre l’homme et ses origines ». Nos anciens liens avec eux sont coupés, peut-être pour toujours, et « la solitude de l’homme en tant qu’espèce » en est le résultat (J. Berger « Pourquoi regarder les animaux ? » dans Au regard au regard, Paris, L’Arche, 1980, p.10-11). Il nous reste à voir si, malgré ses idées arrêtées sur l’animalité, Kant posséderait quand même quelques ressources à nous proposer pour réinventer ce lien.

[16L’exposition « Animaux et guerres » au musée de l’Armée à Paris (qui a eu lieu du 2/08/2017 au 9/10/2017) a bien attiré l’attention sur les différentes façons dont les animaux sont embrigadés dans les zones militaires. Les commissaires signalaient que les animaux « sont à la fois acteurs des guerres, compagnons des combattants, mais aussi source de matières multiples, leur chair est nourriture, leur peau, dent, os, etc., composent, en grande partie, la tenue, l’armement et l’équipement du soldat. Les scientifiques et les inventeurs s’en inspirent pour concevoir du matériel militaire ». En outre les animaux sont aussi utilisés comme symbole « pour se protéger, pour effrayer, pour se moquer d’un adversaire, ou encore pour nommer une opération ou un engin … ». Au sujet des fermes ambulantes, ils expliquaient que l’échelle du déplacement d’animaux vivants dépendait « des moyens de conservation des denrées alimentaire propre à chaque époque… ». Ainsi « [pendant] longtemps l’animal-nourriture est emporté vivant. Les vaches, chèvres, brebis, chamelles fournissent du lait et éventuellement des petits avant d’être consommées, cependant que les poules, les canes produisent des œufs. Ce cortège ralentit considérablement les déplacements des troupes qu’il rend en outre plus visible. Il impose également des efforts pour nourrir et soigner les animaux… ». En effet, il fallait bien toute une population - issue du monde agricole mais aussi militaire - qui sache comment s’occuper des animaux, qui ait même des attaches affectives avec eux, bien qu’ils soient le plus souvent voués à la mort. Pour une analyse de ce « dualisme », voir Berger op cit p.11 : « Le paysan s’attache à son cochon et éprouve de la joie à saler son porc. Ce qui est significatif, et si difficile à saisir pour l’étranger citadin, c’est que les deux propositions de cette phrase soient coordonnées par un « et » non par un « mais ». Plus tard nous retournerons sur d’autres rencontres humain-animal chez Kant, elles aussi « dualistes » ou ambiguës.

[17PPP AK VIII, 363 trad. fr. p. 39

[18PPP AK VIII 363 trad. fr. ibid

[19PPP AK VIII 363-4 ibid p. 40. Même si l’on est pour le végétarisme, il faut se garder de louer trop précocement ce propos potentiellement anti-carnivore de Kant : ailleurs sa critique de la vie du chasseur suggère une tournure raciste. Dans “Sur l’emploi des principes téléologiques dans la philosophie”, il semble entièrement soutenir l’opinion de Matthias Sprengel, qui considérait que les “nègres” ne devraient pas être libérés de l’esclavage car livres à eux-mêmes, ils risqueraient de tomber dans l’oisiveté. Manquants les ressources nécessaires à se mobiliser eux-mêmes, ils choisiraient la voie la plus facile, celle qui est la mieux adaptée à leur disposition paresseuse : “…[Sprengel] ne connaît pas d’exemple où l’un d’eux exerce un emploi qu’on puisse à proprement parler nommer travail…ils se font revendeurs, hôteliers misérables, domestiques en livret, pêcheurs et chasseurs à l’occasion, des nomads [Umtreiber] en un mot” dans Opuscules sur l’histoire trad.S. Piobetta, Flammarion : 1990 p186 OHPT A.K. VIII. 174). Comme R. Bernasconi (op cit 307) fait bien remarquer, l’ajout par Kant à ce résumé de la position de Strengel est “gratuit et inquiétant” à savoir : “Le même phénomène exactement se retrouve parmi nous, avec les Tziganes”. Ici il semble bien que Kant parle à sa propre voix, exprimant clairement et sans gêne ses préjugés.

