A la poursuite du bonheur
« L’orgasme a été constaté chez les garçons de tous âges, depuis cinq mois jusqu’à l’adolescence »
Daniel Guérin, Kinsey et la sexualité (1955)
1- Je vais à l’école tous les jours, depuis dix ans et plus – et pourtant, je ne saurai jamais ni lire ni écrire, ni même compter jusqu’à dix.
Qui suis-je ? [1]
2- En ouverture de Téléramasse, le fringant philosophe à la barbe naissante Baptiste Morizot nous ouvre les yeux : le salut, l’avenir de la politique, c’est l’alliance entre les humains et les castors. Est-ce à dire que ceux-ci sauront nous instruire de l’art et la manière de faire barrage à l’autoritarisme macronien, à la réforme des retraites ?
3- On pensait Elisabeth Borne surgie du néant – mais c’est une grossière erreur : c’est de la bonne ville de Vire qu’elle nous vient. Ce qui n’explique pas tout, mais quand même un peu...
4- Phénoménologie du poste : J’allume la télé, ça pérore ferme autour d’une table ronde, ovale ou carrée. Pas même besoin de tendre l’oreille pour statuer, définitivement : « Tiens, en voilà un.e qui a obtenu son permis d’être con du premier coup ! »
5- La preuve de la démocratie, c’est qu’on a encore le droit de dire que le ministre de l’Intérieur est un menteur congénital – des faux billets du Stade de France aux gendarmes en état d’urgence absolue après les affrontements de Sainte-Soline. A condition de le faire ici, plutôt qu’ailleurs, à l’abri des regards plutôt qu’en pleine lumière. Le ministre de l’Intérieur, on le reconnaît au premier coup d’œil : c’est celui dont le nez s’allonge dès qu’il ouvre la bouche.
6- Cet air d’inaltérable bonne humeur qu’affichent les présentateurs-trices télé, destiné à être instillé dans les foyers du pays tout entier, ce n’est pas seulement un masque. Ce qui s’y détecte à l’œil nu, c’est l’infini et inusable contentement de soi de cette espèce – regardez-moi, admirez la scintillante diversité de ma garde-robe, succombez à mon charme irrésistible ! Ah, comme vous aimeriez être à ma place ! Vous croyez que je ne vous vois pas baver d’envie, pâlir de jalousie ?! Eh bien, vous pouvez toujours rêver... J’y suis, j’y reste, et jusqu’à mon dernier souffle, si je peux !
7- N. trouvait très injuste que la comédie dont il avait eu tant de mal à accoucher, Harpagon au bûcher ou le grille-pingre, une parodie de Molière qu’il estimait très réussie, ne figurât point encore au répertoire de la Comédie française. Il était porté à y voir l’effet d’un complot ourdi par une cabale hétéroclite formée tant d’antisémites que d’islamophobes – les premiers le voyant plutôt juif et les seconds, franchement muslim...
8- Mangez de la viande de cheval – vous hennirez de plaisir.
9- Avez-vous déjà fait l’amour dans un ascenseur ?
10- Jadis, les pauvres se méfiaient de l’hôpital comme de la peste. C’est qu’ils savaient qu’on les y conduisait pour mourir, en général. Aux temps bénis de l’Etat social, l’hôpital est devenu, par contraste, l’emblème de la modernité sanitaire, avec sa médecine de pointe, ses prouesses chirurgicales et son acharnement thérapeutique. Et puis voici que le poids lourd du Progrès enclenche la marche arrière : l’hôpital devient, aux yeux des gens ordinaires, le lieu de tous les dangers, de tous les abandons. Les vieillards les plus mécréants adressent de fervents prières au Ciel afin que celui-ci leur épargne l’épreuve d’y rendre leur dernier soupir.
11- Une existence humaine, c’est comme une machine à laver – toutes sortes de programmes possibles, longs, moyens, courts, et dans tous les cas une épreuve dont on ressort lessivé, essoré – mais propre, comme un mort, après la toilette.
12- Jusqu’à quel point peut-on remplacer l’amour par le vélo ? Répondez-moi de préférence sur Tiktok.
13- Ils.elles travaillent dur à fabriquer leurs subtiles excentricités et cultiver leur petite différence comme une œuvre d’art. Mais ils.elles aspirent tout aussi férocement à la normalité, ils.elles veulent bien que l’on discerne leur petite différence, mais pas qu’on la regarde et moins encore qu’on la commente. Le narcissisme comme mode de vie et complication existentielle.
14- A supposer que l’on installe le long des routes des radars destinés à sanctionner non plus les excès de vitesse mais de lenteur, à inciter, donc, les conducteurs à appuyer sur le champignon plutôt que sur le frein, alors : les radars ne s’appelleraient plus des radars mais des ra-dare-dare.
15- Difficile d’imaginer un monde sans Belges, évidemment, et pas seulement à cause du chocolat. Seulement voilà, la Belgique n’existe que depuis 1830, ce qui tendrait à indiquer qu’il y eut interminablement un monde sans Belges, à moins que considérer ceux-ci comme une société durablement sans Etat, à l’image des tribus amazoniennes de Pierre Clastres – ce qu’à Dieu ne plaise. Ergo, la question d’un monde sans Belges demeure ouverte : on ne peut pas exclure que ceux-ci disparaissent dans un avenir proche ou lointain, comme ils sont apparus, en 1830 – soit hier, à l’échelle de l’histoire universelle...
