Dispersez mes cendres en mer de Chine !

, par Truman Condominas


« Live fast, die young and have a good looking corpse »
Nicholas Ray, Knock on Any Door, 1949

1- J’ai toujours préféré vivre à l’étranger plutôt que chez moi – j’y éprouve, pour des raisons que je ne m’explique guère, moins d’envies de meurtre que quand je suis at home.

2- Y’a pas photo : le motif de la supériorité du socialisme sur le capitalisme est tout à fait passé de mode. Bien à tort. Il ne fait aucun doute que, pour l’homme (la femme) ordinaire, l’existence courante est plus supportable en Chine qu’en Inde ou bien encore au Vietnam qu’aux Philippines.

3- Dans les temps qui viennent et au train où vont les choses, hommes et femmes, femmes et hommes, ne seront plus appelés à se fréquenter que de loin, lorsque c’est inévitable. C’est assurément une bonne chose – que de pénibles malentendus ainsi évités !

4- Les Français abusent constamment du possessif – « je prends ma douche », « je fais ma sieste, ma vaisselle... », etc. C’est idiot, on se doute bien que ce n’est pas la douche de la voisine que tu vas prendre, eh, ballot.

5- Tout bien considéré, il apparaît que l’intelligence artificielle (IA), c’est quand même avant tout un truc pour faire la guerre à la Chine.

6- « Il y a trop de Mamadou aux urgences », il y a aussi, sans guillemets, trop de cons à l’Elysée – en un mot comme en cent, il y a trop de cons partout, là surtout où il serait mieux qu’il n’y en ait pas.

7- Et Ivan Segré, le petit shinbetnik intellectuel, il est passé où, celui-là ?

8- Ne plus dire : Ministère de la Justice. Dire : Ministère de la Charia républicaine – elle tranche dans le vif, elle aussi. Mais peut-être faudrait-il dire plutôt républicarde – la forme républicaine n’est pas ce à quoi l’on pourrait, ici, s’opposer.

9- Nous nous étions habitués à reprendre inlassablement ceux qui opèrent les raccourcis fâcheux – qui disent « les Juifs » pour « Israël », « les Israéliens » pour « l’Etat d’Israël » – ceux qui tombent dans le panneau des amalgames, des approximations et généralisations donnant prise à l’accusation d’antisémitisme lorsque sont en question les crimes perpétrés par Netanyahou et ses généraux. Au fil du temps, notre position s’est affaiblie : plus l’union sacrée derrière les génocidaires s’éternise en Israël, moins ceux au nom desquels ces crimes sont commis s’en dissocient explicitement, et plus les chaînes d’équivalence toxiques se consolident. C’est, dans ces conditions, inévitable : le poison des simplifications coule dans les veines du présent avant d’infecter le sang des simplificateurs.

10- Les démocraties néo-libérales inscrivent de plus en plus ouvertement une dimension thanatopolitique à leur programme. Ce n’est pas seulement qu’elles démolissent des pans entiers de l’Etat social et renient leur vocation à « faire vivre » les populations. Ce n’est pas par simple incurie, impuissance ou distraction qu’à Mayotte, à Gaza, elles abandonnent à la mort des groupes humains entiers, c’est par calcul – les habitants des bidonvilles de Mayotte (irréguliers, « clandestins »), les Palestiniens survivant dans le camp à ciel ouvert de Gaza sont perçus comme humanité superfétatoire, ingouvernable, résolument en trop. Qu’à l’occasion donc de la campagne de destruction entreprise par Israël après le 7 octobre 2023 ou bien après le passage du cyclone meurtrier à Mayotte, une partie variable de cette humanité disparaisse, cela va donc résulter d’opérations réglées, concertées – massacre ou abandon. C’est sciemment que les autorités françaises n’ont pas acheminé à Mayotte des provisions d’eau, de nourriture, de matériel médical avant le cyclone attendu depuis des jours et des jours, escomptant que celui-ci contribuerait à tailler dans le vif de la population irrégulière qui s’entasse dans les bidonvilles. C’est sciemment qu’elles bloquent l’aide humanitaire en provenance des Comores.
Désormais, donc, on va s’en remettre régulièrement à des épidémies, des accidents climatiques, à des crises sociales et politiques d’ampleur, à des désastres de toutes sortes pour se débarrasser, soit activement (Gaza) soit passivement (Mayotte) de fractions d’humanité indésirables, ingérables, réputées inutiles ou dangereuses. On a déjà eu un aperçu des effets dévastateurs de cette nouvelle thanatopolitique au temps de la pandémie du Covid 19, tout particulièrement dans des pays comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Inde... et... la France (les EHPADs). Ce n’est qu’un début : à l’évidence, cela veut bien dire que les démocraties néo-libérales sont prêtes désormais à envisager la possibilité d’une guerre de grand style, dans cette perspective de « dégraissage » même. La thanatopolitique comme réponse activement nihiliste aux défis lancés par le changement climatique d’une part, la crise de l’hégémonie de l’autre. On n’est ici qu’au début d’un cycle qui n’est pas près de s’achever – attachez vos ceintures !

