Agressions sur des Asiatiques de France

, par Koala 2018


Depuis quelques années, les Asiatiques de France sont la cible d’agressions répétées — vols à l’arrachée, braquages et homicides avec intrusion à domicile… — Ces violences font vivre une situation quotidienne de peur et d’angoisse à beaucoup d’Asiatiques, notamment dans des villes comme Aubervilliers, La Courneuve, Noisy-le-Grand, Vitry ou Villejuif. En réalité, en dehors de ces villes, les agressions se produisent de manière diffuse un peu partout dans la région parisienne et à Marseille. Les femmes sont les cibles privilégiées de ces agressions.

« Les cambrioleurs ont pris soin de marquer d’un bonhomme avec un chapeau chinois les appartements à cambrioler ! »

Les chiffres sont accablants. Par exemple, plus de cent agressions ont été commises par une petite bande sur des Asiatiques à Vitry. Dans le Val-de-Marne, une agression sur six touche les Asiatiques. A Noisy-Le-Grand, plus d’une centaine d’agressions. Des Asiatiques d’un immeuble entier à Belleville ont été attaqués. Et ils ont été les seuls à l’être ! Dans le même genre, dans un immeuble entier à Noisy-Le-Grand, les Asiatiques sont les victimes principales de cambriolages. Les cambrioleurs ont pris soin de marquer d’un bonhomme avec un chapeau chinois les appartements à cambrioler ! A la Courneuve, douze agressions sur des Asiatiques ont été enregistrées en un seul week-end. La liste est longue. Les chiffres sont souvent sous-évalués dans la mesure où certains ne portent pas systématiquement plainte.
Sous prétexte que les Asiatiques auraient du liquide, on met dans le même sac touristes Chinois ou Japonais, clandestins, prostituées qui doivent porter sur eux toute leur paie, grands et petits commerçants avec monsieur et madame tout le monde, le retraité avec ses quatre-vingt euros par mois de retraite, n’ayant cotisé que trente ans de sa vie. Et puis justifier des violences par la possession d’espèces sur soi ne revient-il pas à justifier un viol par le port d’une tenue légère ?
Ces crimes de droit commun, avec de petites intentions ont des conséquences tragiques, puisqu’ils conduisent à la mort d’innocents.
Des plaintes ont bien été déposées, du moins les premières fois, et en grand nombre, contrairement à ce qui a été dit, mais force est de constater que l’action combinée de la police et de la justice est clairement insuffisante. Par découragement, beaucoup se sentent impuissants et renoncent à porter plainte après des tentatives infructueuses. Beaucoup d’hommes et de femmes se sentent abandonnés.

« Ces victimes sont d’abord des gens en situation de faiblesse prises pour cible à cause de leur faciès et des préjugés à leur encontre. »

Des questions gênantes suscitent le malaise : les autorités connaissent-elles l’ampleur de la situation ? Est-ce un manque d’effectifs policiers ? Une volonté politique de laisser pourrir la situation et de laisser naître « un problème » ?
Ces agressions s’inscriraient dans la banale case des faits divers et ne se dissocieraient pas des agressions que subissent les autres habitants des zones dites « sensibles » si ce n’était le caractère massif et concentré des crimes commis sur la foi de préjugés et de fantasmes : les Asiatiques ont de l’argent liquide, ils ne se défendent pas, ils ne sont pas agressifs, ne porteront pas plainte. Or, malgré les manifestations dans les rues (Belleville 2011, Aubervilliers 2016) et les plaintes effectivement déposées, les violences continuent et s’accentuent.
Au contraire, dans un premier temps, lorsque les victimes asiatiques ont cherché à raconter leur triste réalité, on les a culpabilisées sur le fait que les Asiatiques transportaient sur eux de l’argent liquide, sans se préoccuper de leurs souffrances. Or, ces victimes sont d’abord des gens en situation de faiblesse prises pour cible à cause de leur faciès et des préjugés à leur encontre.

