Des draps, des empires. Vers un journalisme propagandiste

, par Idlir Nivik


Chaque guerre dissimule un peu sa littérature future. Le flux d’informations des médias, qui couvrent la guerre, ne fait que mettre en exergue, ici-là, des fragments de cette littérature à venir. La partie visible de cette information, ne sert qu’à la transmission, avec un petit peu de recul, du discours des États, des puissances à vrai dire. Même dans la guerre en cours, il n’y a pas eu d’exceptions. On dit « il n’y a pas eu » (au passé composé) car, la turpitude y demeure, et que l’information mainstream la propage.

Ce ne sont pas les leaders politiques qui absorbent verbatim la déclaration bétonnée de Harry Truman, après qu’il a donné l’ordre de lancement de la bombe sur Hiroshima : « I didn’t loose a night’s sleep over it » (« Je n’ai pas perdu une seule nuit de sommeil à cause de cette histoire »). Sans savoir, peut-être, Truman n’évoquait pas tant son sommeil personnel que la sûreté que cet acte – un précédent dangereux, la menace de la bombe des USA sur la planète – fit sortir le champignon atomique, derrière lequel désormais s’étalerait le champ libre à la réalisation de toutes les libertés dans l’histoire.

Dans une autre version de cette fragrance hégélienne, un personnage sommeillait à Lviv (Lemberg), en Ukraine, qui jadis était désigné par le nom de Galice. Le personnage en question rêvait d’une femme qui le suppliciait avec un fouet. Séverin, le héros du roman La Vénus à la fourrure (publié en 1870), s’était endormi, le livre de Hegel ouvert sur ses genoux. Il rêvait d’un nouveau genre de plaisir (Lust). Entre temps, l’auteur, duquel nous héritons le terme « masochisme », esquissait les contours d’un régime, ou ordre, qu’il nommait « gynocratie ». Les mâles de ses récits sont agenouillés devant le fouet de la Femme. Ils font face à des femmes, symboles d’une Russie connue pour ses images despotiques, tel un Romodanovski, gouverneur général, bourreau de la monarchie de Pierre le Grand, figure similaire du gouverneur britannique en Inde, Lord Hastings (1)… Et aujourd’hui, Poutine, chez lequel l’Occident, depuis des années, s’est acharné pour voir en lui, un archétype.

Le terme « gynocrate » ne fait aucunement allusion à une quelconque démocratie connue ou déclarée :

– ni quand la Présidente de la Commission Européenne, Van der Leyen créa un précédent : en dehors de toute légalité, elle acheta des armes et arma un pays, sans en être belligérante elle-même.

– ni lorsque la ministre écologiste allemande, Annalena Baerbock, déclara avec pathos « la fin de la position pacifique » de son pays, statut imposé depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale : confirmant la décision de son gouvernement de financer à hauteur de plus 100 milliards euros la remilitarisation de l’Allemagne.

– ni lorsque l’ancienne vice-secrétaire du Département d’État, Victoria Nuland, fut prise en flagrant délit d’ingérence sur la place Maidan (en 2018, en Ukraine), alors qu’elle dictait à son ambassadeur les noms des membres du nouveau gouvernement ukrainien. Après la fuite de cette information, elle félicita, embarrassée mais sarcastique, les wikileakers pour la super qualité son de cette vidéo !

– ni lorsque Biden, assis à la tête du sommet de U.E. « fouetta » Poutine, en déclarant qu’il « ne pouvait plus rester au pouvoir ». Aussitôt, Anthony Blinken « précisa » que son chef « ne ciblait pas, ou ne planifiait pas, un changement de régime du Kremlin mais… » Ce sont les nuances et pas l’essence qui font la Démocratie.

– ni lorsque sous la fièvre d’un consensus inédit, les pays occidentaux planifiaient, en extase, « la ruine de l’économie russe (2) ».

– ni lorsqu’un autre fantasme plana dans le ciel européen, peu avant l’entrée officielle des chars russes en Ukraine. Ce spectre était l’accord entre les leaders occidentaux et Gorbatchev de 1991. Le magazine Der Spiegel fit état de cet accord officieux entre les pays occidentaux et ceux soviétiques, initié par Édouard Chevernatze (ministre des affaires étrangères de l’URSS). Les Russes acceptaient la chute de l’Union soviétique ; ils ne s’opposeraient pas à la réunification de l’Allemagne. En contrepartie, l’OTAN ne s’élargirait pas (à présent que le traité de Varsovie était caduc) dans les pays de l’Est. Cet accord (3) fut confirmé le 1er mars 2022 par Roland Dumas, présent lors de la rencontre en question.

