Les bras m’en tombent !

, par Serge Brichton


« Quand il eut passé l’eau, il trouva l’entrée de l’enfer. L’intérieur était noir et plein de suie. Le diable n’était pas à la maison, mais sa grand-mère était là, assise dans un grand fauteuil ».
Jacob et Wilhelm Grimm, « Le diable aux trois cheveux d’or »

1- Si la coutume blanche, et tout particulièrement états-unienne, était de se promener avec une plume dans le cul, celle-ci porterait la marque irrécusable de l’Universel et sa promotion serait inscrite au registre des Droits de l’Homme. La ligne de partage entre civilisation et barbarie passerait par la plume dans le cul – ou pas.

2- L’humain est une espèce lavable non seulement à l’extérieur, mais à l’intérieur aussi – lavage de cerveau, lavage d’estomac... Les procédures de lavage interne de l’humain ne demandent qu’à être étendues et généralisées : lavage de cœur pour les amoureux éconduits, lavage de foie pour les ivrognes repentants, lavage de rate pour les bilieux, etc. Pour les ambitieux et les mégalomanes qui ne se sentent plus pisser, le lavage de prostate serait fortement recommandé.

3- Au siècle dernier, l’une des ritournelles préférées du progressisme éploré était : « Comment des choses pareilles peuvent-t-elles être (encore) possibles au XXème siècle ? ». Par « des choses pareilles », il fallait entendre tous ces vilains petits cailloux dans les chaussures de l’Histoire qui la faisaient si cruellement boîter – Guernica, Auschwitz, la guerre du Biafra, et tant d’autres... Au XXIème siècle, on se pose moins de questions inutiles – on sait désormais que tout est possible et qu’il ne fait pas bon chercher noise aux oppresseurs, pour peu que ceux-ci soient équipés du sauf-conduit magique émis par les démocraties occidentales.

4- Les villages autochtonistes sont faciles à repérer : ce sont ceux où les boîtes à livres sont équipées de cadenas à numéros dont seuls les habitants du cru connaissent le secret, ceci de façon à éviter que les étrangers de passage et autres intrus soient tentés de venir s’y servir. A l’évidence, les autochtonistes sont hermétiques à toute notion d’un partage, d’une circulation de biens, voire de toute espèce d’objet hors marché, le don sans contrepartie, ils n’en veulent rien savoir. Même leurs vieux bouquins qu’ils ne lisent pas et dont ils ne veulent plus, ils tiennent à les protéger contre l’étranger, celui-ci fût-il le pécore du village voisin.

5- Au vu de la consistance proprement granitique qu’a acquise au fil du temps le différend israélo-palestinien, on ne prendra pas grand risque à prédire que son avenir échappe rigoureusement aux conditions de la diplomatie, des négociations, des compromis – pour ne pas parler de la bonne volonté (laquelle présuppose ce qui, ici, fait radicalement défaut – la confiance). On serait plutôt porté à s’en rapporter au destin (l’Histoire-abattoir). Au reste, plutôt qu’une solution, le conflit israélo-palestinien trouvera bien, un jour, une issue. La tournure de celle-ci aura alors valeur de signe diagnostique décisif : elle nous livrera la clé du régime d’Histoire sous lequel est (sera, aura été) placé le XXIème siècle. Si la colonie de peuplement l’emporte de façon définitive, ce qui a pour contrepartie obligée la disparition du peuple palestinien dans des formes combinant dispersion, élimination et réduction à une condition résiduelle (à l’instar des peuples premiers en Amérique du Nord ou des aborigènes en Australie ou à Taïwan), alors on pourra dire de façon assurée que l’histoire coloniale dans ce qu’elle a de pire – les colonies de peuplement, la substitution d’une population de colons blancs aux peuples autochtones, sur les modèles nord-américain, australien, néo-zélandais...) est demeurée un facteur déterminant dans la composition du régime d’Histoire sous lequel ce siècle est (sera, aura été...) placé.
Si, au contraire, la matrice de la colonie de peuplement est brisée, comme en Algérie, comme en Afrique du Sud, si les Palestiniens, sous une forme ou une autre, accèdent à leur droit à disposer d’eux-mêmes, ce qui suppose le démantèlement de la structure ethniciste de l’Etat d’Israël, alors, on pourra dire que cet Etat a bien été le dernier des rejetons de la colonisation blanche, le mot dernier signifiant ici : celui avec lequel une lignée s’achève, s’éteint. Non pas le dernier des Juifs (c’est le titre d’un beau roman d’André Schwartz-Bart), mais le dernier des Etats coloniaux européens, blancs. Rien à voir. Ce qui ne préjuge en rien des formes réelles qui seront celles du régime d’Histoire ainsi actualisé ; mais qui, du moins, romprait l’enfermement des colonisés (et de nous avec eux) dans le temps de la colonisation, un temps placé sous le régime de la répétition sans fin de l’Histoire des conquêtes coloniales et impériales, des ethnocides et bains de sang qui vont avec.
Aujourd’hui, l’accent majoritaire ou majeur porté sur l’intangibilité de l’Etat d’Israël, fait historique irréversible revient, en pratique, à soutenir sans état d’âme la première option : l’irréversibilité déclarée, ce n’est pas seulement celle d’Israël, c’est celle de l’histoire des colonies de peuplement blanches comme fait accompli, entré dans le corps de l’Histoire universelle. Se faire le promoteur de cette option, c’est militer en faveur du devenir aborigènes des Palestiniens. Or, ils sont légions, et qui pourtant cultivent leur image d’esprits éclairés et de gens de progrès, à persévérer dans cette direction :
« Près de quatre-vingts ans après les premiers débats à l’ONU sur l’avenir de la Palestine, nous en sommes toujours au même point. La seule différence est qu’Israël ne va pas disparaître, pas plus que les sept millions de Juifs qui y vivent. Prétendre autre chose est risible et insultant ». – Derek Penslar, historien canadien, spécialiste de l’histoire juive, Le Monde du 20/04/2024.