« Les Asiatiques qui sont loin de former une “communauté” se retrouvent dans le désarroi. »

La mission nécessaire et positive de la police est de protéger d’abord les faibles. Or, ce qu’on constate c’est que lorsque des actions publiques sont menées —manifestations de rue — les coupables sont rapidement retrouvés et mis en face de leurs responsabilités. Mais, lorsque ce n’est pas le cas, les morts et les blessures demeurent silencieuses. Pourtant, les citoyens et citoyennes asiatiques ne peuvent pas toujours descendre dans la rue pour qu’on leur rende justice. On n’imagine pas que chaque fois que monsieur ou madame Martin se fait agresser, toute la France descende dans la rue.
Par ailleurs, ces agressions sont peu médiatisées, elles demeurent des faits divers relayés quasi exclusivement par le journal Le Parisien et les réseaux sociaux, malgré le nombre des victimes et la récurrence des faits. Les médias nationaux ne les relaient pas ou peu, malgré les multiples appels de la part des artistes ou des représentants d’associations asiatiques. A la mort de Chaolin Zhang en 2016, on a davantage assisté au procès des Asiatiques considérés comme une « communauté sans problème et fermée sur elle-même ». On leur a conseillé de faire appel à la mafia chinoise ou encore, on a prétendu que c’était un complot ourdi par la Chine lorsque celle-ci a demandé à la France de faire la lumière sur les agressions concernant ses ressortissants. Soit dit en passant, cela ne concernait que les Chinois et non les autres populations asiatiques. Face à une sorte d’omerta, à la surdité des médias, qui considèrent le problème comme « insignifiant » et à l’ignorance des gens, les Asiatiques qui sont loin de former une « communauté » se retrouvent dans le désarroi.

« Il faut par ailleurs souligner que la plupart des Asiatiques agressés ne veulent pas d’une résolution communautaire ou identitaire des crimes. »

Il faut par ailleurs souligner que la plupart des Asiatiques agressés ne veulent pas d’une résolution communautaire ou identitaire des crimes. Ils mettent en avant les motivations clairement économiques avant celles racistes des délits. Les personnes agressées insistent sur le fait qu’elles méritent la sympathie de tous du seul fait qu’elles sont victimes. Elles laissent le soin à la police d’arrêter les responsables et aux juges de sanctionner leurs actes. Ce qu’elles demandent avant toute chose c’est qu’on prenne en considération leurs plaintes, que la police les protège, qu’elle mène des enquêtes et prévienne les actes criminels, afin qu’elles puissent vivre en sécurité au quotidien.
La plupart des agresseurs sont des mineurs. C’est ce qui explique le nombre des agressions et des récidives. Il est temps d’interroger la loi à ce sujet, puisqu’elle autorise et encourage des crimes en grand nombre jusqu’à des homicides (bien souvent involontaires) de gens en situation de fragilité : des touristes désemparés dans un pays inconnu, des prostituées sans défense, des clandestins sans papiers et sans possibilité de recours aux forces de police, des femmes de soixante-dix ou de quatre-vingts ans attaquées, dépouillées, parfois violentées.
La solution n’est pas de mettre tout le monde en prison. L’inefficacité, le coût et les effets pervers de cette sanction ont déjà été démontrés par le passé. Cela ne ferait qu’accroitre le taux de criminalité à long terme.

« Madame Hong, décédée à Vitry pour une poignée d’euros. »