[20Il faut revisiter cette analyse de Kant en tenant compte de ce que nous savons maintenant des effets nocifs d’un certain type d’agriculture. L’agriculture intensive avec ses OGM devrait être considérée comme une sorte de guerre menée à la fois contre l’environnement, contre d’autres espèces et contre la paysannerie et tout ce qu’elle représente comme mode de vie. Voir Marie-Monique Robin Le monde selon Monsanto (Editions la Découverte 2009) et John Berger & John Mohr Une autre façon de raconter (François Maspero 1981).

[21Il existe bien des raisons de se méfier du terme « nature ». Catherine Halpern le décrit comme « un concept piège qui brouille tout, tantôt descriptif, tantôt normatif, englobant parfois l’humain, parfois pas » (Libération 3-4/10/2015 article intitulé « Terre cuite : Le cri d’alarme de Bruno Latour, philosophe iconoclaste »). Voir aussi Latour Face à Gaia (La découverte 2015, surtout chapitre 1 « Sur l’instabilité de la (notion de) nature »). « La nature » engendre tout de suite une opposition à « la culture », mais tout en restant elle-même bien ambiguë : elle figure non seulement comme un arrière-plan immuable et rassurant, mais aussi comme matière vulnérable et à protéger. Vivant maintenant dans l’ère anthropocène, nous devons réviser notre conception de la terre et nos anciennes catégories ne nous suffisent plus. On ne peut plus dissocier l’histoire naturelle de celle des humains. Sous l’effet de nos actions, la terre « s’émeut » : elle est « une enveloppe active, locale, limitée, sensible, fragile, tremblant et aisément irritée ». Elle est ni constante, ni passive (Latour ibid p.81 ; voir aussi The Anthropocene and the Global Environmental Crisis : Rethinking Modernity in a New Epoch, ed. C. Hamilton, C. Bonneuil & F. Gemenne (Routledge/ Taylor & Francis 2015).

[22PPP AK VIII, 362. On n’oubliera pas que cette « prévoyance » est ‘un ajout possible et nécessaire’, qu’on « [kann und muss] nur hindenken », et pas une vraie source des actions que nous pouvons réellement constater dans le monde.

[23PPP AK VIII, 358, trad.fr. P. 30. Voir mon article “”The Camel (The Ship of the Desert)” : “Fluid Geography”, “Globality”, Cosmopolitics in the Work of Immanuel Kant” dans The Epistemology of Utopia sous la direction de J. Bastos da Silva Cambridge, R.U. : Cambridge Scholars Publishers 2013, pp. 120-139.

[24E. Baratay, Le point de vue animal : une autre version de l’histoire, Paris, Les éditions du seuil 2012, p.43.

[25AK XXV, 472 (selon la transcription de Friedländer Winter 1775/6).

[26Pourtant, Elizabeth de Fontenay, dans Le silence des bêtes (Villeneuve d’Ascq, Fayard, 2015 p.718), en dégageant la position kantienne vis-à-vis de l’animal, nous laisse peu d’espoir qu’un respect de ce genre puisse jamais émerger de sa philosophie : “seul l’homme, en vertu de la dignité attachée à la raison, mérite le respect, ce qui veut dire qu’il y a quelque chose en lui qu’on ne peut pas évaluer, apprécier quantitativement. Respecter un animal n’a donc aucun sens dans la philosophie pratique de Kant ”. Tout en restant bien conscients de cette position dure et tranchante de Kant, qui semblent nous détacher définitivement de l’animal et des autres formes naturelles, nous pourrions nous consoler avec certains textes géographiques de Kant dans lesquels affleurent une sensibilité, et même une admiration, pour le monde naturel comme “un faisceau de processus dynamiques et […] une série d’événements qui inter-réagissent d’une façon complexe” (voir D. Morgan, “” La terre est une sphère” : la “globalité” et les sciences de la terre chez Kant” dans Kant et les sciences : un dialogue avec la pluralité des savoirs ed. S. Grapotte, M. Lequan, M. Ruffing, Paris, Vrin 2011, p.200).

