Gaza : Inversion des rôles entre David et Goliath
Bernoussi Saltani est un universitaire, essayiste et poète marocain. Son essai La fiancée répudiée. Contre la normalisation Maroc/Israël paraîtra prochainement aux éditions L’Harmattan, dans la collection "Quelle drôle d’époque !"
Il y a des moments dans l’histoire où les mythes fondateurs des cultures et des civilisations sont broyés par la fabrique des mensonges qui légitiment crimes et génocides ; des moments qui nous laissent sans voix, qui nous font découvrir que l’énorme richesse de la langue, des langues, est incapable d’exprimer l’horreur et le tragique que nous vivons en ces moments avec Gaza qu’Israël saigne sur l’autel de « la paix d’Abraham », avec la bénédiction et l’aide morale et matérielle des démocraties occidentales. Oui, bien évidemment la colère en nous qui refusons toutes le formes de domination d’un peuple ou d’un Etat sur l’autre et, de surcroît, la bestialisation de l’autre, sa mise hors de l’humanité et de la civilisation humaine, s’hypertrophie et gronde. Mais en gardant en nous le sens du beau, de l’hospitalité, du pardon et de l’amitié nous arrivons à désamorcer la colère et à extraire des langages impossibles des mots, des phrases et des propos qui non seulement soulagent notre douleur de voir tout un peuple soumis à ce qui ressemble chaque jour davantage à une autre solution finale, mais participent aussi à ce devoir humain de continuer à être solidaires avec nos frères et nos sœurs, là où l’inhumain se vêt des oripeaux de la démocratie, de la civilisation, de la victimisation de soi et de la diabolisation de l’autre.
Non seulement depuis le 7 octobre 2023 mais depuis des décennies, nous vivons dans notre chair le déclenchement de la tragédie du peuple palestinien et le processus qui va crescendo dans son développement monstrueux. En ce moment crucial, les discours des Occidentaux – à part quelques voix comme celles de Mélenchon, de Villepin, Védrine... – sont tellement injustes et cyniques que le mot "valeurs, nos valeurs" dans leur bouche est vidé de son sens et mis hors de la sphère de la démocratie au nom de laquelle ils parlent. Ils le salissent, le trahissent et le prostituent.
L’histoire des Israéliens et des Palestiniens n’est pas celle de l’œuf et de la poule qui semble insoluble : lequel des deux a engendré l’autre ? Rien à voir avec le conflit israélo-palestinien. Depuis le partage de la Palestine et la création de l’Etat d’ Israël qui devait être démocratique, laïc et sans exclusion ou stigmatisation aucune de sa population qu’elle soit juive, chrétienne ou arabe, il y a figuration et institutionnalisation de l’agresseur : L’Israël des Ashkénazes avec sa sinistre provocation de la Nakba et de ses victimes – les Palestiniens qui étaient déjà terroristes dès 1937, selon l’Irgoun, organisation sioniste d’où est sortie Tsahal, l’armée "la plus morale du monde !". Les Sépharades qui ont, pour la plupart, vécu parmi les Musulmans des pays arabes avant et après la conquête de la péninsule ibérique, ont été manipulés par l’Agence juive sioniste pour Israël en vue de peupler la Palestine et gagner la bataille de la croissance de son peuplement. De ces Sépharades et Juifs arabes, les Ashkénazes se méfiaient autant que des Palestiniens.
Toutes les nuits depuis le 7 octobre, je regarde la télévision française. Les rares émissions sur le conflit Israélo-palestinien – et non comme on ne cesse de l’enfoncer dans la tête du commun des mortels : la guerre entre Israël et le Hamas, comme si les Palestiniens de la Cisjordanie et des camps de réfugiés au Liban, en Syrie et ailleurs, vivaient dans la paix, la liberté et la dignité grâce à Israël –, où sont invités des professeurs de droit international, des journalistes qui connaissent bien la Palestine dont Gaza, ses drames et sa tragédie et autres personnalités politiques qui ont un discours sensé, nuancé et responsable, ces émissions-là ont lieu très tôt le matin, entre 1 et 3 heures : des plages horaires de très faible audience. Dans la journée et la soirée, que d’émissions à l’appui inconditionnel d’Israël ! Des émissions où l’indécence, l’inculture historique inconsciente ou volontaire et parfois la vulgarité sont légion. Il est regrettable par exemple qu’une intervenante, inconditionnelle d’Israël puisse dire à propos d’un manifestant qui brandissait un drapeau palestinien qu’il pouvait le mettre où elle pense sans qu’elle soit gênée ou rappelée à l’ordre par l’animateur de l’émission.
L’inconditionnalité du gouvernement français dégaullisé depuis Nicolas Sarkozy à l’égard d’Israël est plus forte car plus pernicieuse que celle des USA. Le gouvernement français va jusqu’à interdire les manifestations pour le soutien des Palestiniens. Il oublie, parce que dégaullisé à bon escient, que le Général de Gaulle, suite aux conséquences de la guerre israélo-arabe de 1967 – occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et Gaza, du Golan – avait prédit tout ce qui se passe depuis cette guerre : résistance, répression, colonisation, bestialisation, déplacement des populations, blocus…
Pire, le cynisme français va jusqu’à dénoncer la prétendue importation du conflit Israélo-palestinien dans la douce France. Bien évidemment les importateurs sont les Musulmans français, les immigrés et les émigrés musulmans. Bien évidemment on oublie le rôle, ô combien crucial, de tous ces jeunes français à la double nationalité franco-israélienne qui vont en Israël pour faire leur service militaire, qui y reviennent périodiquement pour réactualiser leurs acquis militaires et qui sont en ce moment nombreux à faire la guerre aux Palestiniens sous les ordres de Tsahal. Israël a mis des avions à leur disposition et les institutions françaises où travaillent ou étudient ces jeunes franco-israéliens les ont libérés pour qu’ils accomplissent leur devoir suprême : défendre leur patrie proche-orientale des barbares. Pensons au jeune Gilad Shalit qui fut enlevé par les Palestiniens. Pensons à tous ces jeunes franco-israéliens qui vont faire leur service militaire en Palestine et réprimer voire tuer des jeunes palestiniens en Cisjordanie ou à Gaza, et qui reviennent après en France, fiers d’avoir accompli leur devoir national franco-israélien et prêts à guetter tout jeune musulman qui cherche à dénoncer Israël et son système d’apartheid. L’importation du conflit israélo-palestinien a donc d’autres acteurs que ceux que le pouvoir en France désigne comme responsables. Et puis, combien de franco-palestiniens vont en Palestine pour défendre leur partie par les armes ? Je dirai néant. Et s’il y en a , ils seraient arrêtés pour terrorisme dès leur retour en France, s’ils ne l’étaient déjà par Israël. Salah Hammouri, l’avocat franco-palestinien est souvent arrêté en Israël parce qu’il y va pour défendre les siens comme avocat et non comme militaire. On lui reproche son terrorisme verbal.
Il faut rappeler pour clore que le qualificatif de terroriste qu’on colle à la peau des résistants palestiniens n’a jamais été défini juridiquement par l’ ONU. Les USA et Israël n’ont jamais accepté que ce mot soit défini par l’ ONU. Ils posent toujours leur véto contre sa définition. Tel que ce mot est aujourd’hui galvaudé sans qu’il soit défini, tous les résistants au Nazisme en France seraient des terroristes, de Jean Moulin aux héros de l’affiche rouge.
On écrira un jour sur ce qui se passe aujourd’hui à Gaza :
ISRAËL GAZA LES PALESTINIENS !
Bernoussi Saltani