Couscous ou tagine ?

, par Jessica Baryton


« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse »
(Le Livre de Tobie, 4/15)

1- Quand une personne pue des pieds, ça ne se voit pas tellement sur sa photo (même en pied).

2- Si l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles, le pacifisme serait plutôt, par les temps qui courent, la maladie des grands Blancs qui ont un cœur gros comme ça, et la tête vide. S’ils entendent imposer aux autres les conditions que leur dicte leur sensibilité, c’est bien en premier lieu qu’ils sont incapables de se mettre à la place de ces autres – tout simplement d’imaginer les conditions qui leur sont infligées. Ce pacifisme-là est un centrisme patenté, comme un autre – autarcique, narcissique, comme les autres.

3- Si vous souhaitez savoir dans quel état se trouve la démocratie libérale, il vous suffira d’examiner sous le signe de quels affects les gens s’en vont voter aujourd’hui – mâchoires crispées, crapaud dans la bouche, dents grinçantes... les passions tristes gravées sur les visages... Ou bien alors, il peut arriver encore que certains votent comme on prend une cuite : au bref instant d’euphorie fait suite une interminable gueule de bois.

4- L’avez-vous remarqué ? Plus les objets techniques sont intelligents, plus les gens qui s’en servent deviennent, eux, irrémédiablement cons. On se dit qu’à la fin, quand ils ne sauront plus comment s’y prendre avec leurs enfants ou que leur couple battra sérieusement de l’aile, ils demanderont conseil à leur machine à café.

5- Comme principe général, la Règle d’or (« Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ») s’impose avec une certaine force d’évidence dans le domaine des relations interpersonnelles – même si, loin de mettre nos actes en conformité avec nos convictions, nous passons notre temps à la bafouer. Mais dans le domaine des relations entre les peuples, il n’en est rien – c’est en effet que, si la Règle d’or y faisait référence, pour ne même pas dire autorité, cela fait longtemps que nous aurions cessé de faire semblant de nous interroger sur les « complexités du dossier israélo-palestinien ».

6- Il n’y a pas de grand plan ni de conspiration, ça non. Mais du lobbying, du soft power et du storytelling à haute dose, ça oui – et pas qu’un peu. Le whitewashing des crimes commis par l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie bat son plein et il passe de la manière la plus infâme qui soit par le déploiement d’une tactique d’interposition de textes, articles, produits culturels centrés autour de la figure du Juif victime ou du Juif « exemplaire » entre ces actions massacrantes et le public. Il s’agit bien ici de déployer une « barrière de sécurité » mentale qui est, dans l’ordre de la construction des récits, l’équivalent de celle qui court le long des territoires occupés ou de la ligne de séparation avec Gaza. Il s’agit bien, encore et toujours, de nous prendre pour des billes.

7- « Le pouvoir est au bout du fusil » - Mao Zedong.
« Le pouvoir est au bout du zizi » - DAF de Sade.
Dans le même ordre d’idées : Rapport Kinsey = recensement de la copulation.

8- Aux Etats-Unis et dans les démocraties blanches aux climats tempérés, la viande intellectuelle se corrompt particulièrement vite – comme les fruits frais sous les tropiques.

9- Influenceurs, jeunes loups de la politique politicienne, présentateurs vedettes à la télé (etc.) : grosses montres, petites bites. On irait même jusqu’à dire : plus la montre est grosse, plus l’eunuque s’expose. Pas de Grand Sultan sans eunuques, n’est-ce pas ?

10- Il mettait son point d’honneur, depuis sa jeunesse insurrectionnelle, à faire état de la constance de son esprit rebelle en portant ostensiblement des chaussettes dépareillées, y compris lorsqu’il se rendait à ses rendez-vous hebdomadaires à l’Elysée. Le Président appréciait son expertise en matière de production d’éléments de langage.

11- J’ai connu un type qui était un menteur si fieffé, réputé comme tel dans toute la ville, que quand son cœur a commencé à flancher, le médecin lui a dit : » Bon, M. C., je crois bien qu’il va falloir vous poser un simulateur cardiaque ! ».

12- La bande policière organisée et en uniforme qui a massacré et mutilé Theo Luhaka s’en tire avec des peines inférieures à ce qu’écope régulièrement un type qui se fait attraper à conduire une voiture sans assurance ou sans permis. Cette forfaiture a été commise, disent-ils histoire de rire, sans doute, « dans un désir d’apaisement ». Il n’existe au fond, en France qu’un seul parti – celui de l’Ordre. On pourrait, pour signifier que nous n’avons, décidément, rien de commun avec ce monde, écrire désormais, pour désigner ces gens-là : La Phransse. Ces flics voyous, ces juges qui les ménagent, rien à voir avec nous – c’est la Phransse.