[27Voir le rapport de la “Convention sur la diversité biologique” de la COP 5 qui a eu lieu à Nairobi 2000. Concernant la conscience de Kant de notre responsabilité envers les générations futures, voir “Théorie et pratique” : “…le devoir inné en tout membre de la suite [ou « la série »] des générations [in jedem Gliede der Reihe der Zeugungen] - j’en fais partie en tant qu’homme en général, sans pourtant avoir la constitution morale requise aussi bonne que je devrais et que par suite aussi, je pourrais l’avoir- devoir de faire en sorte que la postérité ne cesse de s’améliorer (chose dont il faut par conséquent admettre la possibilité) et qu’ainsi ce devoir se transmettra régulièrement d’un membre à l’autre des générations [daβ so diese Pflicht von einem Gliede der Zeugungen zum andern sich rechtmäβig vererben könne »]. Au lieu de traduire “Reihe” par “suite” comme Guillermit, je préférerais employer “la série”, afin de faire le lien avec Proudhon pour qui c’était à la fois un concept et une pratique importante, comme le témoigne cette citation tirée de De la création de l’ordre dans l’humanité (Antony, Editions Tops/Trinquier 2000, t. II, p.17) : “Rien ne se produit dans la nature, ne se développe que par séries. La série est la condition suprême de la vie, de la durée, de la beauté, comme la science et de la raison. Toute manifestation de la substance et de la force, qui ne renferme pas en elle-même sa loi propre, le mode de sériation qui la fait être ce qu’elle est, est une manifestation anormale, subversive ou transitoire”. Proudhon considérait Kant comme un grand penseur de “la loi sérielle” (ibid, t. I,p.145). Voir mon article “Globus terraqueus : Cosmopolitan Law and “Fluid Geography” in the Utopian Thinking of Immanuel and Pierre-Joseph Proudhon” dans Law and the Utopian Imagination ed. A. Sarat, L. Douglas & M. Umphrey (Stanford : Stanford U.P. 2014, pp.126-154).

[28Bien qu’en tant que Kantiens, nous devrions séparer le moralement bon de la recherche du bonheur (CRP AK V, 59ff ; trad. fr. J-P. Fussler, Paris, Gallimard Flammarion, 2003, p.165ff), on reconnait maintenant que notre bien-être (Wohl), et même notre survie, dépendent dans le long terme de l’adoption d’une mode de vie plus rigoureusement “éthique”, moins anthropocentrique, moins individualiste, plus soucieux de son impact sur tout ce qui nous entoure.

[29AK XXV:I, transcription de Friedländer.

[30APP AK XXV : I, 469. Le texte originel : « Die Welt als ein Gegenstand des äuβeren Sinnes ist Natur, die Welt als ein Gegenstand inneren Sinnes ist der Mensch. Also kann der Mensch in zwiefache Verhältnis kommen in die Verhältnisse, wo er die Kenntnisse der Natur, und in die Verhältnisse, wo er die Kenntnisse des Menschen nötig hat ».

[31Vu comment les insectes sont si déconsidérés par nous - ils provoquent souvent notre dégoût, on les tue sans état d’âme, et on n’est jamais tenté de leur faire des câlins comme on souhaite le faire avec beaucoup d’espèces à fourrure - il est peut-être important de nous rappeler que ce sont aussi que des « animaux ».