– ni lorsque les médias occidentaux mainstream déclarèrent à la Une « l’invasion russe » qui « piétina les accords de Minsk » (4) ; lorsque le récit de ces mêmes médias aida à faire entrer l’image de Poutine dans le cadre hitlérien. La superposition de ces deux figures – qui incarnent des circonstances historiques différentes – jette un flou dans la mémoire historique ; ce patchwork donne libre cours au « relativisme fondamental » dénoncé déjà par H. Arendt.

Au bout de cette chaîne jaillit un genre nouveau de l’histoire des guerres. Il semble refléter une espèce de plaisir européen autre. Peut-être est-il provisoire ! Néanmoins, sans précédent ! Inédit ! Les political bodies euro-atlantiques (l’ONU, les assemblées, les parlements des pays) se sont laissés fouetter avec volupté par V. Zelenski durant ses prises de parole en visio-conférence. Drôle de leçon d’émancipation européenne en pleine guerre ! Une carte blanche est accordée à Zelenski. Il peut donc rager envers ces organismes majeurs des valeurs internationales qu’aucun gouvernement de l’Est n’a jamais osé critiquer ! Ils ont accepté, sous des standing ovations, les coups de fouet du président ukrainien. Cette image ne manque pas de nous rappeler « l’officier grec » de Masoch lorsqu’il flagelle le mari de la Femme (qui prend, avec dessein, la pose de la tsarine autocrate, Catherine), lorsqu’il se trouve ligoté avec des fils de soie contre une colonne de marbre de style grec). Certaines des « verges » de Zelenski étaient distribuées avec méthode et préméditation, dans un but précis. C’est une stratégie bien conçue par la com ukrainienne de masse :

– vous soutenez la machine de guerre russe au lieu de créer un no fly zone en Ukraine (Zelenski devant le Congrès américain) ;

– vous ne nous aidez pas à liquider Hitler (5). N’achetez plus de gaz russe (devant les députés allemands) ;

– tu es le président du monde, c’est-à-dire de la paix (visioconférence avec Biden) ;

– nous ne reculerons pas, quel qu’en soit le prix. Nous sommes les Churchill d’aujourd’hui (devant House of Commons, à Londres) ;

– pourquoi vos entreprises ne quittent-elles pas la Russie ? Vous êtes en train de financer la machine de guerre russe. Que Leroy Merlin et Auchan quittent la Russie ! Je vous envoie cette vidéo. Voilà ce qui arrivera à la Tour Eiffel : explosions massives, la tour disparaît comme dans les films avec Bruce Willis, sous les applaudissements des députés français.

Le charme héroïque de Zelenski s’étiola un peu devant les députés de la Knesset d’Israël. Ses déclarations, comparant la situation de l’Ukraine avec la Shoah, n’ont pas mordu. Le lendemain de la profération de sa rancune envers Israël, qui ne lui fournissait plus d’armes, la presse de Tel Aviv ne manqua pas de faire publier une photo de Zelenski en compagnie des commandants du bataillon Azov, héritier des détachements nazis de Stepan Bandera de la 2ème guerre mondiale (En octobre 2021, Jerusalem Post avait déjà attiré l’attention sur le Projet Centuria, la création de la milice ukrainienne d’extrême droite).

Zelenski lisait en cyrillique mais s’exprimait en alphabet latin. Pour la première fois, les pays occidentaux approuvèrent, par l’intermédiaire d’un iphone, l’appartenance européenne de l’Ukraine ! Lorsque Maurice Gourdault-Montagne, ancien chef du cabinet du Ministère des affaires étrangères français, expliquait comment Washington avait ruiné le plan français consistant à instaurer « une zone de protection entre la Russie et l’Otan, vis-à-vis de l’Ukraine » (6), les députés français baissèrent leur tête, en assemblée, parce que Zelenski fit en sorte à ce qu’ils se sentent issus d’un sentiment nouveau.

