La peine de mort n’a jamais été abolie

, par Mathilde Zona


C’est un scénario désormais classique : un type équipé d’un couteau et d’un objet métallique fait face à la police, surpris, nous dit-on, en train de tenter d’incendier une synagogue, à Rouen. Il est sur le toit du bâtiment et a jeté à l’intérieur un engin incendiaire. Les policiers lui font face et l’un d’entre eux, un jeunot, un stagiaire, le neutralise, c’est-à-dire, dans le langage d’aujourd’hui : le tue en lui tirant dans les parties vitales du corps (comme on lui a assurément enseigné à le faire dans l’école où il a appris son métier) un nombre suffisant de projectiles (quatre) pour ne lui laisser aucune chance de survie. En principe, le verbe « neutraliser » veut dire mettre hors d’état de nuire, ce qui n’est pas synonyme de tuer – une balle dans l’épaule ou dans la jambe peut y suffire largement. Mais non : dans ce contexte, celui de la « lutte contre le terrorisme », le moins que l’on puisse faire en vue d’apporter les satisfactions attendues aux élites politiques et à l’opinion conditionnée, c’est de leur offrir en pâture un cadavre criblé de balles.
Le mode opératoire emprunté par le « terroriste » dans ce genre de circonstances indique suffisamment qu’il s’agit d’un type qui ne tourne pas rond. Ici, un sans-papiers algérien qui s’est vu refuser par la préfecture le statut d’ « étranger malade ». Pour se lancer, armé d’un couteau de cuisine et d’un morceau de ferraille, à l’assaut d’une équipe de flics pourvus de tout leur attirail réglementaire et équipés de gilets pare-balles, il faut être, pour le moins, passablement suicidaire ou perturbé – en proie, généralement à un solide délire. On imagine ici aisément le scénario – une existence à la dérive, solitaire, sans ressources, sans perspective, violemment impactée pour d’évidentes raisons par le génocide en cours à Gaza. Mais qu’importent ces détails : la police n’est pas là pour soigner les malades mentaux qui rôdent autour des synagogues, elle est là pour tirer à vue sur les terroristes – et les « neutraliser ». On n’est pas là pour faire du contrechamp (s’astreindre à voir la scène par les yeux de l’autre, aussi atteint soit-il) – lorsqu’il s’agit d’un moment sur lequel on peut coller les mots « terrorisme », « terroriste », on n’est pas regardant, on prend tout ; et peu importe que dans ces tableaux les malades mentaux soient en surnombre. Le plus fou d’entre eux, le psychotique le plus délirant sera toujours assez bon pour endosser le rôle d’un de ces ennemis de l’humanité qui permettent aux marchands de discours sécuritaires et xénophobes de briller de tous leurs feux.

Post factum (c’est devenu une sorte de rite macabre), le ministre de l’Intérieur félicite le tireur et ses collègues pour leur « réactivité et leur courage » – c’est vrai qu’il en faut pour plomber un dingue brandissant d’une main une grosse mèche métallique et de l’autre un couteau de cuisine – cela vaut bien la médaille déjà annoncée. Dans la foulée, Elie Korchia, président du Consistoire central, déclare : « Nous sommes soulagés de voir avec quelle rapidité et efficacité les forces de l’ordre sont intervenues grâce aux mesures de sécurisation mises en place ces derniers temps ». Et le président du CRIF de renchérir, évoquant « un climat de terreur parmi les Juifs ». S’il en faut plus qu’une hirondelle pour faire le printemps, un déséquilibré armé d’un couteau suffit en revanche à faire un pogrom tout entier et un tel carnage virtuel à terroriser les Juifs de France – juste une affaire de storytelling... En tout cas, voilà des gens qui pensent et parlent en communion d’esprit avec Netanyahou et Gallant.
Les cris d’allégresse qui saluent l’exécution de l’halluciné en transe sur le toit de la synagogue, tout cela dégage une forte odeur de fascisme. Vieille histoire. Il est arrivé, naguère, que l’on appelle ça les fêtes sauvages de la démocratie. Mais aussi bien, on pourrait dire : de l’abattage rituel républicain – puisqu’il semblerait que le nom de la République doive être mêlé à ça...

La police française est généralement équipée de pistolets automatiques de fabrication germano-helvétique Sig Sauer, arme de catégorie B1. Cette arme de poing tire des balles du calibre de 9 mm. Elle peut tirer 30 coups en une minute, la vitesse de la balle étant de 350m/seconde et la portée de trente mètres.
On comprendra que, dans ces conditions, les policiers se soient sentis exposés à un danger mortel lorsqu’ils se sont retrouvés face à l’énergumène lourdement armé. Et qu’ils l’aient allumé en conséquence, comme au stand de tir.

Mathilde Zona