Keep calm and seek cover

, par Elodie Tripot


« Her daddy ’s dead and her eyes are dark
Smells like spliff and Armagnac
She lost her coat but I like her style
She lost her head but I like her smile »

The Pixies, St.Nazaire (2019)

1- De certains ensembles humains, on en viendrait à se dire : seule la peste pourrait les guérir. Et encore...

2- Quand je serai riche, je m’achèterai une Tesla. Puis j’irai la fracasser contre l’ambassade états-unienne, place de la Concorde.

3- Il y a quelques jours on a exécuté en Chine un condamné à mort qui avait foncé dans la foule en voiture, tuant une trentaine de personnes. Dans le même temps, on annonçait l’exécution imminente, à Taïwan, d’un jeune type qui avait assassiné sa petite amie et la mère de celle-ci. La première information figurait dans Le Monde, pas la seconde. Quand des têtes tombent, parmi la haute nomenklatura, en Chine, c’est du totalitarisme. Quand le leader d’un parti d’opposition se retrouve en prison incommunicado et sine die, à Taïwan, pour des faits allégués de corruption, c’est de l’Etat de droit – les juges font leur travail. Quand la reconnaissance faciale prospère en Chine, c’est du totalitarisme. Quand elle accompagne les J.O. en France, c’est de la sécurité bien comprise, indispensable. Etc.

4- Le message que nous font passer sans relâche Trump, Musk, Meloni, Orban, Bolsonaro est pourtant bien clair : la démocratie libérale, c’est mort ! Ce n’est pas seulement ce qu’ils font qui l’atteste, c’est aussi leur conviction intime – celle qui inspire chacun de leurs gestes. Ils sont résolument établis dans l’après.
Sur ce point, on ne peut qu’opiner dans leur sens : la démocratie libérale n’est plus qu’un grand cadavre à la renverse – et elle ne reviendra pas d’entre les morts. Il va falloir trouver autre chose – ce à quoi, précisément s’activent les susnommés.
C’est sur ce point que nous allons d’autant plus radicalement différer d’avec eux, après nous être entendus sur le diagnostic : pour eux, ce qui doit éclore sur les ruines de la reine morte, c’est un fascisme new-look. Pour nous, c’est une dictature du prolétariat Deux Point Zéro. Nous ne sommes pas prêts à mourir pour la démocratie démocratisée, réveillée, insurgente (LOL), lyophilisée. La dictature du prolétariat Deux Point Zéro ou rien.

5- Mieux vaut un post-doc en bonne santé, vrai humain et plein d’esprit qu’un post-dog robotique bourré de capteurs et de senseurs, et qui aboie en intelligence artificielle.

6- Ils vous proposent de vous accompagner chez le médecin quand vous leur dites que vous êtes désespéré. Ils pensent distraitement, étourdiment que le désespoir est une maladie. Si c’était le cas, la désespoirologie serait une spécialité médicale.

7- La simultanéité, beau sujet de méditation : quand un petit verre m’a rendue euphorique, j’aime à penser qu’à cet instant même, à l’autre bout du monde, une jeune fille en fleur connaît son premier orgasme. Quand je broie du noir, je pense au type qui, à un autre bout du monde, se fait perforer l’estomac par un couteau à cran d’arrêt – à l’instant même, toujours.

8- Lorsque la terre se met à trembler, les chiens aboient interminablement, les dormeurs heureux se retournent sur leur couche en soupirant, ils se blottissent sous la couette et reprennent doucement le cours de leurs rêves.

9- Ce que tous les génocidaires ont en commun, c’est l’acharnement, le sens du détail, la passion maniaque d’aller jusqu’au bout, de faire les choses à fond, de ne rien laisser derrière soi que ruines, cendres et cadavres. Ainsi, à Gaza : la sidérante opiniâtreté avec laquelle ils traquent et tuent les journalistes, les médecins et, plus généralement, tous ceux qui sont du côté de la vie.

10- Le voyeur est fort exposé à avoir les yeux en amende.