Il semblerait qu’un contrat type entre les deux parties fut signé lors de cette flagellation, dirait Gilles Deleuze (7). Ce jeu contractuel, qui prend la forme de tant de sanctions, qui cravachent un pays entier, de manière inédite, semble être un fait nouveau dans l’histoire euro-atlantique. Cette fois-ci, ils font étrangement appel au feeling des zones slaves. L’Europe s’est élevée au rang « humble » d’assistant de l’Ukraine… contre la Russie… pour la démocratie.

L’un des articles de ce « contrat » stipule peut-être l’entrée de Zelenski dans les annales de l’Histoire. Soudain, l’Europe si féminisante adore parler de ce mec, héros en t-shirt militaire, qui tous les soirs fait face aux caméras, comme les résistants espagnols face aux fusils, dans le tableau de Goya. C’est l’anus solaire de la guerre, pour certains.

Mais cela n’explique pas tout. D’abord, il y a eu la distanciation internationale envers la Russie, l’effacement de toute représentation russe dans le monde, dans tous les domaines, et, deuxièmement, l’Ukraine atteignit vite les portes de l’Europe. Soudain, l’Ukraine, notre prochain ! On envisage, étrangement, contre toute précaution institutionnelle, l’adhésion éclair de l’Ukraine au sein de la mère Europe pour la sauver du lait aigre de la Russie.

Cette supra-sensualité européenne ne tarda pas à s’incarner. Prenant prétexte de l’urgence de la situation, elle pointa du doigt le point le plus proche (que Poutine contribua à rendre plus perceptible) : son grand ennemi en commun. L’usine occidentale des opinions s’est rapidement lancée dans la « fabrication d’un consensus » (Chomsky). De suite, une russophobie internationalisée fit surface. C’était un des premiers effets secondaires de la guerre actuelle :

Cancel Russie

Une « cancel culture » massive convergea vers un foyer nouveau. L’Occident « blanc colonial macho-guerrier » jaillit du fouet auto-révisionniste et s’unit dans une flagellation envers la trop blanche Russie (Elle, non plus, ne se focalise pas trop sur les 20 millions de non-Blancs, non-slaves, qui y habitent). Avec les sanctions économiques en bloc contre elle, on assista à des résultats inédits sur le plan international :

– l’élimination des chats russes des concours internationaux de félins ;

– la disparition du répertoire de théâtres et d’opéras, en Occident, des auteurs classiques russes ;

– la soprano, Anna Netrebko, fut obligée de quitter l’opéra de New York, sous la pression de cracher sur son pays d’origine ; (récemment elle vient de faire marche arrière ; par conviction ou sous contrainte d’une carrière, elle condamne l’entrée russe en Ukraine, et se trouve déprogrammée en Russie ! La guerre nous renvoie de nouveau au Grand Dégueulasse, plus visible que tout « grand remplacement ».

– l’Université Bicocca de Milan annula les quatre séminaires prévus sur Dostoïevski. Comme si cela ne suffisait pas, les signataires de la pétition proposèrent de déboulonner le buste de l’écrivain (comme celui de Staline, ou celui de Saddam).

– de nombreux enseignants du lycée A. Soljenitsyne en Vendée, lancèrent une pétition pour changer le nom de leur établissement afin de le remplacer par celui d’un poète ukrainien (une initiative honteuse qui par bonheur n’aboutit pas).

– à Lyon, les restaurants russes « Volga » et « Alexandre » furent tagués avec l’inscription « disparaissez ou nous vous brûlerons » !

– notre voisin francilien, Oleg, s’est trouvé avec un compte bancaire bloqué par la CIC locale ; il ne pouvait plus recevoir le virement de son salaire par son entreprise française !

Cette précipitation, issue de la mentalité euro-occidentale, soudain à sens unique et sans nuances, peut être également une forme exacerbée de sa panique. Toutefois, demain, après la guerre, ces faits, ces initiatives zélatrices et ces gestes uniformisés feront partie de l’Histoire populaire de l’Occident. L’histoire officielle les éclipsera puisque « l’Histoire des États n’est aucunement celle des peuples », souligne à juste titre Howard Zinn. Mais c’est précisément là que s’aiguise la littérature vraie, de nouveau nez à nez avec la vraie réalité, afin de « cracher les rimes au visage de la guerre » (jouterait Maïakovski).

Enfin, les événements minoritaires (des minorités), parallèles aux récits de la coupole tsariste de jadis ; aussi qu’une cartographie, une géographie des sentiments des gens autre, qui peuplaient l’ancien empire, constituent l’essence même des livres de Masoch. Sans lesquels ses récits seraient des romans à l’eau de rose.