[32CRP, AK V, 160 trad. fr. op cit. p. 292. Cet épisode est aussi évoqué dans Leçons d’éthique (op cit). Voir aussi de Fontenay (op cit 2015, 716-8) sur ce passage. Elle remarque que le Kant qui « s’émerveille de [la] prévenance [de Leibniz] », n’en justifie pas moins les expériences sur d’autres espèces si celles-ci servent « la fin qu’est l’homme ». Néanmoins, elle reconnait bien que, dans la troisième Critique, il y a le « jaillissement d’un vitalisme et d’une téléologie éclairés » qui forcément l’amène à refuser que les autres êtres vivants soient considérés comme des simples machines. Ceci dit, il n’en reste pas moins que « sur le plan des pratiques, l’animal reste rivé au statut d’instrument fourni à l’homme par la nature et la Révélation » (ibid 729). Tenant compte des propos de Fontenay, je voudrais bousculer la pensée de Kant afin de la repositionner face à ce qu’on appelle (avec peu de rigueur), « l’animal », et ainsi être plus en accord avec le potentiel de sa pensée cosmopolitique.

[33CRP ibid.

[34CFJ §34, AK V, 267. La qualification un peu gratuite de « même la nature » (“selbst der Natur”) de la part de Kant nous rappelle qu’il lui aurait fallu un travail profond sur ses préjugés) pour s’ouvrir plus vers la diversité du vivant.

[35La définition du care fournit par Tronto (avec Fisher) est la suivante : « Une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre « monde », de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie » (Tronto dans Qu’est-ce que le care ? ed. P. Molinier, S.Laugier et P. Paperman, Paris, Payot 2012, p.37). Vu que le care est considéré comme « une activité caractéristique de l’espèce humaine », il faudrait se demander si pour Tronto, le « nous » en question reste strictement humain, ou si le « maillage complexe » inclut d’autres espèces. Pour une appréciation explicite du care dans le monde animal, voir Kant Leçons d’éthique p.257. Kant maintient qu’en observant comment ils s’occupent si bien de leurs petits, nos préjugés envers les loups sont renversés et qu’on ne peut continuer à être cruels envers eux. Le livre de Tronto propose d’élargir les frontières morales au-delà de ce qu’elle identifie comme les critères universalisants de Kant, qui nécessitent « des acteurs moraux désengagés et désintéressés ». Cette démarche de Tronto se poursuit au nom d’une moralité qui est plus liée aux situations politiques et sociales, et dont le champ d’action favorise une proximité plus étroite avec l’autre et où les émotions et les sentiments ont leur rôle à jouer (J. Tronto Moral Boundaries : A Political Argument for an Ethic of Care, N.Y., Routledge 1993, pp. 8-9 p.26ff). Elle déclare en effet que « la notion kantienne de la vie éthique a déterminé les frontières » qui sont l’objet principal de sa critique. Il n’est donc pas sans intérêt de trouver la reconnaissance par Kant d’un certain care, et d’un care pratiqué dans un monde qui n’est pas limité aux humains.

[36CF A.K. VII, 102-3. Ce n’est pas par hasard que Kant évoque des oiseaux chanteurs, qui semblent tenir une place particulière dans ses pensées et, qui sait, peut-être dans son cœur. Dans l’Anthropologie, il note qu’ils apprennent à chanter à leurs petits et « introduisent…une certaine diversité dans leurs ramages » selon là où ils vivent (AK VII, 323 ; trad. fr. de Renaut p. 311). Ils se rapprochent ainsi de l’humain : ils doivent s’éduquer et possèdent une culture. Voir aussi « Refléxions sur l’éducation » AK IX 443, trad. Fr de Philonenko, Vrin 2004, pp.97-8 : « L’homme a besoin de soins et de la culture. La culture comprend la discipline et l’instruction [Wartung und Bildung]. Aucun animal autant qu’on le sache, n’a besoin de cette démarche. Car aucun animal n’apprend quelque chose de ceux qui sont plus avancés en âge, exception faite des oiseaux qui apprennent leur chant... » et la suite. Voir la note de Philonenko où il remarque que Kant s’écarte sensiblement de Rousseau en postulant que les animaux en général n’acquièrent rien de leur entourage. Il est aussi à noter que le trucage du chant d’oiseau est ce qui provoque son dégoût outré dans CFJ §22 & §42. Ceci dit, malgré leur spécificité pour Kant, je vais prendre les oiseaux comme exemple des animaux de compagnie en général. On peut bien observer qu’il y a un glissement dans mon analyse entre « l’animal domestiqué » et « l’animal domestique/ de compagnie ». Ce manque de distinction est peut-être productif ; il provoque une réflexion sur par exemple la frontière supposée entre un animal qui a sa place dans la maison, et celui qui doit rester à l’extérieur ; entre celui qui entre dans la vie intime des humains, et celui avec lequel on est censé avoir moins de liens affectifs…