16- Roger Vercel, auteur, dans l’entre-deux-guerres, de romans maritimes et de Capitaine Conan, récit de guerre passé à la postérité grâce à son adaptation au cinéma par Bertrand Tavernier, s’appelait, de son vrai nom, Roger, Delphin, Auguste Cretin. On comprend qu’il ait, tout breton d’adoption qu’il fût, opté pour un nom de plume emprunté à un village du plateau franc-comtois. Ce qui me rappelle que, lycéen, j’avais un condisciple qui s’appelait Marcel Cretin. Lors de chaque rentrée scolaire, son plaisir (vengeur) était, quand le prof faisait l’appel lors du premier cours, de faire crouler la classe de rire en lançant joyeusement, à l’énoncé de son nom : « Sans accent, M’sieur ! ». Un gentil garçon, un peu mélancolique, grand amateur de Hari-Kiri et spécialiste de la maraude aux cerises dans les vergers suburbains, vers la fin du mois de mai.
17- C’est l’histoire d’un couple qui célèbre ses noces d’or. La vieille, un peu pompette, demande à son mari, dans un accès de sentimentalité : « Alors, finalement, est-ce que tu m’aimes ? » Alors le mari, pris de court : « Mais, c’est bien trop tôt pour le dire ! Laisse-moi encore un peu le temps d’y réfléchir ! ».
18- Aux dernières nouvelles, Marlène Schiappa qui jouait les mères la pudeur quand elle faisait ministre, occupe désormais un poste d’effeuilleuse à temps partiel chez Play Boy. Il n’y a pas si longtemps, les anciens ministres pantouflaient dans la banque ou se recyclaient dans les cabinets d’affaires. Marlène tire l’exercice post-ministériel vers le haut, en inventant la pantoufle coquine.
19- Plus le temps passe, plus les ruines s’accumulent, et plus il est clair et distinct que Zelensky, c’est avant tout le petit tank téléguidé d’un Joe Biden retombé en enfance. Toutes choses égales par ailleurs, au demeurant.
20- Depuis que je rêve en anglais, ma communication avec les autres rêveurs s’est beaucoup améliorée. Surtout quand je fais des rêves à connotation sexuelle.
21- Micro-radiographie de la politique de l’Etat : Un immeuble s’effondre à Marseille, suite à une explosion. Des morts, des disparus. Le ministre de l’Intérieur est sur place dans les heures qui suivent et il pérore devant les caméras. La scène est tant coutumière que récurrente, au point que nul.le ne songe plus à en relever l’incongruité et à poser la simple question : quelle nécessité impérieuse pousse ce personnage à effectuer un tel déplacement, toutes affaires cessantes ? Les pompiers, les médecins urgentistes, la police même et la justice locales ne sauraient faire leur boulot en l’absence de cette intervention divine ?
Bien sûr que si, mais ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit, avec cet aller-retour express : à aucun moment il ne s’est agi, pour l’homoncule ministériel, de diriger ou coordonner quelque opération que ce soit mais simplement de se montrer. Le but unique du déplacement, c’est la déclaration pour ne rien dire devant les caméras de télévision, destinée à être diffusée en ouverture du 20 heures et sur toutes les chaînes en continu.
Du point de vue d’une ontologie de la politique de l’Etat, la scène est probante : gouverner, c’est désormais mettre en circulation des histoires, des images, susciter des impressions – montrer que le ministre est sur tous les fronts et pas seulement celui de la répression virile des manifestations contre la réforme des retraites ou les méga-bassines. Jamais le double sens de l’expression « raconter des histoires » n’aura autant trouvé son emploi qu’en ce genre de circonstances où l’on voit un ministre ou un chef d’Etat vibrionner autour d’un accident, d’un incident ou d’un événement associé à l’urgence – la priorité absolue, c’est d’être sur la photo, aux infos, sur le lieu du « drame », au côté des victimes, au coude à coude avec les sauveteurs, c’est de fournir la matière à un récit de ce style – toujours le même, les communicants et les journalistes feront le reste. Face à l’accident, au « drame », la politique de l’Etat ne se soucie pas en premier lieu du réel mais bien du narratif – des effets escomptés d’une mise en scène du présent, placée, comme toujours, sous le signe de l’urgence. Faut que ça pulse, faut que ça mousse !
Du point de vue d’une ontologie de la politique de l’Etat, donc, la chose est désormais bien établie : il ne s’agit plus tant de faire (d’entreprendre des actions) que de produire des sensations et de fabriquer des récits. En ce sens, la descente éclair à Marseille du petit ministre, ce n’est que du surf sur la surface du réel – un show de routine, un spectacle attendu. De toute façon, il n’avait pas le choix, l’animal : se fût-il abstenu de faire son numéro in situ, que ses rivaux et concurrents, qui habitent la même planète spectaculaire que lui, n’auraient pas manqué de le taxer de négligence, d’absence de cœur et de coupable distraction.
Ce qui nous reconduit au réel, c’est la question, la seule qui vaille : quel est le coût du coup ? Quelques milliers d’euros, assurément, plus le coût environnemental du déplacement pour la frime – deux minutes de télé. Une séquence exemplaire de démocratie Potemkine.
Eve Mouyé