« Il est pas facile de raconter à présent » Crise de l’expérience et création artistique après la Grande Guerre


Dans les années trente, Walter Benjamin élabore une thèse essentielle sur l’héritage culturel de la Grande Guerre : l’homme contemporain aurait perdu sur les champs de bataille la capacité de raconter son expérience parce qu’il est livré à un univers où les machines dominent et où ce qui mérite d’être raconté, disparaît. Au début de son Voyage au bout de la nuit, au moment où il se met à écrire, Céline semble confirmer cette thèse lorsque son personnage affirme : « Il est pas facile de raconter à présent ». La Première Guerre mondiale nous a plongés dans la barbarie. Il n’y a plus les mots pour « dire », pour « représenter ». Néanmoins, toujours en compagnie de Benjamin, ce volume essaie d’explorer les possibilités d’une conception positive, nouvelle de la barbarie en suivant des artistes, des philosophes, des réalisateurs qui se confrontent à la question de la catastrophe. Ils ne parlent pas directement de la guerre. Ils travaillent plutôt sur l’impossibilité d’en parler. Ils choisissent souvent le silence. Mais ce silence ne signifie pas une absence de choses à dire, il exprime plutôt une stratégie de rupture et de résistance : ne pas écrire sur la guerre permettrait de ne pas réaliser la catharsis qui ferait oublier la guerre, et retourner dans les mêmes schémas de pensée qu’avant, ceux qui ont mené à la catastrophe.

Luca Salza est maître de conférences en Littérature italienne et Histoire des Idées à l’Université de Lille SHS.

TABLE DES MATIERES

Luca Salza
Introduction

Alain Brossat
Le crime était presque parfait. La Grande Guerre, héritage sans testament

Giancarlo Alfano
« Et il resta sans ». Notes sur guerre, espace et écriture

Pierandrea Amato
Être dans les tranchées. La philosophie et la bataille

Alessia Cervini
Le pouvoir de la fiction. Le récit de la Grande Guerre de Griffith à Ozon

« Il n’y a plus de mots ». Littérature et photographie dans l’enfer de Dante
Entretien avec Hélène Gestern

Marie Hartmann
Mémoires de disparu

Nathalie Barberger
Voyage au bout de la nuit, ou crise de prose

Raphaelle Herout
« Cache-toi guerre ». Le silence surréaliste comme conjuration poétique

Luca Salza
« Ne détruisez pas que cela. Pendant que vous y êtes détruisez tout ». L’acte de création à l’époque de la catastrophe

Giuseppe Episcopo
L’ouïe et l’odorat dans la mémoire italienne de la Grande Guerre

Jean-Baptiste Para
Vélimir Khlebnikov, le « semeur d’yeux » contre la guerre

Gianluca Miglino,
Le temps nouveau de la guerre. La Montagne magique de Thomas Mann