Hey, give me a break, will you !
« Nous avons tous une petite idée derrière la tête, tous sans exception ; cette idée-là, nous la connaissons mal nous-mêmes, elle est comme un veau mort-né, un fœtus, un poulet à ses débuts dans l’oeuf ».
Pierre Mac Orlan, Quai des Brumes (1927)
1- Nombre de croyances politiques sont comme des goitres cérébraux. Elles entraînent à des allégeances qui, subrepticement, transforment des gens normaux en criminels. Nous en avons en ce moment un sinistre et éclatant exemple sous les yeux. Le goitre, traditionnellement, s’associe au crétinisme.
2- Le préjugé ethnocratique se transmet comme la patate chaude – on passe sans transition de l’abjection du « une vie juive ne vaut rien auprès d’une vie aryenne » à l’infamie du « une vie palestinienne ne vaut rien auprès d’une vie juive (israélienne) ». Le Malin est mort de rire.
3- En IsraëlPalestine, la solution des deux Etats séparés ne serait valable qu’en application du principe suivant : d’un côté, on met les suprémacistes incurables, les bleu-blanc-brun indécrottables, les replicants facho-sionistes, et de l’autre les real humans de toutes couleurs et confessions – et on construit entre les deux un mur de quinze mètres de haut.
4- L’Eglise catholique qui associait le métier de comédien à l’immoralité et la débauche, qui les bannissait des cimetières chrétiens avait ses raisons, ce qui ne veut pas dire qu’elle avait raison de le faire. Les acteurs sont, avec toute leur diversité, une espèce assez particulière, ce ne sont pas des gens ordinaires. Ce que l’Eglise percevait comme leur naturel licencieux relève en vérité de la combinaison d’un mode de vie (« gens de la balle ») et d’une sensibilité. Ce n’est pas pour rien que les acteurs, de cinéma notamment, ont, bien plus souvent que la moyenne, des existences, disons, plutôt dé-rangées que l’inverse, turbulentes, fantasques – carrément chaotiques, tournant au sordide, s’achevant en tragédie, parfois. Les comédiens sont portés aux frasques, aux excès, aux conduites à risques, comme on dit, une certaine démesure est souvent leur élément. Ceux.celles qui exercent ce métier (qui n’en est pas tout à fait un, au sens ordinaire du terme) en bon.ne.s pères (mères) de famille ou en fonctionnaires du spectacle sont généralement cantonné.e.s dans les rôles convenus ou secondaires – et pas seulement à Hollywood. Le génie (et même le talent) de l’acteur.trice ne va pas sans un grain de folie. D’où leur fréquente association à des scandales et faits divers éclatants ou scabreux de toutes sortes, notamment d’espèce sexuelle, extra-maritale et autres « affaires de mœurs », comme on dit. Manifestement, ce trait d’outrance, d’immaturité ou d’irresponsabilité tend à déborder sur d’autres membres de la corporation – les réalisateurs et autres metteurs en scène, entre autres.
Aujourd’hui, au cœur de ce glacial hiver des passions qui s’éternise, on nous réclame des acteurs et des actrices, mais surtout des acteurs, qui se tiennent sages comme des images. C’est trop demander. Si vous les amputez de leur dinguerie, pas toujours sympathique, il est vrai, il ne nous restera que des Sophie Marceau, des Vincent Lindon, des Diane Kurys et des Stéphane Brizé – Bonjour les films ! Et bonne nuit, les petits !
5- Pendant la Seconde guerre mondiale, les acteurs d’Hollywood qui n’étaient pas en état de combattre, et des actrices volontaires, étaient mobilisés pour aller divertir les troupes, leur soutenir le moral en leur présentant des spectacles tant récréatifs que patriotiques. Le sionisme de l’arrière remplit, à l’heure de l’oradourisation en grand de la bande de Gaza, la même fonction. Les paillettes en moins, quand même.