Mésusage du terme « guérilla » ou de la guerre asymétrique

On ne peut guère nier l’âpreté de la résistance ukrainienne à l’armée russe. Mais les médias mainstream louent cette résistance de manière dithyrambique. Ils évoquent la guerre inouïe des guérillas ukrainiens. Est-elle juste, cette appellation, lorsque les États occidentaux les plus puissants les approvisionnent en armes et logistique ? (Washington évoque déjà une aide extra de 33 milliards de dollars !) Cet hosanna semble une nouveauté pour les médias occidentaux. Jamais auparavant ils n’ont exprimé de louanges envers les guérillas authentiques des « fakirs » de l’Histoire pour leur résistance héroïque comme par exemple :

– la révolte insolite des pains « chapatty » dont les résistants hindous s’étaient servis pour semer la panique dans les rangs de l’armée coloniale britannique (en transmettant seulement un message non écrit, grâce à des petits pains), un cas inédit dans l’Histoire ;

– la révolte chinoise des Sourcils rouges, organisée par l’ancienne latifundiste, la mère Lu, afin de venger la condamnation injuste de son fils, contre la dynastie Hin, en l’an 25 ;

– le combat efficace organisé par Miguel Malavar et les intellos (les ilustrados) des guérillas philippins (pendant la 1re guerre Moro américano-philippine) qui causa les pertes les plus lourdes aux USA au début des années1900. Une guerre que Washington a préféré oublier, bien que les Américains aient eu recours, pour la première fois, à la fameuse « water-cure » (8), qui entraîna le massacre de tant de civils indigènes, au point de faire frémir même le général Pershing ;

– tout le souvenir des fabuleuses guérillas vietnamiennes fut effacé par la pellicule d’un film plus impérialiste que l’agression même des Américains là-bas (Apocalypse Now).

– les excellentes actions du stratège populaire vietnamien, Vo Nguyen Giap (stratège habile contre les armées française et américaine), dont s’étaient inspirés les guérillas irakiens (en 2003) (9). (Nous dressons ici une liste très limitée, mais elle est l’intérêt principal de ce papier).

Le suspens : l’UE pourrait intégrer l’Ukraine en procédure « accélérée » plana quelques jours dans le ciel européen. Mais c’était un zèle de trop, décidèrent les leaders de la dernière Versailles. Mais, l’héroïsation du président Zelenski mit en exergue un zèle étrange d’une société qui s’oppose à toute émulation de virilité masculine militariste dans l’Occident progressiste. Néanmoins, la société du spectacle, à l’époque des « guérillas de marketing », ne put manquer cette guerre.

L’image de Zelenski est la monnaie d’échange des exportations occidentales vers son pays. Les McKinsey de la stratcom de la « guerre hybride » ne tardèrent pas. Ainsi, 150 entreprises de relations publiques, dirigées par N. Regazzoni et F. Ingham du Service de la stratégie de la communication du gouvernement britannique (10), se sont alignées à la présidence ukrainienne dans la bagatelle des images. Et il ne s’agit pas de l’image de la guerre (Capa, C. Marker) mais de la guerre des images. Et des récits respectifs (11), qui vont avec. Sans doute, elles se trouvent concurrentielles dans la longue chaine d’expérimentation d’esquisser une nouvelle image de la guerre et de la réaliser, prévient, en fin connaisseur, Ernst Jünger.