[37L’offre de l’hospitalité à autrui est souvent accompagnée par un repas. Manger ensemble signale que nous sommes en sécurité, que nous pouvons faire confiance à l’autre (au moins le temps de rester à table…). Voir APP VII, 279.

[38APP A.K. VII, 322. Voir « La main de Heidegger » de Derrida dans Psyché (Paris, Galilée 1987) pour une analyse de la façon dont la priorisation de la main humaine renforce la thèse de Heidegger que l’animal est pauvre en monde [weltarm] : « l’animal n’a pas de main, […] une main ne peut jamais surgir à partir d’une patte ou des griffes, mais seulement de la parole… » (ibid p.434). Présenter l’utilisation de la main humaine comme façon de nous rapprocher de l’animal, plutôt que de nous séparer d’eux comme espèce supérieure, serait alors une démarche importante à faire.

[39D. Haraway When Species Meet Minneapolis, University of Minnesota Press 2007 p.3. Pour beaucoup de ceux qui se sont penchés sur la question de l’animal, c’est le monde capitaliste qui a chosifié notre rapport avec eux. Voir de nouveau Berger op cit p.35 : « La perte historique dont témoignent les zoos [où il n’y a pas d’échange avec l’animal en captivité] est désormais irréparable dans un monde régi par la seule économie de marché ».

[40Haraway ibid p.3. Bruno Latour (op cit p.49), qui mentionne Haraway, définit « faire monde » comme « ce qui ouvre à la multiplicité des existants d’une part et, d’autre part, à la multiplicité des façons qu’ils ont d’exister ».

[41Haraway ibid p.5.

[42L’émergence des cosmopolitiques sous la direction de J. Lolive et O. Soubeyran, La découverte Paris 2007, p.11.

[43Haraway op cit p19.

[44AK VIII, 37. Je reprends la traduction utilisée par René Schérer Hospitalités p.125. Voir la note 46 ci-dessous.

[45Ici je donne la définition qu’on trouve dans Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme une science AK IV, 357.

[46R. Schérer Hospitalités Paris, Anthropos 2004, p. 125-6. Berger corrobore les propos de Schérer dans Dans l’entre-temps : Réfléxions sur le fascisme économique Barcelone, Indigène éditions 2009 p.12 : “La prison est à présent aussi vaste que la planète. Les zones qui lui sont allouées sont variables. Et peuvent être appelées chantiers, camps de réfugiés, galeries marchandes, périphéries urbaines, ghettos, immeubles de bureau, bidonville, banlieues…”. Dans les écrits de Berger, on passe des animaux, aux migrants et aux paysans, à l’art. Lier tous ses éléments constitue un acte politique.

[47IHU AK VIII, 65 trad. fr de S. Piobetta Garnier Flammarion 1990 p120.

[48Pour comment l’abaissement de l’animal a des conséquences sur le traitement de certains humains, je renvoie au débat controversé autour du parallèle entre les abattoirs et les camps de concentration nazis. Voir par ex. Coetzee op cit, C. Patterson Eternal Treblinka : Our Treatment of Animals and the Holocaust (N.Y. Lantern Books 2002) ; A. Pick Creaturely Poetics (N.Y. Columbia U.P. 2011, p.6-7, 30-35). Voir aussi Derrida op cit p44-48.