6- On est passé progressivement, à la télé, du temps des rassurants et dociles fonctionnaires de la vérité (du pouvoir) à celui des imprécateurs vitupérants, l’écume aux dents. « Provocateur » est devenu, dans la bouche des membres de la caste dirigeante, le plus admiratif des compliments. Il doit y avoir comme un trait d’époque dans ce grand bond en avant.
7- Ils disent – ils écrivent, même : l’armée israélienne détruit tout à Gaza, hôpitaux, universités, monuments historiques, bâtiments religieux, sans parler de l’habitat et des infrastructures urbaines, tout, absolument tout... Et puis... rien : la déploration est leur religion, aller aux conséquences, même les plus élémentaires, les plus évidentes, ils en sont rigoureusement incapables – à moins qu’ils ne se l’interdisent, tout aussi rigoureusement. C’est une maladie de l’entendement, tout particulièrement virulente parmi les élites – les gens de l’Etat, des médias, le monde universitaire... infiniment rares sont ceux qui échappent à cette panne généralisée, cette incapacité d’enchaîner.
8- Un des pires néologismes du jargon nazi, relève Victor Klemperer dans LTI, la langue du IIIème Reich : coventrieren, un verbe signifiant : réduire à l’état de ruines, comme le fit l’aviation allemande de la ville de Coventry pendant le Blitz (la « Bataille d’Angleterre », septembre 1940-mai 1941). Comment traduit-on coventrieren en hébreu ?
9- – Je suis allé chercher une tarte à la rue Barbe...
– Ah non, pas à la rhubarbe, j’ai horreur de ça !
– Mais non, pas à la rhubarbe, rue Barbe, c’est là que se trouve le meilleur pâtissier de la ville...
– Ah bon ! Mais une tarte à quoi ?
– Quelle importance ? Une tarte de la rue Barbe, pas à la rhubarbe...
10- Pourquoi faudrait-il que les opprimés se montrent en tout meilleurs que leurs oppresseurs ? N’est-il pas inévitable que l’oppression, qui ne désarme jamais, ne lamine et corrompe moralement, aussi ? Et qu’attendons-nous au juste des opprimés – qu’ils luttent et désarment l’oppression ou qu’ils exhibent leur impeccable moralité ? Le premier des dons, irremplaçable, qu’ils nous font, n’est-il pas leur lutte même qui fait sauter les verrous de l’ « intolérable » (Foucault) institué ? Conduire cette lutte, poursuivre avec l’énergie du désespoir leur résistance infinie à leurs oppresseurs sur un mode tant soit peu ensauvagé, n’est-ce pas le moins qu’ils doivent à l’engeance, elle, qui ne leur a jamais fait de cadeaux ?
11- Les gens qui partent de très bonne heure au boulot avancent d’une démarche contrainte et la tête baissée, comme s’ils avaient honte de leur esclavage. Et pourtant, ce sont bien eux, et pas les autres, les héros de l’infraordinaire...
12- Pour une machine à laver ordinaire, voyez chez Darty. Pour une machine à laver le linge sale en famille, regardez plutôt chez Dirty.
13- Connaissez-vous les guides du Broutard ? Destinés aux veaux de l’année, ils leur indiquent, région par les région, les meilleurs abattoirs – de une (à proscrire) à cinq étoiles (fortement recommandé). Avec tout plein de tips pour les broutards débrouillards.
14- J’essaie de me mettre dans la peau de ceux.celles qui ont profité de leur entregent pour pousser leur cri primal (leur hurlement de bête blessée, si vous voulez) dès le lendemain du raid du Hamas en territoire israélien, dans les journaux, à la radio, sur les plateaux de télé, les réseaux sociaux, etc. – et puis depuis, plus rien, pas un mot, disparus de la circulation. J’essaie, I try hard, I do my best – mais non, décidément, je n’y arrive pas. Je ne parviens pas à comprendre comment ça marche, ces mécaniques humaines-là...
