Conte de Noël

, par Colonel Mario Gibié


A la mémoire de Johnny d’Ormesson

Il existe deux variétés de slips : ceux qui portent chance, et ceux qui portent malheur.
Les premiers sont les slips de facture ancienne, en coton, généralement blancs, de forme triangulaire et de marques classiques comme Petit Bateau, Rasurel, Eminence ou encore, dans les pays hispaniques, Bandalez.
Les seconds sont les slips de la nouvelle génération, de couleurs gaies et variées, souvent ornés de motifs agréables et susceptibles de convenir à tous les goûts, petits lapins, cœurs, fleurs, poissons, etc. Ils sont de formes variables, taille haute ou basse, tendant souvent vers le caleçon, se portant plus ou moins serrés et fabriqués dans des matériaux synthétiques aussi légers qu’agréables. Citons quelques marques, toutes de bonne aloi – Dim, Arthur et... Eminence qui a su renouveler ses gammes.

En quoi, à l’usage, un slip qui porte chance se distingue-t-il d’un slip qui porte malheur ? Un seul exemple permettra de répondre à la question de façon aussi probante que définitive : tôt matin, par un frais dimanche d’automne, vous sortez pour votre jogging hebdomadaire au Parc de la Courneuve. Vous n’avez pas parcouru cinq cents mètres en petites foulées qu’une vive douleur vous parcourt le bras gauche, vous suffoquez, terrassé par l’accident cardio-vasculaire majeur. Vous perdez conscience et lorsque, une bonne demi-heure plus tard, on vous hisse dans l’ambulance, vous n’êtes plus que l’ombre de vous-même, une loque, et ceci sans le moindre espoir de rémission ou de réparation.
Est-il besoin de préciser que vous avez cru bon, lors de vos préparatifs en tous points mal inspirés, d’enfiler, sous votre pantalon de jogging, un vieux slip kangourou retrouvé au fond d’une armoire, imaginant, bien à tort qu’ainsi équipé, vous auriez les génitoires mieux soutenues – fatale erreur !

Imaginez maintenant qu’avant de vous élancer sur le parcours accidenté tant de fois parcouru, vous avez pris la sage précaution d’opter en faveur du slip en fibre élastique, dernier cri, imitation peau de panthère, cadeau de votre épouse à l’occasion de vos vingt ans de mariage... Vous vous élancez d’un pied léger, avalez sans difficulté les premières montées, et puis voici que parvenu au petit pont métallique enjambant la voie de chemin de fer, vous tombez sur une accorte joggeuse - pas toute jeune, mais pimpante encore et manifestement coureuse expérimentée - et qui, perdue, vous demande le chemin de la porte X où elle a laissé sa voiture. Cela tombe bien, c’est dans cette direction que vous vous dirigez, vous repartez donc de conserve et à foulées alertes, et, l’air frais du matin inhalé à pleins poumons exerçant sur l’un et l’autre un effet légèrement euphorisant, éprouvez rapidement de fortes affinités au point que, parvenus au petit lac, juste après les trois collines, vous bifurquez directement vers un providentiel et bien épais petit fourré pour une roborative partie de crac-crac, à la Simpson, par consentement distinctement mutuel !
La plus tout à fait mais encore jeune femme admire au passage le motif carnassier de votre sous-vêtement, mais vous vous gardez bien, par délicatesse autant que discrétion, de lui en indiquer la provenance.
Vous repartez chacun de votre côté, non sans vous être souhaité une bonne continuation, un bon dimanche et dit à une autre fois, peut-être...

La morale de cette histoire apparaîtra à chacun/e dans toute sa clarté sans qu’il soit nécessaire d’épiloguer à l’infini. Venons-en donc directement à la conclusion, en forme d’exhortation : renoncez à vos vieux slips chiffonnés qui vous portent la poisse, achetez et portez des slips modernes ! Laissez-vous porter par la vague du progrès moral constant de l’humanité, tel qu’il vous incite tout naturellement à porter les slips de Justin Biber plutôt que les mêmes sous-vêtements que vos grands pères ! Soyez constructifs, entreprenants, mettez toutes les chances de votre côté !

Une vie réussie ou une vie gâchée tient parfois à peu de choses – le choix d’un bon slip.

Colonel (CR) Mario Gibié, ancien conférencier à l’Ecole de Guerre