En deux temps trois mouvements
« Ou tu crèves, ou tu meurs, ou tu décèdes... c’est selon ton niveau social. »
(Bernard Marlière, Café Belgique, 2010)
1- On ne se gaussera jamais assez des fonctionnaires de la blague qui officient sur les ondes du bien mal nommé service public et gèrent la fabrique de l’humour licite avec des prudences de diplomates du Quai d’Orsay. Qui évoquent le dernier incident survenu à l’occasion de la diffusion à l’antenne d’une blague incorrecte (qui est le juge ?), ayant entraîné le prompt licenciement du blagueur intempestif, dans la langue du bois dont on fait la philosophie du juste milieu à la Macron (« d’un côté... d’un autre côté... »). Ces gens-là ne nous font rire qu’à leurs dépens. Si c’est ça les rois (et les reines) de l’humour, on préférera encore celui des porteurs de chez Roblot. Pas étonnant qu’on recrute pour cet usage des mercenaires belges, comme les rois de France avaient recours, pour leurs petites guerres de conquête à des reîtres suisses.
2- Quand un époux ou une épouse évoque auprès de son.sa meilleure.e ami.e ses efforts énergiques en vue de « sauver son couple », c’est qu’il n’y a plus rien à sauver. On ne sauve pas un couple dont on en est déjà à dire qu’il est à sauver. On l’achève, à coup de dents.
3- Manger de la viande au XXIème siècle, dans le Nord global, c’est, du point de vue de la civilisation des mœurs, comme participer au commerce des esclaves au XVIIIème siècle. A propos des vivants d’aujourd’hui dont on célèbrera les mérites ou la gloire dans trois siècles, on ajoutera alors toujours d’un ton funèbre (et ce sera une sentence sans appel et définitive) : « Oui, mais il.elle mangeait de la viande... », comme on dit de John Locke aujourd’hui : « C’était un grand théoricien du libéralisme... qui avait des intérêts dans la traite esclavagiste... ». Cette tache de sang intellectuelle et morale sur l’œuvre de ce pionnier de la civilisation démocratique est indélébile. Il en ira de même un jour avec ces phénix de notre temps qui, n’ignorant rien des conditions de l’élevage et de l’abattage industriels, continuent à manger de la viande industrielle. Ce qui n’est aujourd’hui que coupable distraction sera, un jour, leur tunique de Nessus.
4- Démocratisation du vélo électrique : on ne parle que de ça aujourd’hui, comme on parla naguère de la démocratisation de la pratique du tennis, du golf, des vacances à la mer, de la consommation du champagne, des vacances en Thaïlande et de bien d’autres choses encore. Bizarrement, la seule chose qui ne se démocratise jamais (plutôt l’inverse), c’est la démocratie. Comme si celle-ci, résolument, était rétive à devenir ce qu’elle est censée être.
5- Pourquoi les plus ardents des chauds lapins portent-ils un béret basque ? [1]
7- Les tribulations d’un faux saint : Ce qu’il y avait de beau, jadis, chez les saints catholiques, c’est qu’il étaient, de base, des hommes comme les autres (des femmes, des saintes, nous parlerons une autre fois). Leur sainteté était toute entière conquise, et au prix de quels efforts, sur leur faillibilité – leur inclination au péché véniel autant que mortel – ils.elles étaient des hommes et des femmes de la luxure, de l’envie, de la vanité, de l’amour du pouvoir (etc.) comme les autres.
Avec le (fâcheux) retour de l’Abbé Pierre, on a affaire au cas de figure inverse : c’est un saint institué, le PDG d’une PMI caritative prospérant sous le signe de sa sainteté alléguée (il n’est pas un vrai saint reconnu comme tel par l’Eglise catholique) qui s’avère avoir été un harceleur endurci, un peloteur compulsif. Du coup, les choses prennent une tournure toute différente : cela devient un film de Jean-Pierre Mocky, une affaire d’imposture burlesque, une farce énorme, à la française.