13- Notre désir d’impouvoir est infini.

14- Un démenti formel de Marine : il n’est pas vrai que quand les fascistes cravatés et propres sur eux seront aux affaires, les boîtes à livres seront remplacées par des incinérateurs. Tout au contraire – les employés municipaux seront chargés de les approvisionner régulièrement en ouvrages de Renaud Camus, Alain Finkielkraut, etc.

15- Nous voici entrés dans le temps des prophéties autoréalisatrices : des gens, jeunes souvent, pas très équipés pour appréhender les complexités du présent et néanmoins très remontés contre l’exceptionnalisme israélien et la complaisance dont font l’objet, dans tout le monde occidental, les crimes de masse actuellement commis à Gaza et en Cisjordanie, tombent dans le panneau de la traduction de ce scandale dans la langue simplifiée du conspirationnisme : tout ça, c’est une affaire juive, c’est la faute aux Juifs. Au train où vont les choses, cela pourrait déboucher sur une vague de coming out d’un nouveau genre : « eh bien oui, les choses étant ce qu’elles sont, je ne peux plus me retenir de le dire, je suis antisémite ! »
L’occasion rêvée (et attendue) pour ceux dont, depuis le 7 octobre (et bien avant même) le souci constant a été de dresser une barrière de sécurité infranchissable devant l’exceptionnalisme israélien en invoquant sans pudeur ni retenue les mânes des victimes de la Shoah et le renom de ceux qu’Hannah Arendt appelait « les Juifs d’honneur », de triompher et statuer : vous voyez bien ! Le vieil antisémitisme se réveille, en fait il a toujours été là, éternel, transhistorique, la malédiction des peuples – et surtout, surtout, sans rapport aucun avec les aléas du présent et les crimes commis par un Etat s’autodésignant comme Etat des Juifs ! Sans rapport aucun avec l’incessant labeur déployé dans les chancelleries et les médias du Nord global et du monde blanc, se destinant à perpétuer indéfiniment l’immunité de ceux qui aujourd’hui, ont ouvert les vannes du génocide au nom de la défense de l’intégrité de l’ « Etat juif ».
Cette thèse du réveil de l’immémorial, à propos de la guerre à Gaza est, en soi, parfaitement incohérente : si, dans nos sociétés, l’antisémitisme est un trait constant, structurel et indéracinable, alors point n’est besoin d’une situation particulière, comme celle que nous connaissons actuellement, pour qu’il se manifeste ; d’ailleurs, les tenants de cette thèse sont les premiers à proclamer que ce ne sont pas les crimes commis par l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie qui sont à l’origine de son regain de vigueur. Quoi alors ? Leur idée, baroque, farfelue, intenable serait celle-ci : à l’occasion des massacres du 7 octobre, se serait levée dans le monde entier une vague de Schadenfreude, attisée par le plaisir obscur de découvrir les Juifs, vainqueurs de l’Histoire, enfants gâtés de l’Occident hégémoniste, dans la position des victimes – de les voir renvoyés à la condition de victimes dont ils n’auraient jamais dû sortir. Une thèse qui, évidemment, ne résiste pas à l’examen de la suite des événements : avec la destruction de Gaza, les massacres programmés et les projets de purification ethnique qui les accompagnent, il y a belle lurette que « les Juifs » ne sont plus tout à fait en position d’occuper la position de la victime, immémoriale ou pas.
Les jeunes gens égarés et les esprits faibles qui sont aujourd’hui tentés de faire leur coming out antisémite (et qui vont en payer le prix, comptant) ne sont pas nourris au lait d’une judéophobie chrétienne vigoureusement délégitimée, ils n’ont pas vu Le Juif Süss de Veit Harlan – ils voient simplement le monde d’aujourd’hui passer sur leurs écrans et ils mettent les mauvais mots sur leurs indignations qui, elles, ne tombent pas du ciel (enfin, façon de parler – elles ont bien à voir avec des projectiles qui tombent du ciel).
Mais la toile de fond de ces égarements, c’est bel et bien la stratégie du chaos et la politique du pire, le nihilisme intrinsèque non seulement des criminels à l’œuvre aujourd’hui à Gaza, mais tout autant de ceux qui, sous nos latitudes, font rempart de leurs corps et de leurs écrits (de leur influence et de leur puissance) devant ces crimes, avec un esprit de suite et une méticulosité qui exténuent le jugement de ceux-là même (nous) qui en ont vu d’autres. Nous sommes exercés, nous, à ne pas tomber dans le piège des mots qui ne (se) pardonnent pas et à tenter de nous tenir à la hauteur des intrications du présent, mais il n’empêche : face à de tels sommets de perversité, nos petits couteaux ont tendance à s’ouvrir d’eux-mêmes dans nos poches.