Kosovo, le doigt dans l’œil

L’indépendance du Kosovo (en 2008) est mise en relief de temps à autres lors des débats sur la guerre en Ukraine. Elle apparaît telle une parenthèse, en survol. Notamment par les analystes qui critiquent la position de l’OTAN (voire les USA). Ils évoquent ses interventions flagrantes, en piétinant le droit international (piétinement que la Russie venait d’engager en fait en Ukraine). Les polémistes de droite flagellent tout d’abord la politique « vassale » des gouvernements des pays occidentaux concernés. Mais aussitôt, et de nouveau, est cité le « précédent » du bombardement de l’OTAN en Serbie jusqu’à l’obtention de la séparation du Kosovo et la déclaration de son indépendance. Deux arguments suivent ici : le premier, anti-impérialiste : la présence de la base militaire américaine à Ferizaj (au Kosovo, la plus grande base américaine dans les Balkans). Le deuxième, moins solide : la mise en exergue du sentiment serbe considérant le Kosovo comme son « berceau spirituel », « injustement » arraché à la Serbie. Ces analystes esquissent un parallèle avec le sentiment russe envers l’Ukraine : la « source » qui serait à l’origine même du nom Russie. Certains polémistes (de centre, centre-droite anti-UE et frexit français) étiquettent les Kosovo de « province sécessionniste », « région ingrate », « bastion mafieux de tous bords ». Néanmoins, ils ne présentent pas trop d’arguments à propos de la façon dont la Serbie avait maltraité les Albanais au Kosovo, « l’âme » de leur civilisation. Ils omettent également de supposer pourquoi la Serbie ne s’était pas appelée Republika Kosovska, par exemple.Tout comme la Russie aurait pris le radical ukrainien « rus » pour cimenter son ethnos. Au même moment, des analystes français anti-impérialistes mainstream, qui trompettent le patriotisme actuel ukrainien, n’ont pas manqué de caricaturer « le nationalisme et le patriotisme arriéré albanais » du Kosovo de la post-guerre yougoslave, ainsi que sa volonté insuffisante d’oublier le passé, pour se tourner vers un avenir européen radieux et unique !

***

Tout cela ne justifie pas l’agression russe en Ukraine. La tragédie des peuples ruinés et sans abri n’est que le terreau d’une prétendue analyse. Encore une fois, quand les puissants se laissent fouetter ou flagellent les autres, ils marcheront sur les pieds des petites gens. Et plus lourdement cette-fois-ci. Puisque l’Occident vient de marcher sur les pieds de ses propres institutions devant lesquelles les « voyous » se doivent de patienter afin de devenir membres de la grande famille européenne. Devenir-membre, voici le mot clé contre-deleuzien, devise des Européens d’autres rives !

Nous avons seulement tenté de voyager de l’autre côté des médias principaux. Ceux qui projettent le film de la réalité sur le drap des copulations des empires actuels. Cette projection propulse les éjaculations étatistes de cette agitation atlantiste. Elle montre la semence, que l’aristocrate Masoch évite de mentionner à tout prix, contrairement à son « opposé » – le proto-républicain Marquis.

Pourtant, ce « film » ne nous aide guère à clarifier :

– le degré de sincérité de la proposition que Poutine fit à Macron à propos d’une Europe « solide, de Lisbonne à Vladivostok » (12) ?

– quelles formes d’impérialisme hériterons-nous de la Chine, si elle devient la superpuissance n°1 ?

– comment et pourquoi la cloche du « choc des civilisations » de toute puissance mondiale est-elle constituée du même matériau de base, lorsque nous nous informons sur l’état misérable des journaliers asiatiques dans les entreprises chinoises en Serbie ? Oui, life’s life, war’s hell, mais, les affaires sont laissez-faire !

– à présent que le dossier de l’adhésion de la Turquie en UE réapparait sur la scène politique, suite aux pourparlers des belligérants engagés dans le conflit en question dans ce pays, comment les leaders occidentaux tentent-ils de modérer leurs propos sur Erdogan, longtemps considéré comme un pion islamiste ?

– le retrait des forces militaires russes de l’Ukraine, si celle-ci opte pour la neutralité, aurait-il lieu ? Si oui, est-ce que nos médias ont-ils vraiment contribué à la naissance d’une hystérie collective autour du « projet tsariste impérial et soviétique » de Poutine ?

– quels média parleront des retraités d’origine russe en Lituanie qui ne reçoivent plus leur retraite suite au blocage du système SWIFT ?

– ces sanctions anti-Russie, endommageront-elles gravement l’économie européenne, vers une récession sans précédent, « à la place de transformer la Russie en Grèce ? », comme souligne J. Delamarche…

Et, si le résultat final de cette guerre sera le même que celui (si manichéen) des films d’Hollywood, c’est-à-dire : une Ukraine ravagée ; ou la disparition totale de la Russie de l’esprit européen et l’effacement de l’Orient européen de sa mémoire collective ; ou bien la création possible d’un nouveau régime russe, vassal de Washington, pour que les USA se solidifient face à la concurrence chinoise…

Alors, les propos du philosophe de cour, Francis Fukuyama sur « la fin de l’Histoire » et le fleurissement éternel de la libérale-démocratie, verront le jour. Et juste en ce moment même, quand la réalité historique vient de lancer une bombe sur cette liberté caricaturée.