Mais pas si réjouissante que ça, en vérité, car dans cette histoire se retrouve le trait à peu près constant des histoires d’inconduites sexuelles parmi les prêtres catholiques : s’ils trahissaient leur vœu de chasteté pour devenir des amants magnifiques, des baiseurs intègres, les acteurs prolifiques et exubérants d’une sexualité enfin libérée et solaire – l’homme et la femme ordinaires seraient spontanément porté.e.s à envisager leur supposée faute avec indulgence. Mais l’impardonnable, c’est le côté constamment minable, bâclée, piteuse, régressive de cette sexualité prédatrice, pratiquée dans les recoins, à la sauvette – honteuse, toujours. Le sainthomme au béret, avec les mains baladeuses et le reste n’échappe pas à la règle – et ça, c’est vraiment coupable. Ce n’est pas en menaçant, au catéchisme, les enfants masturbateurs des flammes de l’enfer que ces gens-là détournent le bon peuple de la bagatelle – c’est en leur donnant l’image d’une sexualité à ce point rabaissée, moche et sordide. Quand on transgresse, il faut y aller franco et y mettre un certain panache, tout de même.
8- Faute de frappe : « Originaires du Sénégal, de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso, six Tirailleurs sénégalais avaient été exécutés, avec d’autres soldats des forces coloniales, dans le camp militaire de Thiaroye, non loin de Dakar (Sénégal) en décembre 1944. Pour avoir demandé le paiement de leurs arriérés de soldes, ils avaient été fusillés sur ordre d’officiers de l’armée française. Selon le bilan dressé par les autorités de l’époque, au moins 35 tirailleurs avaient trouvé la mort sur place ou des suites de leurs blessures. Ces six Tirailleurs viennent d’être reconnus morts pour la France, a annoncé le ministère des Anciens combattants » (La Montagne, 30/07/2024).
Ce qui nous embête ici un peu, ce n’est pas seulement le sortilège par lequel « 35 morts au moins » se trouvent en fin de compte réduits à six. C’est surtout la coquille, grosse comme une maison : « morts pour la France » au lieu de « morts par la France ».
9- Les pratiques de l’hostilité sont constamment, admirablement inventives. Tout récemment, les Nord-Coréens ont démontré un indéniable talent dans ce registre, en expédiant vers la sœur ennemie et avec la complicité de vents résolument totalitaires, des ballons chargés de déchets variés, incluant des mégots et, horribile dictu, des excréments d’animaux. Que celui qui n’a jamais rêvé d’étrangler un voisin incommode jette la première pierre (crotte de chien ?) au petit Kim...
10- Une définition populaire de l’antisémitisme : le sujet sur lequel on ne peut pas dire ce qu’on pense ; à propos duquel il faut apprendre à se retenir, comme les écoliers tenaillés par de pressantes envies de pisser pendant la classe ; le sujet sur lequel on doit impérativement s’abstenir d’enchaîner et de s’échauffer – tant on est assuré que cela tournera forcément mal.
11- Toujours dans le registre - ils ne reculent plus devant rien : désormais, quand Le Monde publie un entretien avec un chef d’Etat d’un pays du Sud global (en l’occurrence la Colombie) et que celui-ci énonce une position divergeant d’avec celle du Ministère de la Vérité de la Démocratie occidentale, blanche et Nord-globale (ici sur les origines du conflit entre la Russie et l’Ukraine), la rédaction du journal insère entre crochets et en italiques la version autorisée dans le texte même de l’interview. Le bougre (qui a accordé cet entretien en vue de faire entendre la voix de son pays et de son peuple et non pas d’être recadré) se trouve ainsi fermement remis à sa place par mes messieurs je-sais-tout du Monde – celle du subalterne, tout faiseur de paix civile respecté et dirigeant d’un pays de 53 millions d’habitants soit-il. Ils se croient tout permis, ils sont l’Esprit du monde chevauchant le canasson de la Démocratie universelle. Ce garnement qui se fait tirer l’oreille par les petits soldats de l’OTAN qui dirigent la rubrique internationale du Monde s’appelle Gustavo Petro et l’Histoire retiendra son nom et son œuvre, comme elle oubliera celui des bouffons évanescents qui président au destin des démocraties du Nord global.
12- Dans la plus épaisse et primaire des bêtises se discerne toujours une once de méchanceté. Pas de bêtise sans son quota et son fond de méchanceté.
13- Un plaidoyer abject pour l’abandon : Le Monde en date du 8/08/2024 publie une tribune du réalisateur Michel Hazanavicius, intitulée « Les juifs deviennent les ennemis les plus cool à détester ».
