Article 68
Si la France était non pas une démocratie idéale mais tout simplement une vraie démocratie (davantage qu’une démocratie réelle, au sens où la Bulgarie, dans les années 1970, vivait sous le régime du « socialisme réel »), il se trouverait, parmi les éditorialistes des grands quotidiens qui pontifient à longueur de colonnes, les professeurs de droit convertis à l’enseignement en distanciel, les intellectuels de gauche et progressistes préoccupés par la situation des droits de l’homme au Xinjiang – et même parmi les citoyens ordinaires et néanmoins vigilants, quelqu’un ou quelqu’une pour se souvenir de l’existence, dans la Constitution de la V° République, actuellement en vigueur, d’un certain article 68.
Résultant de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, cet article statue sur l’existence de la Haute Cour dont, je cite, l’unique mission consiste à prononcer la destitution du président de la République en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
La Haute Cour est composée de membres l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Parlement. L’article détaille les modalités de la procédure de destitution qui sont assez simples – l’affaire peut être réglée en quelques semaines.
Si la France était une vraie démocratie, donc, il serait venu depuis un certain temps à l’esprit d’un certain nombre d’esprits libres et bien avisés de l’existence de cet article de la Constitution que la conduite en tous points erratique et à plus d’un titre criminelle de la lutte contre la pandémie Covid 19 par la plus haute autorité de l’Etat constitue un cas exemplaire de ce que l’article 68 désigne spécifiquement comme « manquement [du président en exercice] à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
Les institutions de la V° République font du chef de l’Etat la clé de voûte de l’autorité politique. Il concentre entre ses mains la responsabilité des orientations et décisions politiques majeures et de leur exécution. Face à une épreuve comme celle que traverse la population avec la pandémie, il est comptable devant tous les habitants de ce pays de la manière dont le gouvernement, l’administration, les pouvoirs publics prennent en charge la lutte contre le fléau et veillent à la sécurité sanitaire de la population.
Or, depuis le début de l’année 2020, l’autorité politique et publique n’a cessé de faillir à cette tâche. L’exemple de l’incompétence, des cafouillages, des dénis, de l’amateurisme est venu des plus hauts sommets de l’Etat – c’est à l’Elysée et nulle part ailleurs que se prennent les décisions inapplicables vouées à être révoquées dès le lendemain, que se donne libre cours cette présomption sans bornes qui s’associe à l’exercice du pouvoir solitaire, celui du quasi-monarque équipé de son savoir épidémiologique autodidacte – un savoir à 100 000 morts.
En créant, par son incurie, son inconséquence, les conditions pour que la pandémie continue de flamber dans notre pays plus d’un an après que soient apparus les premiers signaux d’alerte, le président en exercice a, manifestement, « manqué à ses devoirs ». La population a été massivement exposée à l’épidémie, là où d’autres stratégies, d’autres décisions, d’autres dispositifs (à l’instar de ce qui a été conduit avec succès dans d’autres pays) auraient permis d’éviter de payer le prix qu’elle a dû payer. Ce n’est pas à un désastre sanitaire, une sorte de désastre « naturel », que nous faisons face, mais bien, en premier lieu, à une faillite – celle de nos gouvernants face à la pandémie, et donc, au premier chef, celle du personnage qui incarne la responsabilité de l’autorité politique.
Cette faillite appelle la destitution, dans les formes prévues par la Constitution, de celui qui, depuis le début de l’épreuve, a manifesté son incapacité à « exercer son mandat » – qui aurait consisté, ici, à assurer la sécurité sanitaire de la population en organisant avec compétence et efficacité la lutte contre la pandémie. Proroger le mandat d’un potentat auquel sa faillite face à la calamité a fait perdre toute légitimité, c’est se condamner à subir l’épreuve encore et encore. Puisque la Constitution le permet, déposons les faillis et prenons nos propres responsabilités – en relevant enfin, collectivement, le défi de cette calamité.
C’est, certes, à des parlementaires constitués en Haute Cour qu’il revient, selon la Constitution, d’enclencher et conduire la procédure de destitution du président. Mais rien n’interdit que se fasse entendre la vox populi qui les encouragera dans ce sens. Ce ne serait pas la première fois que, dans notre beau pays, l’idée salutaire surgirait du bas plutôt que du haut.
Ps : il ne serait pas mauvais que sans attendre l’heureux jour de la destitution de l’organisateur en chef de la débâcle, une sorte de Juin 1940 en version épidémique, la demande d’une enquête de l’Organisation Mondiale de la Santé sur les conditions dans lesquelles la pandémie a prospéré en France au fil de l’incapacité des autorités en place à y faire face pourrait être appelée à devenir massive et populaire. Si une telle enquête s’est avérée indispensable en Chine, où la pandémie a été jugulée, elle l’est bien davantage encore en France à l’heure où celle-ci continue comme jamais d’exercer ses ravages.