« La vérité n’a de prix que dans la bouche des menteurs. Pour les autres, où est le mérite ? »
Etienne Rey, Eloge du mensonge (1925)

1- Dans toute mère somnole (ou prolifère comme une tumeur) une caricature de mère. La raison pour laquelle mieux vaut les fuir dès que (et aussi loin que) possible, les mères. On remarquera à ce propos que si le fait, pour une mère, d’avoir un enfant a un nom solidement établi (la maternité), le fait d’être fille ou fils d’une mère (affligé d’une mère) n’en a pas. On pourrait, ici, risquer ce néologisme : être emmaterné.

2- On voit prospérer chez les gens d’en-bas, les opprimés, les racisés tout un antisémitisme logique, non relié à la raison. Celui-ci procède par associations qui, loin de tomber du ciel ou remonter du fond du puits – l’immémorial – sont, hélas, entrelacées à la texture du présent – mais qui partent à la dérive, s’égarent dans la jungle de l’actualité. On passe des criminels qui président aux destinées de l’Etat d’Israël à « Israël », d’Israël aux Juifs, des Juifs à la Bible, etc. On se perd dans les généralisations, on essentialise et simplifie à mort, on dit « les » là où il faudrait dire « des » « certains », etc. La pensée dérape, s’abîme – ce qui nous affecte à bon escient. On brûle les étapes, on s’économise l’examen sérieux de chaque maillon de la chaîne, on n’est pas expert en concaténation. Alors, on saute de la destruction de Gaza à : les Juifs, ça commence à bien faire – d’ailleurs, tout ça, c’est déjà dans la Bible, etc.
Que ceux.celles d’en-haut qui, eux aussi, s’égarent plus souvent qu’à leur tour dans leurs enchaînements et que l’anéantissement de Gaza ne remue pas plus que ça leur jettent la première pierre, à ces indignés.

3- Wanted – le con de chez con qui a placé un cadenas à numéro sur la boîte à livres de Saint-Arcons, pittoresque village surplombant la vallée de l’Allier (43300). Ma collection complète de L’écho des savanes reviendra à celui.celle qui déposera sa dépouille fumante au petit matin, devant ma grille.

4- Bref roman sur le différend entre les sexes (morale incluse) : elle lui avait dit, dès qu’il s’étaient connus : « Le jour où je commence à m’emmerder en baisant avec toi, je te plaque ». Alors, forcément, lui, ça lui faisait perdre tous les moyens, moyennant quoi leur histoire s’acheva sans tarder.
Encore une qui aurait bien fait de mettre son cerveau en marche avant de causer.

5- Les Juifs ne sont devenus tout à fait blancs (tout à fait des Blancs) après la Seconde guerre mondiale et la Shoah qu’à la condition expresse qu’ils cessent d’être communistes – ce qu’ils étaient en proportion variable, mais non négligeable. Cela s’est fait en deux vagues – pendant la Guerre froide, puis après la chute de l’URSS. Mieux : qu’à la condition que leurs élites intellectuelles et culturelles prennent une part active à la lutte contre le communisme. C’est au fil de cette hideuse métamorphose que le parvenu juif anticommuniste (bien souvent un renégat du mouvement communiste) est devenu un personnage d’époque et un homme.une femme de pouvoir.

6- Le livre de la jungle : un peu trop de tigressions, quand même.

7- Envisager les inventions humaines du point de vue des autres espèces vivantes – la hache du point de vue de l’arbre, le bitume du point de vue du hérisson, le couteau de celui du mouton, etc. Faire le compte, sur les doigts d’une main, de celles qui profitent à d’autres que l’humaine.

8- Lucie Casse-tête : elle a appris les fondamentaux de la lutte des classes en administrant les finances de la Mairie de Paris. Pour un roman de formation, ça se pose là...

9- I had a dream : six figures en vue du cinéma français contemporain viennent d’achever un film collectif en onze épisodes, intitulé Loin de Gaza. Voici les noms de ces courageux et courageuses : François Ozon, Quentin Dupieux, Catherine Corsini, Emmanuel Mouret, Michel Hazanavicius, Caroline Pozzi (associée à Jonathan Vinel). Film coordonné par Mathieu Kassovitz. Plus de deux cents techniciens, bénévoles, comédiens, journalistes ont prêté la main à cette réalisation collective – sans oublier les généreux souscripteurs.
C’est une (mauvaise) blague. Voyez, si vous tenez à savoir ce qui l’inspire, l’article Wikipédia consacré à Loin du Vietnam (1967), film co-réalisé par Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch, Alain Resnais – sous la direction de Chris Marker. Un film bien lointain, en effet.

10- Le vent souffle en rafales, il fait le malin – pure ventardise.

11- Complètement écœurés par les nouvelles révélations sur les exactions sexuelles perpétrées par l’Abbé Pierre tout au long de sa (longue, justement) carrière, les responsables de la Fondation Abbé Pierre ont statué sur l’urgence d’un changement de dénomination.
Ci-dessous quelques propositions formulées dans un esprit constructif :

Fondation du Lapin agile
Fondation du Chat qui pelote
Fondation du Saint-Prépuce
Fondation Les Mains Baladeuses
Fondation du Gros Dégueulasse
Fondation Père Queutard
Fondation du Capucin Lubrique
Fondation Vicelard & Lutin
Fondation La Main au Panier
Fondation Nibard, Robert et associés.
Fondation Les Amis de la Turlutte
Fondation Abbé Polisson
Fondation La Soutane en Folie
Fondation La Charité Erectile
etc.