Ce qui est déprimant, c’est que lorsque vous voulez condamner l’injustice, vous ne condamnez que des hommes, en l’occurrence ici, des enfants. Vous pensez mettre en prison un coupable et vous mettez en prison un innocent, comme le dirait Camus. Pour autant, on ne peut pas non plus faire comme si rien ne s’était passé. Et ce que les victimes demandent, c’est qu’on considère aussi leur position de victimes. Le fait que ce soit des mineurs rend la chose plus difficile. Car, dès lors, le soupçon d’une force que les adultes posséderaient en face d’adolescents renverse le camp des victimes et des salauds. En réalité, la femme ou la vieille dame qui essaie de fuir en pissant dans son froc ou qui essaie de défendre son maigre salaire et sa retraite de misère et qu’on traine au sol, est loin de posséder une force quelconque. Ces actes sont tout simplement abjects ! Et on a envie de vomir devant la démultiplication des innocents dans cette valse sordide d’automutilation des faibles envers les faibles.
Le plus dur pour la famille, lorsqu’une mère ou un père décède à la suite d’une agression, c’est l’absurdité et le caractère « accidentel » de cette mort, l’océan de silence qui l’entoure. C’est l’écart entre ce qu’elle représente pour la famille et la totale insignifiance de cette vie brutalement interrompue pour les autres. Une vie a été enlevée et personne ne le sait, surtout dans le cas d’une banale agression qui a causé une mauvaise chute ! Ce fut malheureusement la triste situation qu’ont vécue les enfants de madame Hong, décédée à Vitry pour une poignée d’euros. Vers qui se tourner à ce moment-là ? Quel visage donner au meurtrier ? Qu’il ait trente, dix-sept, quinze ou treize ans, sait-il au moins qu’il a tué quelqu’un ? Comment faire le deuil alors que le crime n’a pas été pris en considération, qu’aucune enquête n’a abouti, que personne n’a été interpellé ? Souvent, la famille se retrouve seule et désemparée.

« Mineurs ou pas, les agressions sont parfois d’une cruauté choquante. »

Certes, un adolescent n’est pas un adulte, il n’a pas la même conscience que celle d’un adulte. Cependant, l’éducation que les aînés donnent aux enfants dès qu’ils peuvent tenir sur leurs deux jambes n’est-elle pas de leur apprendre à faire face à leurs responsabilités ? Ce n’est certainement pas une chance pour ces enfants que de leur faire croire qu’ils peuvent agir impunément jusqu’à leurs dix-huit ans ou de les laisser penser qu’ils sont dans « une parenthèse miraculeuse ». On sait que ces jeunes sont fatalement rattrapés par la justice et le système carcéral dès leur majorité. Que cette loi relativise la responsabilité et introduise une proportion et une mesure dans le jugement à cause de l’âge du criminel est une chose fondée et juste. Pour autant, elle ne peut autoriser, sous prétexte de l’âge, que des délinquants restent impunis lorsqu’il y a crime et parfois homicide, ni le fait qu’ils ne soient même pas interpellés alors qu’ils ont été physiquement reconnus et signalés. Par ailleurs, beaucoup de ces adolescents sont utilisés et exploités par des adultes, dans des filières du crime organisé. Les adolescents demeurent des êtres manipulables et fragiles en ce sens. Il faut se réapproprier ce débat avec les responsables et les professionnels du domaine afin de protéger à la fois ces enfants et leurs victimes.
Car causées par des mineurs ou pas, les agressions sont parfois d’une cruauté choquante, comme cette jeune femme de 27 ans qui s’est fait tabasser par un groupe de jeunes, traînée sur plusieurs mètres et laissée pour morte à Vitry ou, plus récemment, cette autre jeune femme tirée par un scooter sensiblement au même endroit ou encore cet étudiant à qui l’on a arraché un œil, ce vieux qui s’est défenestré suite à un braquage à domicile avec arme à feu, à Noisy-Le-Grand. Ou encore, cet homme, Sheng Ping Luo, dont le crâne a été fracassé à coups de barre de fer pour son argent, à Marseille.

« Certains s’en vantent sur des vidéos … comme s’ils faisaient de simples blagues. »

Ces exemples extrêmement violents nécessitent des actions urgentes de la part des autorités. Toutefois, la véritable solution ne pourra pas venir seulement de mesures à court terme. Ces violences concernent la délinquance dans les villes où vivent des populations les moins favorisées. Aujourd’hui, les victimes sont des Asiatiques, mais demain si d’autres plus fragiles et plus exposés venaient à les remplacer, ils seraient choisis comme proies à leur tour. Pour l’heure, il s’agit d’éviter le pire, en empêchant les passages à l’acte.
Ce qui choque beaucoup d’Asiatiques, c’est la légèreté avec laquelle ces jeunes commettent des actes aussi graves. Certains s’en vantent sur des vidéos, se montrant en train de molester ou de dépouiller des Asiatiques comme s’ils faisaient de simples blagues. Cette attitude désinvolte est ostensiblement exhibée sur les réseaux sociaux afin de provoquer et de montrer une certaine volonté d’humilier, en jouant sur le raccourci entre la non-agressivité des Asiatiques et leur non-virilité.