16- Il y avait cette belle superstition qui faisait que N. ne remettait jamais dans les boîtes à livres les bouquins qu’il y « empruntait » : c’est qu’il croyait dur comme fer qu’ils (les livres) tenaient les murs de sa bicoque délabrée. Que s’il en dégarnissait les empilements qui montaient jusqu’au plafond, tout s’effondrerait sans tarder. Et puis, ils le gardaient du froid et le protégeaient contre le monde – ce qui n’est pas rien.

17- Rappeler notre ambassadeur à Tel-Aviv ? Exiger que les athlètes israéliens participant aux JO soient placés sous le même statut que les athlètes russes (privés de drapeaux, d’hymnes...) ? Vous n’y songez pas ! En revanche, si vous y tenez, on peut lancer une grande campagne contre la consommation de la viande de chien en Asie orientale...

18- La dernière lubie des néo-réacs : cette histoire d’uniformes pour les enfants des écoles me rappelle la vieille blague de cour de récréation – pourquoi les éléphants sont-ils gris ? [1] Idem, donc : pourquoi faut-il que les élèves portent des uniformes ? [2]

19- On se demandera utilement si les boîtes à livres sont plutôt des cimetières ou des ehpads pour les vieux ou même pas si vieux bouquins. Dans tous les cas, ils sont rarement promis à la résurrection. Je soupçonne même certains méchants d’y venir s’approvisionner en papier sec, en vue d’allumer leur cheminée.

20- Mediafart : La mise en scène d’oppositions fictives ou de fictions d’oppositions est essentielle au fonctionnement de la démocratie du public. C’est un jeu, un show dont la vocation est de faire entrer la politique courante dans le champ du divertissement. Exemple classique : la chasse au ministre compromis dans une affaire ou une autre conduite par la presse « morale ». Tout le monde s’y retrouve : l’exécutif qui n’a jamais manqué de roues de secours en matière de ministres, la presse qui cultive ainsi la fiction de son « indépendance » et de sa moralité supérieure, et le public revenu de tout qui assiste distraitement au spectacle et s’amuse de ses rebondissements. Mais à l’heure grave, les oppositions fictives s’évanouissent dans l’instant – tous rassemblés, comme un seul homme, derrière Israël et ses dirigeants, au lendemain du 7 octobre.

21- Certains prétendent que le fait que les hommes puissent pisser sans descendre de vélo est une preuve éclatante de leur supériorité sur les femmes. Les vélos eux-mêmes s’opposent catégoriquement à cette présomption : ils ont horreur qu’on leur pisse sur la roue de devant, dans quelque position que ce soit.

22- Nouveau réacs, à l’offensive partout : ce qu’il sont acharnés avant tout à conquérir, c’est du pouvoir de nuire (ou : pouvoir-nuire, tout court). Comme ils sont un peu plus que des nouveaux réacs, des fascistes en puissance, en train de faire leurs classes, leur vindicte s’attache avant tout à ceux à qui il est le plus aisé de faire porter le chapeau de l’altérité stigmatisée – le migrant, le musulman, le pauvre redéfini comme parasite... Ils n’ont pas de programme ni d’idées, que des pulsions répressives et isolationnistes. Le désir de persécuter, le besoin de police, l’illusoire passion de la sécurité fondée sur l’ homogénéité, le culte de l’Un et du Même ne présentent pas seulement un caractère distinctement régressif – l’aile de la mort étend son ombre sur eux. Quand tous ces micro-fascismes coaguleront, on verra apparaître un nouveau fascisme molaire appareillé par l’Etat, avec hymnes et drapeaux.

23- Dans la hiérarchie des crimes, on ne sait plus trop faire la différence entre un peloteur compulsif et un criminel contre l’humanité. C’est un peu fâcheux.

24- La revanche du bidet : devenu la dérision de la salle de bain, l’objet associé à toutes sortes de plaisanteries graveleuses, le bidet pourrait bien, un de ces jours, connaître sa revanche – écologique, économe en consommation d’eau, contrairement au WC traditionnel qui, pour un petit pipi, gaspille des litres et des litres d’eau. Le bidet était le vaincu de l’histoire de l’hygiène – le voici sur le point de faire son retour en majesté.

25- Le pacte des démocraties occidentales avec l’Etat d’Israël, c’est l’égout par lequel s’écoule la passion affichée des premières pour l’Universel, les valeurs et tout le tremblement.

26- République démocratique du Congo : 257 231 chimpanzés, pas même fans de foot, définitivement interdits de forêt équatoriale pour avoir poussé des cris de singe.

Jessica Baryton

Notes

[1Pour qu’on ne les confonde pas avec les fraises des bois.

[2Pour qu’on ne les confonde pas avec les plaques d’égout.