11- Il est urgent de réaliser un audit mondial sur la production des fermetures éclair –elles sont généralement de mauvaise qualité et portées à se coincer, y compris sur les vêtements les plus coûteux, les valises de luxe, les sacs de couchage en plume d’oie, les anoraks matelassés. C’est, selon toute probabilité, de l’obsolescence programmée : il est de plus en plus difficile de trouver un artisan, une couturière qui sache réparer ou changer une fermeture-éclair ; on remise donc l’objet concerné dans une armoire et on en achète un autre. D’une façon générale, l’obsolescence programmée contribue à saper notre confiance dans le monde, déjà bien entamée. On en vient à se méfier de tout – même de son jean préféré – quand sa braguette commence à donner des signes de faiblesse.

12- A tort ou à raison, la Fondation Abbé Pierre vient de décider de changer de nom. Elle s’appellera désormais Fondation pour le logement des défavorisés. Une poignée d’irréductibles s’accroche au sigle et envisage une fusion de la Fondation Abbé Pierre (canal historique) avec le Syndicat des Chauds Lapins de France (SCLF).

13- C’est quand une affaire tourne au scandale qu’elle devient vraiment intéressante. Trop d’affaires en tous genres, pas assez de vrais et beaux scandales, à mon goût.

14- L’Histoire, comme telle, n’a pas de sens. C’est nous qui procédons par assignations de sens, variables, plus ou moins fantasmatiques. L’Histoire est un processus dont le déploiement effectif se tient entièrement hors de notre portée. Le réel historique est tout sauf « rationnel » à ce titre, pour autant que la raison serait, précisément, ce qui nous donnerait prise sur lui. Le cours de l’Histoire nous emporte comme une crue où nous surnageons à grand peine ; les événements historiques s’abattent sur nous comme des intempéries. Nous sommes, face à l’avenir historique, dans la même incertitude que face au prochain tremblement de terre, là où ils se produisent. L’Histoire, en ce sens, est simultanément le milieu dont nous saurions nous évader et la grande étrangère.

15- Tatouée des pieds à la tête : Elle écrit (ou plutôt elle grave, le tatouage, ça fait mal) son autobiographie sur son corps, en idéogrammes, en hiéroglyphes, en pictogrammes, en allégories et autres symboles. Il n’y aura bientôt plus de place, et pourtant, elle n’est pas encore au bout de son parcours d’épreuves.

16- Quand la cigogne se pose sur le panneau solaire, la télé se met à craqueter.

17- Le vieillard amoureux est, dans la tradition de Molière, le personnage le plus ridicule qui soit. C’est profondément injuste et même révoltant : accablé par les maux de l’âge, le vieil homme trouve dans la faculté intacte de tomber amoureux la plus légitime des consolations. Ce n’est pas seulement la méchanceté ordinaire qui est à l’œuvre quand il devient la risée de tous, c’est une sorte de fascisme, lequel statue : pour être amoureux, il faut d’abord être jeune.

18- Peut-être, en fin de compte, l’enjeu de la lutte est-il moins de vaincre l’ennemi que de lui survivre. Et ensuite, placidement, d’aller pisser sur sa tombe.

19- « Der Tod ist ein Meister aus Deutschland » – plus que jamais à l’heure où l’ambassadeur d’Allemagne en France et son homologue israélien publient dans Le Monde une tribune en forme de plaidoyer pour la paix et de mise en garde contre le retour de l’antisémitisme – sans que n’y apparaisse une seule fois le mot Gaza.

20- S’il est établi que l’humain est un animal parmi d’autres, même distingué (la question de savoir ce qu’il en est au juste de cette distinction demeurant pendante), alors il nous faut bien tenter de penser sérieusement la relation qui s’établit entre génocide et transformation des animaux-viande en marchandise, débouchant sur leur extermination continue sur un mode industriel. Ce n’est pas pour rien qu’Auschwitz a souvent été évoqué comme un « abattoir ».

21- Promotion : pour l’achat d’un survêtement Le Coq Sportif, en prime deux grammes de coke sportive – celle qui aide à faire la différence avec les concurrent.e.s.

Elodie Tripot