Si les autorités ne font rien, au-delà des discours, si aucune mesure n’est prise pour protéger les victimes, il est à craindre qu’on ne favorise une nouvelle fracture dans la société et qu’on transforme une étincelle en incendie. Ce ne sont après tout que des crimes de droit commun. Même dans le seizième arrondissement, on arrête les voleurs et les cambrioleurs ! Ce n’est pas faute de tirer la sonnette d’alarme, mais de ne pas vouloir l’entendre. La situation est grave et il est à craindre qu’on ne crée un « problème » en laissant la situation s’enliser. A qui pourrait alors profiter l’existence d’un tel « problème » ?

« Les communautés sont de pures entités fictives, auxquelles finissent par adhérer les victimes en désespoir de cause. »

Quelles solutions à long terme ? Cette délinquance et cette violence sont le résultat d’un dysfonctionnement social profond qui ne concerne pas seulement les agressions envers les Asiatiques. Il faudrait intervenir à tous les niveaux : urbanisme, éducation, emplois, aides psychologiques… Et surtout, en finir avec une approche et une lecture communautaires des problèmes. Il faut arrêter de diviser le peuple en communautés juxtaposées qui ne pourraient avoir de visibilité et d’écoute que par cette injonction de former une défense repliée sur les « siens » faute de bénéficier d’une sympathie universelle. D’autant que les communautés n’existent pas réellement. Ce sont de pures entités fictives, auxquelles finissent par adhérer les victimes en désespoir de cause, n’ayant pas le soutien légitime attendu des institutions et de la société. Cette « communautarisation » forcée est une sanie qui suppure de plus en plus profondément en chacun de nous.

Une réelle volonté politique est nécessaire et cela dépasse une simple logique de sanction ou de répression pour que ces jeunes puissent même imaginer qu’il existe d’autres activités et « commerces » que celui « de dépouiller les Asiatiques ». Toute idée qui favoriserait de nouvelles manières de vivre ensemble et de réparer ces fractures contribuera localement à la résolution réelle de cette violence. La solution ne viendra peut-être pas seulement d’en haut ni de l’extérieur. Elle pourrait aussi venir de micro-initiatives. Tout est à inventer et tout est bienvenu dans le marasme dans lequel on se trouve aujourd’hui.

« Leurs scooters serviraient non plus à trainer les femmes au sol mais à véhiculer des tomates et des brocolis. »

Pourquoi pas, par exemple, des jardins partagés dans les villes les plus touchées, qui permettraient à tous de se connaître et de dialoguer en cultivant la terre ? Du moins, cela permettrait de souder des familles d’origines diverses autour d’un peu de verdure — ce qui manque beaucoup dans les cités bétonnées — et de permettre à chacun de défendre sa propre façon de se nourrir, d’améliorer la qualité de sa vie et de son environnement, de se sentir digne, en maitrisant un pan important de son quotidien, de partager le plaisir de manger.
Bouche heureuse et estomac satisfait favorisent dialogue et paix. La qualité dans les assiettes favorise la qualité dans les relations ! Tout le monde a droit à un peu de bonheur et, à défaut, de plaisir dans les papilles !
Voilà une idée qui est dans l’air et qui pourrait convertir des délinquants en futurs entrepreneurs du bio ou distributeurs des produits de l’AMAP ! Leurs scooters serviraient alors non plus à trainer les femmes au sol avec leur sac-à-main mais à véhiculer dans leur coffre des tomates et des brocolis. Il suffirait de planter la première graine de cette banlieue verte ! Voilà, certains qui ricanent déjà à cette idée de communauté fondée non sur la souffrance mais sur le bonheur. Et leur rire cynique confirme en un sens le bien fondé de cette petite idée qui pourrait en susciter d’autres : donner massivement à manger Stendhal, Flaubert ou Camus plutôt que les hamburgers de la culture de masse…

Koala 2018