15- Du maniement des particules
On ne doit jamais prononcer la particule « de » lorsqu’on cite un nom de famille aristocratique sans le prénom. Ainsi, on ne dit pas les « de Vilmorin » mais les « Vilmorin ». Comme toute règle, elle comporte des exceptions : quand la particule est un « d’ », on l’énonce. Comme pour les « d’Aboville » (et non pas les « Aboville ». Même chose pour les particules « du » et « des ». On dira les « du Fayet » ou les « des Rivières ». On garde le « de » lorsque le nom de famille ne comporte qu’une syllabe, comme pour les « de Lattre ». Compliqué ? Non, pas vraiment. Il suffit juste de le savoir.
Laurence Caracalla, 100 bonnes & mauvaises manières à connaître dans la vie – le guide du bien élevé, Ed. Le Figaro, 2015.
16- Cacafado,scatofado : « (…) Mon plus grand souvenir, en matière de chanson, et même l’une des plus fortes émotions esthétiques de ma vie, je l’ai ressentie vers vingt ans, dans les toilettes d’un camping au Portugal : j’étais aux toilettes, donc, et soudain, dans cette odeur d’urine et de javel, une femme de ménage (je ne la verrai qu’en sortant : elle lavait le sol, vêtue de noir, sans âge, les jambes étonnamment poilues...) s’est mise à chanter : le fado éternel était là, la souffrance éternelle, la beauté éternelle ».
André Comte-Sponville, L’amour, la solitude, Paroles d’Aube, 1997.
17- Ce qui s’associe à l’horreur et l’infamie nous frappe souvent de stupeur et de mutisme. Mais ce peut être au contraire ce qui nous donne la force et le courage de dire ce que nous n’avions pas encore su dire jusqu’alors – GAZA.
Bien sûr, ce qui permet d’aller plus loin ne se sépare pas de ce qui endurcit – pour le meilleur, comme pour le pire.
18- Un horrible cauchemar (suite à une apnée du sommeil XXL) : je sors mon chien un peu après minuit et, au coin de l’avenue Thiers et de la rue Amiral Courbet, je tombe sur une bande de noceurs avinés (plus tard identifiés par la Gendarmerie nationale comme les dénommés Alain N., Cédric C., Luca S., Orgest A. et Jean-Louis T. – pas une seule femme parmi eux, notons-le au passage) en train de tenter de mettre le feu à la boîte à livres installée juste devant le salon de beauté. Il s’escriment à enflammer un épais dictionnaire néerlandais-français-français-néerlandais, à l’aide d’un Zippo dont ils ont allongé la flamme au maximum. Comme je m’approche pour tenter de les calmer, ils m’invectivent grossièrement. Mon chien se met à gronder, en position d’attaque (c’est un beauceron arlequin de belle taille). Les éclats de voix des pochards ont attiré sur son balcon un habitant de l’immeuble voisin ; il parle d’un ton animé dans son portable – à la police sans doute. Le dictionnaire s’enflamme, sous les hourras des fêtards. Mon chien s’élance vers eux. Je me réveille en sueur, le souffle court.
19- J’ai beau m’adresser force remontrances, je n’arrive pas à me faire à l’idée que des titres de même taille et des articles de même volume pour trois baisers volés lors d’un casting (chez nous) et un hôpital réduit en ruines au moyen de missiles et de tanks (chez les autres), cela relève d’un traitement équitable, décent et judicieux de l’actualité. Je dois être trop vieux, complètement à la ramasse – qu’est-ce qu’ils attendent pour voter la loi sur l’aide à mourir ?
20- Le dernier papillon a pris son envol dans un bruissement d’ailes infime, emporté par le souffle empoisonné du méga-accident industriel. Il oscille au gré du vent avant de s’abattre, fripé/flapi, sur le sol pollué de la friche. C’était, donc, le dernier des papillons. Son nom : Vulcain. Il n’était pas rare sous nos latitudes, naguère, le vulcain – mais il avait de la gueule, quand même, avec ses bigarrures sur les ailes.
Louiset Berthomieux