Bas les masques !

, par Joss Karafon


« On ne s’arrête pas chez le père Foucault, dit l’homme de Londres, en désignant une ferme à l’écart. »
Antoine Blondin, L’Europe buissonnière (1949)

1- Très belle performance, cette après-midi, sous une pluie battante : fait à vélo le tour des neuf boîtes à livres de ma localité (dont certaines passablement excentrées) et soigneusement calligraphié au fronton de chacune d’entre elles, au moyen d’un bâton de rouge à lèvres Estée Lauder, incarnat : « Lire peut nuire gravement à la santé ».

2- Le moment populiste : avant, le leader destiné à devenir homme d’Etat, président, émanait d’un parti dans lequel il avait fait ses classes et ses gammes, appris son métier de politichien. Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est le malin, l’ensorceleur surgi du néant et auquel le destin a souri qui, une fois hissé sur le pavois, bidouille son parti en rassemblant autour de lui toute une poussière d’humanité affamée de pouvoir.

3- Aussi bizarre, voire choquant, que cela puisse paraître, je fais partie de ceux qui auraient toujours préféré qu’Alexa soit une gourgandine plutôt qu’une machine. Mais c’est une vieille histoire : depuis que l’on a pris l’habitude de donner des prénoms de femmes à des machines, toutes sortes de machines, y compris de mort (la Grosse Bertha...), des bagnoles, des moulinettes, des tondeuses à gazon – les choses vont de mal en pis – mais le pire, c’est que les dames de Metoo ne suivent pas l’affaire : elles sont toutes au Festival de Cannes.

4- Il y a, désormais, un problème avec le bon voisin. Il est avenant, on échange avec lui agréablement dans l’ascenseur, devant le local « dédié », (comme on dit désormais en novlangue d’aujourd’hui) aux poubelles, on pourrait envisager de l’inviter pour un apéro – mais voilà, on est entré dans l’ère du soupçon généralisé : et s’il arrivait qu’entre pastis et crackers, et dès le premier quart d’heure, cet homme débonnaire se mette tout naturellement à s’épancher en idiome zemmourien ? En jargon C-News... ? Après tout, ni ça ni son contraire, n’est écrit sur sa figure...

5- Si l’on vous demande de couper un chat en deux, exigez de le faire en large, plutôt qu’en long.

6- Nombreux sont les gens qui, dans la vie, avancent avec un pied dans le réel et l’autre dans… on ne sait pas trop quelle vase ou bouillie, sanie ou merde fantasmagorique. Pas étonnant qu’ils claudiquent.

7- Avez-vous déjà enculé un cardinal ? Branlé un évêque ? Gamahuché un pape honoraire ? Titulaire ? Atrabilaire ? Poitrinaire ? Pétitionnaire ?

8-
– Tiens, appelle la police...
– Pour quoi faire ?
– Pour leur dire que je les emmerde…
– Bon... mais pourquoi comme ça, tout à coup, maintenant ?
– Parce que c’est mon anniversaire, tiens ! – dans une société démocratique et vraiment libérale, les gens devraient avoir le droit de dire à la police qu’ils l’emmerdent, une fois par an, le jour de leur anniversaire, justement...
– Mais ce n’est pas possible, ça encombrerait les lignes téléphoniques des commissariats, des gendarmeries... Les flics ne pourraient plus faire leur boulot...
– Ça ne se ferait pas forcément au téléphone : par mail, sur WhatsApp, par courrier postal, même, en calculant bien pour que la lettre arrive bien le jour de votre anniversaire – ou bien, tout simplement dans la rue : vous passez en voiture, vous voyez des flics en patrouille sur un trottoir, vous ralentissez, vous baissez la vitre et vous lancez : « Tiens, salut, les flics, alors vous savez quoi – je vous emmerde ! » – le tout accompagné d’un bras d’honneur cordial et débonnaire.
– Je comprends, mais alors comment éviter les abus, inévitables...
– Les abus devraient évidemment être sévèrement punis !
– Mais comment ?
– Ben... par la police, tiens – comment faire autrement ?

9- Ce qu’il y a de vraiment bien dans les révolutions, c’est que pendant et après, les migrants, ce n’est pas les pauvres du Sud, c’est les parasites à particules et les ploutocrates. Simplement, on ne les appelle pas dans ce cas des migrants mais les émigrés. Et eux, en revanche, ils sont accueillis à bras ouverts dans les pays voisins.

