De l’abjection pure
L’Université Paris 8 Saint-Denis, ex-Vincennes, qui fut jadis et naguère le sanctuaire de toutes les radicalités politiques et surtout, peut-être, celui de la radicalisation de la pensée (Foucault, Deleuze, Châtelet, Schérer, Hocquenghem, Rancière...) lance sur le marché des bourses doctorales destinées à soutenir des thèses consacrées à la « radicalisation » – quelle « radicalisation » ?, la chose va de soi. Les logocraties contemporaines ne ménagent aucun effort en vue de capter et embrigader les mots de l’émancipation au service de leur politique xénophobe et sécuritaire.
Dans un pays où les bourses doctorales sont aussi rares que la vertu dans les antichambres des archevêchés, dans une université établie dans une banlieue populaire où sont nombreux les étudiants issus de l’immigration, ce n’est pas un « appel d’offre », c’est purement et simplement de la corruption intellectuelle – et de l’abjection académique.
La sorte d’espèce de « laboratoire » qui relaie servilement cette proposition tombée du ciel macrono-casténérien inclut le département de philosophie. Désormais, les jeunes chercheurs en philo de Paris 8 seront donc tentés de se détourner de Kant, Marx, Foucault... pour mettre leur talent au service de la lutte idéologique contre la « radicalisation » – en tant que celle-ci est, cela va de soi, intrinsèquement « islamique » et donc terroriste...
Leur restera toujours la solution d’un énergique détournement de la commande : « Philosophie de la radicalisation des forces policières dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes ». « Racisme d’Etat et chasse aux migrants – généalogie d’une radicalisation ». « Néo-fascisme et radicalités identitaires en France et en Italie – une étude comparative ».
Etc. L’espèce de sorte de Labo qui relaie cet outrage à la décence universitaire s’appelle « Sens »... Juste histoire de rigoler... Bref, on est en plein LTI, le maître ouvrage de Victor Klemperer...
Rose Keller