« Pourquoi, s’interroge le cinéaste français préféré de l’industrie hollywoodienne, chez tant de non-israéliens non-Palestiniens non-juifs non-musulmans, cette passion obsessionnelle pour ce conflit [israélo-palestinien] et une indifférence abyssale aux autres tragédies du monde ? ».
C’est vrai, ça : pourquoi cet intérêt suspect et forcément de parti-pris pour un génocide du présent, se perpétrant sous nos yeux ? Mais pourquoi alors, inversement, cette plainte infinie sur l’abandon des Juifs à leur sort par les peuples européens, au temps de la Solution finale ? Et pourquoi tant de haine et de mépris à l’endroit du brave machiniste polonais dont la tête a fait le tour du monde sur l’affiche de Shoah ? Pourquoi aurait-il fallu que ce brave homme manifeste une passion obsessionnelle pour le destin des Juifs voués à l’extermination alors que tant d’autres excellentes causes auraient tout autant mérité de retenir son attention ? Si ce que les historiens ont désigné comme l’abandon des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale fut une forfaiture inexpiable, par quel prodige celui des Palestiniens serait-il, aujourd’hui, une attitude honorable ? Quel est donc l’inavouable double standard qui conduit le parvenu oscarisé à se faire l’avocat sournois de la distraction cool face au génocide en cours à Gaza ? Lutte contre l’antisémitisme, que de crimes on commet en ton nom !
Toute la batterie des fausses questions fielleuses dont est tissée la tribune de Hazanavicius est de cette eau – insinuante, biaisée, mesquine, méchante et basse, de bout en bout. Le dispositif réglé infailliblement voué à alimenter le préjugé, précisément – à toutes fins utiles.
Lorsque, ayant résolument pris sur soi, on achève la lecture de ce texte passé au brou de noix, on se dit : décidément, dans notre beau pays, le parti du génocide a de beaux jours devant lui. Et, se souvenant que l’on s’est, un jour ou l’autre, amusé au spectacle des divertissements effervescents proposés par cet habile faiseur, on s’en fait le serment : plus jamais ça ! - plus jamais un film de cette petite canaille.
14- Pendant les JO, les déchéances de nationalité ciblées (ce ne sont ni les franco-états-uniens, ni les franco-luxembourgeois, ; ni les franco-taïwanais qui trinquent, qu’on se rassure) se multiplient. Une campagne résolument progressiste et qu’il convient d’appuyer sans mollesse, soutient crânement N. - c’est qu’en effet, ajoute-t-il, que peut-il arriver de pire à un être humain, par les temps qui courent, que d’avoir à être français, à la face du monde ?
15- Les JO de Paris, en 2024, c’est comme les JO de Berlin, en 1936 – mais sans Leni Riefenstahl.
16- Le fascisme, c’est quand vous fouillez dans une boîte à livres d’un bled perdu au milieu de nulle part et qu’un autochtone soupçonneux vous demande si vous êtes bien du village (pour vous arroger le droit d’y piocher).
17 – Abjection des Jeux : le temps de courir la finale du 100 mètres en moins de dix secondes, cent personnes réfugiées dans une école sont tuées par une « frappe » israélienne ciblée, sur une école. Dans les journaux (abjection de la presse pendant les JO, tout autant), l’information est reléguée loin derrière la médaille d’or de teakwondo. C’est l’ONU, cette fois, qui parle de génocide. Mais il en faudrait un peu plus, quand même, pour gâcher « la fête ».
18- Politichiens : passés maîtres dans l’art du changement de costume de scène – une tenue pour le Sénat, une autre pour le plateau de France 24, une autre pour la Marche des Fiertés, etc. C’est à cela que l’on reconnaît qu’ils sont désormais des comédiens avant tout. C’est aussi ce qui leur interdit d’être pauvres et de vivre dans des appartements exigus : une telle garde-robe, c’est tout un budget, et ça occupe de l’espace.
19- Aux électeurs des fascistes : la première balle, vous vous la tirez dans le pied. La seconde, dans la tête. Il n’y a pas de troisième tour.
20- Tous les tourneurs-fraiseurs vous le diront : pour avoir plus d’un tour dans son sac, il faut d’une part que celui-ci soit très grand et d’autre part être d’une force herculéenne (pour le porter).
Joachim Forban