12- Tout ça pour ça : Deux mois après avoir héroïquement barré la route au Rassemblement national en préconisant le désistement républicain en faveur de « démocrates » de la trempe de Darmanin, Borne, Wauquier, etc. les gros malins de LFI se retrouvent avec un premier ministre adoubé par les fascistes, suite à un accord entre coquins – Manu et Marine. Un ban pour le front, que dis-je, Front, républicain !

13- Evitez de porter à la maison des chaussons [1], même en hiver – vous risquez de vous retrouver avec les pieds en compote.

14- Rien n’est plus rare par les temps qui courent qu’un esprit libre, vraiment libre. Exemple : sur les 540 journalistes qu’emploie Le Monde, tous supports confondus, ne peut être considéré comme esprit libre (et honoré comme tel) qu’un seul d’entre eux : Stéphane Foucart, éditorialiste sur les question environnementales et écologiques.

15- A propos d’écologie et d’environnement, justement, on s’accordera pour dire que mieux vaut être l’heureux propriétaire d’un poêle de masse qu’affligé d’une masse de poils [2] – même si, naturellement, la seconde tient chaud, elle aussi.

16- Dans les hautes sphères de l’Etat, on rêve de pantoufler, tout en redoutant d’être placardisé. C’est absurde : on peut parfaitement pantoufler voluptueusement, indéfiniment, au fond d’un placard, à l’abri des regards indiscrets. Le seul problème, techniquement soluble, c’est l’aération.

17- A la différence des dirigeants nazis qui ne ménageaient aucun effort pour dérober la mise en œuvre de la « Solution finale » au regard du monde et en effacer les traces, Netanyahou et sa clique poursuivent l’extermination des habitants de Gaza et sèment mort et désolation en Cisjordanie occupée sans en faire grand mystère, sous les yeux des peuples du monde, tant ils sont assurés non pas de leur bon droit mais de leur impunité. Ce sont des nazis décomplexés.

18- Also sprach Luca : quand un match France-Italie se déroule au Stade de France ou au Parc des Princes, les supporters transalpins, les Franco-Italiens, les Italiens de France sont bienvenus dans les tribunes avec leurs drapeaux vert-blanc-rouge. Quand (rarement) se tient en France un match France-Algérie, il n’en va pas de même – la présence de drapeaux algériens est dénoncée comme une « provocation ». Pour la même raison, un match opposant l’équipe de France à celle de Palestine est inconcevable – or, la Palestine a bien une équipe de foot qui participe au championnat d’Asie. La géographie politique du foot est assez déroutante – les Israéliens y sont européens, les Palestiniens asiatiques – or, Israël occupe la Palestine... La raison pour laquelle la meilleure occasion, en France, d’arborer (à ses risques et périls) un drapeau palestinien, c’est un match... France-Israël.

19- Je m’activais sur un projet de film documentaire consacré à l’agitation autour des mégabassines, mais j’ai laissé tomber quand je me suis aperçu qu’il en existait déjà une flopée, et que le sujet est rebattu. Je me suis donc réorienté vers un péplum consacré aux méga-Sabines, peuple de géantes imaginaires mais prometteuses. Comme le rappelle Gianbattista Vico dans La Science nouvelle, la croyance selon laquelle des races de géants ont existé à des âges historiques ou pré-historiques indéterminés est très largement partagée parmi les peuples d’Europe – le folklore et les fêtes calendaires en témoignent. Evidemment, selon ces prémisses, la scène inévitable de l’enlèvement des Sabines se complique, dès lors que celles-ci sont devenues méga. Comme on le voit bien à l’occasion des différents carnavals et autres festivités populaires où figurent des géants, il y faut, pour le moins des poids lourds de quinze à trente tonnes. Ce dont la présence dans une scène destinée à être le clou du film apparaît difficilement compatible avec la notion même de péplum. C’est sur ce point que mon scénario achoppe en ce moment – n’hésitez pas à me faire signe si vous entrevoyez une solution.

20- Pour finir, un concept avec lequel il serait plus que temps que vous vous familiarisiez : ultracrépidarianisme, soit la mauvaise habitude de donner son avis sur un ou des sujets à propos desquels on est dépourvu de compétence. Ce terme provient d’une locution latine empruntée aux Histoires naturelles de Pline : « Sutor, ne supra crepidam ». Il y est question d’un cordonnier (sutor) qui, ayant fait remarquer au peintre Appelle un défaut dans la représentation d’une sandale (crepida), dans l’un de ses tableaux, avait conduit le peintre à effectuer une retouche ; s’étant senti encouragé du coup à critiquer d’autres détails du tableau, il avait été alors remis à sa place par le peintre, lui opposant la formule précitée – « Cordonnier, pas plus haut que la sandale », en d’autres termes, mêle-toi de ce que tu connais, pas du reste.
La prochaine fois que vous rencontrez un.e ultracrépidarien.ne, ce qui ne saurait tarder, vous savez ce qui vous reste à faire. La cote de la formule latine est un peu tombée, en général, par les temps qui courent – mais qui sait, avec Barnier...

Jason Buddy