[49J’ai déjà suggéré que Kant laisse transparaître une reconnaissance éventuelle de la multiculture des oiseaux chanteurs. Voir ci-dessus note 36.

[50Je pense ici à la condamnation de l’esclavage sur les îles de sucre dans PPP AK VIII, 359 trad. Fr. Gibelin p. 32-3, mais quand même sa position reste ambigüe : dans les « Vorarbeiten » au « Projet de paix perpétuelle », Kant critique la traite des esclaves en tant que préjudice porté à l’hospitalité qu’on doit envers le peuple noir ; « an sich » elle est une mauvaise affaire. Cependant ce qui compte encore plus pour lui, c’est l’effet nocif qu’elle a sur l’Europe et son commerce A.K XXIII.174. Ce point n’est pas abordé par P. Kleingold dans son article « Kant’s Second Thoughts on Race » dans The Philosophical Quarterly tome 57, numéro 229, Octobre 2007, p.587. Par contre Bernasconi nous oblige de regarder ces propos en face (op cit p.302-3). Il considère que Kant aurait pu se prononcer plus clairement pour la cause abolitionniste s’il avait vraiment souhaité le faire…

[51A.K VIII, 120.

[52Pour une reconnaissance du fait que les animaux ne sont pas consentants, voir « Théorie et pratique » TP AK VII, 293 trad. fr. p. 34 : « [aucun homme] ne peut, par aucun acte juridique (ni le sien ni celui d’un autre), cesser d’être son propre maître et passer dans la classe des animaux domestiques, qu’on emploie à tous usages, comme on veut, et qu’on maintient en cet état sans leur consentement, aussi longtemps qu’on veut, sous réserve qu’on ne les mutile ni ne les mette à mort… » (c’est moi qui souligne).

[53APP A.K. VII 119 trad. de Foucault p83.

[54« Introduction » de Foucault p. 20.

[55Ibid.

[56APP A.K VII, 333 ; ibid p.262.

[57Ibid ; ibid.

[58Kant semble désapprouver le fait que la femme « dans l’état de sauvagerie naturelle… n’est qu’un animal domestique » et apprécier jusqu’à un certain degré ses diverses ruses pour se frayer un chemin dans le société (APP AK VII 304ff trad. fr. p.238ff). Le pas suivant serait de ne pas accepter le statut « d’animal domestique » comme une donnée définitive.

[59Foucault op cit p. 27. Voir aussi ibid p.34 « l’homme, dans l’Anthropologie, n’est ni homo natura, ni sujet pur de liberté ; il est pris dans les synthèses déjà opérées de sa liaison avec le monde ». C’est la « synthèse » humaine-animale que j’ai commencé à explorer dans cet article ; elle n’est pas développée explicitement dans l’œuvre de Foucault. Clare Palmer nous donne un bon outil d’interprétation des ressources chez Foucault, pour repenser l’opposition binaire entre l’humain (la raison) et l’animal (la folie), dans son « Madness and Animality in Michel Foucault’s Madness and Civilisation » de Clare Palmer dans Animal Philosophy sous la direction de P. Atterton & M.Calarco (Continuum Londres/ NewYork 2004, pp. 72-84).

[60CF AK. VII p97. Cette proposition n’est pas mineure, étant donnée l’importance que Kant attachait à ses promenades habituelles. Les errances d’un chien auraient pu dérégler ses pérégrinations, obligeant ainsi les citoyens de Königsberg, ne pouvant plus compter sur sa parfaite prévisibilité, à s’équiper de montres. Voir De Quincey « The Last Days of Immanuel Kant » [Les derniers jours d’Emmanuel Kant] dans The English Mail Coach and other Essays (London, Dent & Dutton p.173) : « .. Kant walked out for exercise, but on this occasion he never took any companion… ».