10- Brève de comptoir (pas si brève que ça, en fin de compte) : moi, vieux souchien devant l’Eternel descendant d’une lignée immémoriale de gueux en sabots issus du terroir du Beaujolais, je commence à en avoir sérieusement ma claque de voir et surtout entendre s’agiter sur le devant de la scène toute cette cohorte bigarrée de Français de papier de l’avant-veille (et autres pièces rapportées aux consonances étranges) et dont les grands-mères, assurément, ne maîtrisaient pas la langue de Voltaire (comme on dit)... Dites-moi donc un peu, dans Bardella, l’accent tonique et exotique, il est sur la première, la seconde ou la troisième syllabe ? Et l’autre, le possédé passé sans transition du Maréchal à la Maréchal, descendu de son maquis d’outre-Méditerranée, il a vraiment oublié que son nom désigne l’olivier en arabe et qu’à ce titre, il ne fera jamais qu’un souchien pour rire ?
Mais surtout : si moi, vieux souchien et plus-autochtone-que-moi-tu-meurs, pas ajouté à la liste de fraîche date, il me sied de vivre avec Mamadou, Ali et Mehmet et Aicha et Hamid et I-Ting et Trang et tous les autres bronzés ou pas bronzés, Muslims ou pas, dont j’aime l’éclat du neuf et que je trouve de bonne compagnie... plutôt qu’avec ces cinquièmes roues du carrosse hexagonal, bande de blêmes tarés qui n’ayant rien d’autre à vendre au chaland que l’imaginaire qualité de leur peau, leur patriotisme de synthèse et l’émétique civilisation européenne de leur invention et qui n’est que le nom de scène de la haine de tous les autres – et si moi, donc, qui, contrairement à vous, suis d’ici et de toute éternité, c’est avec ceux qui nous arrivent d’ailleurs aujourd’hui (et qui fleurent bon l’air du lointain) que je préfère vivre plutôt qu’avec la contrefaçon, les faux Vuitton de cette douce France moisie qui se chante, de préférence, pendant les années de défaite et de honte ? N’est-ce pas là le premier de mes droits ancestraux de raciné jusqu’à la moëlle ?

11- Il y a un problème avec les actrices qui tiennent la vedette aujourd’hui dans le Hall of Fame de Metoo : elles incarnent cette espèce inconséquente avide d’engranger tous les bénéfices d’un art de s’exposer et d’y briller de tous ses feux – mais elles exigent désormais une exposition entièrement protégée, une exposition désexposée, une exposition immunitaire. Ce qui n’existe pas. Elles sont comme des pilotes de Formule 1 qui voudraient gagner en toute sécurité, comme dans un fauteuil ; comme des militaires professionnels qui exigeraient une assurance contre la mort. Mais c’est un fait : elles n’ont pas choisi d’être institutrices ou infirmières – c’est, bien sûr, qu’il y manquerait l’éclat des sunlights. Il faut toujours y revenir : par quelque biais qu’on le prenne, le cinéma se singularise en tant qu’art dangereux et litigieux – tout comme l’alpinisme est un exercice particulièrement périlleux. Mais on n’est jamais obligé – la pétanque peut procurer aussi bien des satisfactions.

12- Il n’a vraiment pas fallu longtemps pour qu’à l’épreuve du feu le double fond pied-noir (enfin – pieds-blancs) des Caldoches se dévoile – les milices et, bientôt, une bonne petite O.A.S... Or, le destin du pied-noir, c’est de finir en « rapatrié ».

13- Ce qui marche vraiment très fort dans la propagande occidentale à propos de Taïwan, c’est le sous-entendu sexuel : la Chine (le pouvoir chinois), c’est le gros harceleur violent bouillant d’impatience de se précipiter sur la frêle vierge taïwanaise (une vierge démocratique des pieds à la tête, circonstance aggravante), et de lui faire subir les derniers outrages. C’est ce que tout le monde entend quand on lit dans le journal : « Quand la Chine prendra-t-elle Taïwan ? ». Et s’il est un crime qui fait frémir d’horreur aujourd’hui, c’est bien le viol collectif d’une entité de 23 millions d’habitants... Mais si les choses étaient aussi simples que le suggère cette image d’épouvante, ça se saurait.

14- Le sentiment collectif de l’innocence native, inaliénable, perpétuelle que peut éprouver une collectivité à laquelle on met sous le nez les crimes où elle trempe jusqu’au cou, ce sentiment de l’innocence outragée, c’est l’insupportable présomption de l’espèce s’estimant intouchable, hors d’atteinte (sacrée, pour tout dire) – d’où la stupéfaction indignée de l’homme/la femme de la rue israéliens à l’annonce de la mise en cause de Netanyahou et Gallant par la Cour Pénale Internationale. How dare they ?, nous victimes de toujours et aujourd’hui enfants chéris de la démocratie occidentale... Oser nous demander des comptes pour nos crimes et exactions, à nous !
Eh oui, à vous, précisément. Car il se trouve généralement que le crime a un nom et une adresse.

15- Un podologue, c’est un pédicure ultra-viril qui a peur qu’on le prenne pour ce qu’il n’est pas.

16- Tout est possible (philosophie de l’Histoire) : une nuit de noces qui a (très mal) commencé en concours de pets peut parfaitement s’achever en apothéose (les jeunes mariés entendent, à l’aube rosissante, le brame du cerf).

17- Todesfuge revisited

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Tsahalland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Tsahalland sein Auge ist blauweiss
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
Er schenkt dir ein Grab in den Ruinen da liegt man auch nicht eng.

18- Ils parlent comme d’autres allument des feux de poubelles. Ensuite, ils s’étonnent de la pollution, de l’air irrespirable, empuanti...

Joss Karafon