11- Plus une cause est réputée sacrée, plus elle produit d’aveuglement – le féminisme, la lutte contre l’antisémitisme. Le sacré entraîne l’insécable, l’Un compact là où, au contraire, ces objets se présentent sous le signe de la division et du conflit. La lutte des classes, tout simplement, fait rage au cœur du féminisme, une guerre civile sans merci qui oppose le féminisme carcéral, répressif, punitif, ouvertement fasciste parfois, au féminisme tourné vers l’émancipation, un féminisme révolutionnaire qui garde l’œil rivé non seulement sur les « travailleuses » de nos contrées mais aussi sur les damnées de la terre qui sont le grand nombre. Idem, la « lutte contre l’antisémitisme » qui n’est que le paravent derrière lequel s’abrite la criminalité de l’Etat d’Israël, ce n’est pas seulement l’autre bord, c’est l’ennemi. Ici aussi, une véritable guerre civile est en cours – comme au temps de l’affaire Dreyfus – mais à fronts renversés – ce sont les Justes qui se font traiter d’antisémites.

12- Pure illusion d’optique : qu’en matière de régime des pénalités, « la démocratie » serait plus humaine et civilisée que les régimes réputés non-démocratiques, autoritaires, totalitaires... Les démocraties les plus peuplées n’ont pas renoncé à la peine de mort, et, le plus souvent, elles l’appliquent : l’Inde, les Etats-Unis, l’Indonésie, le Japon, le Brésil... Quant à celles qui y ont renoncé ou en ont suspendu l’application, elles la remplacent plus souvent qu’à leur tour par les exécutions extra-judiciaires et les exactions policières – Israël, la France, etc.

11- Arrivera forcément ce moment où les idées ne prendront plus consistance dans ton cerveau. Où, du moins, elle ne se formeront plus comme avant. Où tout deviendra spongieux, où ça n’enchaînera plus. Où les lettres, les mots et les phrases te délaisseront. Où il sera temps de songer à voler de tes propres ailes, comme Icare, comme Deleuze.

12- Parler une langue étrangère, c’est comme marcher sur une rivière gelée – on ne sait jamais si la couche de glace ne va pas s’effondrer au prochain pas. Quand on parle sa propre langue, au moins, on est assuré de pouvoir terminer la phrase que l’on vient de commencer. Le sol est ferme.

13- Alan Turing : le risque que l’intelligence des machines surpasse celle des humains, c’est l’arbre qui cache la forêt. Le risque majeur, c’est bien, plutôt, qu’une proportion toujours plus importante d’humains pensent toujours davantage comme des machines – sur un mode mimétique, analogique, automatique – selon le programme qui leur est assigné par les appareils de la domination.

14- Une blague raciste spéciale enfants : lâchez un lapin dans une rizière le matin et revenez le chercher le soir : il aura les yeux bridés.

15- L’anglais, c’est comme le vélo – il ne faut pas le lâcher trop longtemps, faute de quoi la reprise est vraiment pénible.

16- « Je meurs sans haine en moi pour le peuple alle-mand » – l’alexandrin le plus calamiteux de la poésie lyrique de tous les temps – sulpicien, mielleux, kitsch, boiteux. Cette façon de faire parler les morts en vers, histoire de fabriquer un catéchisme patriotique ! Tout ça pour qu’ils se retrouvent au bout du voyage dans la crypte obscure et glacée, coincé entre Hugo, autre poète de classe élémentaire, et Joséphine Baker, avec sa plume dans le fion... (en français courant, sauf peut-être au fin fond du Béarn de l’absurde Bay-rou, on prononce « all’mand », pas « alle-mand ». Tant qu’à pisser de l’alexandrin tricolore, autant le faire en français décent...).

17- Dans les salons de massage de Xiajing, à la fin de la séance d’une heure et demie, c’est tantôt le masseur qui encule le client, tantôt celui-ci qui l’encule. La distinction ne recouvre pas la différence entre salons de massage de gauche et salons de massage de droite – c’est bien plus compliqué que ça.

18- Qu’est-ce qui est pire que la vache folle ? [1]

19- Ces derniers temps, je me réveille au milieu de la nuit et je vois des cadavres épars dans les rues. Les enfants tentent de fuir en vélo.

20- Je me rappelle le bien nommé Lionel Crabb, nageur d’élite de la Royal Navy britannique, mort dans des conditions dramatiques au cours d’une mission d’espionnage d’un navire soviétique – tout ce que l’on retrouva de lui fut un corps sans tête ni bras.

21- N’hésitez pas à vous resservir quand vous aurez terminé votre ration de merde – il y a plein de rab.

22- Karaoké : cela fait des jours et des semaines que je m’entraîne à chanter Dreaming comme Blondie, et je n’y arrive pas. Y’a quelque chose qui cloche...

Truman Condominas

Notes

[1Le parano yak.