Notes :
1- La politique coloniale de ce gouverneur, qui causa une atroce famine en Inde est comparable au programme Holomodor mené par Staline contre la population de l’Ukraine après la guerre, conduisant à une famine qui avait fait des millions de morts.

2- « Je vous garantis la ruine de l’économie russe », déclaration du ministre français de l’économie, Bruno le Maire, recadré par E. Macron peu après cette déclaration. En parallèle, un autre regard n’a pas manqué en France, celui des sceptiques envers les sanctions contre la Russie. Selon l’analyste Jean-Claude Dassier, « cette guerre est un conflit entre les USA et la Russie et sa facture sera payée par l’Europe ».

3- De nombreux politologues évoquent cet accord qui a été violé par le camp occidental comme étant la première source de l’amertume de Poutine envers l’Occident. Poutine s’était exprimé de nombreuses fois sur le fait qu’il ne s’opposerait pas à l’adhésion à l’OTAN des Républiques de l’ancienne Union soviétique mais que la limite à franchir, selon lui, était l’Ukraine. Son intégration à l’OTAN « constitue un danger existentiel » pour la Russie. Cette déclaration suivait le refus catégorique de l’OTAN à la demande russe d’adhésion en 2004.
Cf. : Prof. John Mearsheimer, « New Yorker Interview”, Isaac Chotiner, 2022, et Vladimir Pozner, « How the U.S. created Vladimir Putin ».

4- D’après Jacques Baud, ancien conseiller suisse à l’OTAN, deux accords existeraient : Minsk 1 et Minsk 2. Lorsque « le gouvernement ukrainien élimina physiquement Denis Kirejev », l’un des signataires de Minsk 1, les Russes et les Ukrainiens, en présence des présidents biélorusse, français et allemand, signèrent Minsk 2. « Dire que la Russie enterra Minsk 2, le 24 février, est faux ; c’est un mensonge médiatique. Cet accord ne comprenait aucun cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine mais un cessez-le-feu entre l’armée ukrainienne et les résistants russophones sur place », termine J.Baud, auteur du livre Guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur.

5- Une analyse concernant les accusations respectives entre les deux belligérants et l’appellation « hitlérien ». Cf. article de A. Vehbiu, Peizazhe të Fjalës, 24 février 22.

6- Le diplomate français évoque ici l’initiative de J. Chirac, en octobre 2006, pour une coopération entre l’Occident et la Russie, à propos de la conservation de l’intégration de l’Ukraine, « un plan qui serait géré par le Conseil de Sécurité OTAN-Russie, crée au début des années 2000. Chirac partait du statut neutre de six pays européens (Autriche, Finlande…), qu’il voulait servir d’exemple à l’Ukraine. Cette initiative convenait également à Moscou car « elle règle en même temps le problème de Crimée ». Mais lors des discussions avec l’ancienne secrétaire d’État américain, Condoleeza Rice, le diplomate français conclut : « Elle nous dit : Vous recommencez, les Français ! Au début vous avez essayé d’empêcher la première vague d’adhésion à l’OTAN des pays d’Europe centrale. Ne pensez-pas que vous nous empêcherez cette deuxième vague ». « Ainsi, l’ancien objectif des Américains était l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN », souligne-t-il.

7- Le philosophe G. Deleuze évoque le rôle important du contrat dans le livre de Masoch. Il constate que : « L’erreur serait de penser que la dominatrice (le fouet) dirige le jeu. Elle n’est dominatrice qu’en apparence. La séance repose sur un pacte … Il n’y a pas de masochisme sans pacte … »

8- Cette forme de torture consiste à forcer les prisonniers de boire des litres d’eau, pour les obliger à révéler les positions des guérillas.

9- « Cela obligea l’armée américaine à se limiter dans des batailles inefficaces, elle ne pouvait pas se retirer d’Irak et devrait mener des combats à grandes pertes » cf. worldview.stratfor.com.

10- Plus de détails ici : https://newspunch.com/secrets-of-ukraines-propaganda-war-exposed-dc-lobbyists-cia-cutouts-and-neo-nazis/

11- Voire A. Brossat, « Notes sur la guerre en Ukraine ».

12- Cet échange entre les deux leaders, dans la résidence présidentielle du Fort Brégançon, est rapporté par les médias en août 2019.