6- On trouve régulièrement dans les nécros du Monde, cette mention « lecteur-trice fidèle (variante : assidu.e) du Monde – comme d’autres évoquent les titres, distinctions, médailles des défunts du jour. Comme si les lecteurs-trices du Monde constituaient une confrérie particulièrement select, une élite, un club réservé aux personnes méritantes. Bizarre : j’aurais plutôt, moi, tendance à me cacher pour lire Le Monde et éviter de devenir la risée de mes amis, de passer pour un vieux con... Sans oublier le fait que lire assidument autant que régulièrement ce canard qui enfile les barbarismes comme des perles (du genre « Mathilde Panot annonce être (sic) convoquée par la police »), on en viendrait à oublier sa propre langue et à ne plus être fichu de rédiger sa propre nécro dans un français à peu près correct.

7- On ne peut pas avoir le beur et la maman du beur (dicton assez douteux, d’origine indéterminée, probablement forgé par un prétendu humoriste d’extrême droite).

8- Selon une anecdote historique célèbre, Charles Quint dit un jour à François 1er : « Mon cousin [le même François, donc] et moi sommes bien d’accord : tous les deux, nous voulons Milan ». De la même façon, à propos des tensions en mer de Chine et, plus généralement, en Asie orientale, Biden pourrait dire aujourd’hui : « Mon ami le Président Xi et moi sommes d’accord : nous estimons que la guerre entre nous est désormais inévitable ».

9- Comment appelle-t-on une bonne sœur âgée de 90 ans ? [1]

10- Il est désormais solidement établi que la Chine et Taïwan sont des entités parfaitement distinctes. La preuve : les Chinois ont inventé la porcelaine, la sériculture, le papier, la boussole, l’imprimerie, la poudre à canon, la brouette, le compas, l’acier, le gouvernail... Les Taïwanais, eux, c’est le bubble-tea – et ça fait toute la différence.

11- Chaque fois qu’un francophone, où qu’il se trouve dans le monde, prononce l’adverbe irrémédiablement, le Malin, assoupi dans son fauteuil et souffreteux (il est vieux et malade) se réveille en sursaut et bredouille : « Hein, quoi, qu’est-ce que c’est ?! On m’appelle ?! ».

12- Les lois de la nature : quand on s’assied sur un chat, il miaule et griffe ; quand on évoque, en France, la résistance palestinienne à l’occupation israélienne, on est convoqué par la police antiterroriste.

13- Avec Macron, Attal, Darmanin (etc.), nous apprenons à penser au pas de l’oie. Ce qui nous sera bien utile le jour où la blonde brune sera enfin (enfin, enfin, depuis le temps qu’elle piaffe aux portes du pouvoir, on commençait à s’impatienter...) parvenue à ses fins.

14- Les animaux sont des êtres vivants qui ne parlent pas et n’en pensent pas moins. Les humains sont des vivants qui parlent (d’abondance) mais n’en pensent pas plus, pour autant.

15- Un nouveau concept vient de faire son apparition dans les journaux, destiné à qualifier les assassinats commis en relation avec le trafic de drogues – narcocide. Les -cides ont le vent en poupe, par les temps qui courent – féminicides, urbicides, infanticides – et j’en oublie. Le besoin se fait cruellement ressentir d’un mot en -cide destiné à désigner en propre les usages disproportionnés de la force (armée) policière (les homicides policiers). Mais là, pour fabriquer le bon mot, il faut être drôlement calé en grec ancien. Des propositions ?

16- Naguère encore, une certaine sagesse des nations statuait, dans ce pays : il est vrai que les choses avancent trop lentement, mais ça bouge quand même, et ça va dans la bonne direction. Exemple : la lutte contre l’alcoolisme au volant. Aujourd’hui, la même sagesse des nations, très remontée, s’interroge : comment se peut-il que ce qui, hier encore, fonctionnait normalement ne marche plus que de façon aléatoire, voire pas du tout ? Exemple : la poste, la médecine rurale, l’entretien des routes. Que nous est-il arrivé ?

17- Il m’arrive parfois de prélever dans une boîte à livres un ouvrage qui y traîne depuis trop longtemps, comme on recueille un chaton abandonné par sa mère – par purs sentimentalisme et compassion : je l’ai déjà, en plusieurs exemplaires sans doute, répartis entre mes bibliothèques elles-mêmes dispersées aux quatre vents, mais c’est vraiment un trop bon livre pour être ainsi durablement délaissé. C’est trop injuste et ça fend le cœur. Dernier exemple en date : Thérèse Desqueyroux. Mauriac écrivain vaut infiniment mieux que son Bloc-notes dans Le Figaro.

18- Plus vous examinerez Hollywood de près et plus cela vous sautera aux yeux : avant d’être une usine à rêves, cette machine obèse et clinquante est (et a toujours été) un nid de coucou, une pompe à merde et un abattoir de femmes.

19- Ours qui tousse harasse le mousse.

20- Rien de tel qu’une bonne catastrophe pour que les gens qui vivent dans l’imaginaire rejoignent le réel. Enfin, entendons-nous : pour que ceux qui auront survécu à la catastrophe reviennent vers le réel, retrouvent le sol sous leurs pieds.

21- Au prix où sont aujourd’hui les bananes, une république bananière ne pourrait avoir que du bon. A condition, naturellement, que les bananes y soient gratuites.

Serge Brichton

Notes

[1Une nonnanananonagénaire.