La vieille dame (qui cherche les emmerdes) et la gazelle casquée (une histoire de notre temps)
Rien ne saurait surpasser en grâce, élégance et beauté l’image de cet alerte robocop enjambant d’un bond de gazelle, ceci en dépit de l’encombrant équipement dont il se trouve affublé, le corps de l’imprudente septuagénaire renversée sur le sol, des suites directes et immédiates d’une impétueuse charge policière – lors, donc, de la manifestation des Gilets jaunes à Nice, ce dernier samedi. Manifestation interdite au prétexte de la présence dans le secteur du président chinois – mais au Negresco (sans commentaire....), soit à solide distance du lieu du rassemblement – pur faux-semblant, donc, en vue de piétiner une fois de plus les libertés publiques.
Photo publiée en bonne place sur l’édition électronique du Monde d’une part, et charge suffisamment vigoureuse de l’autre pour que la dame se trouve conduite par les pompiers, inconsciente, en état d’urgence absolue, à l’hôpital Pasteur de Nice.
Belle action du Monde, donc, mais qui, il faut le dire, venait en réparer une autre, nettement moins glorieuse : dans les heures suivant cette action glorieuse, le Monde électronique avait publié une dépêche décrivant les faits dans ces termes : la dame « s’est blessée » (expression deux fois employée) en tombant, suite à la charge policière. Ce n’est pas celle-ci qui l’a envoyée valdinguer contre un poteau métallique, non, c’est elle qui s’est blessée en s’écroulant sur le sol – d’ici là à imaginer qu’elle y ait un peu mis du sien...
Toute vieille et chenue qu’elle est, la dame (militant d’Attac, soit dit en passant, ce qui pourrait renforcer le soupçon qui vient d’être mentionné), n’a pas l’âge d’avoir connu l’escroc Stavisky – c’est bien dommage, ils auraient fait la paire, lui qui, selon la formule mémorable du Canard enchaîné « s’est suicidé d’une balle de revolver qui lui a été tirée à bout portant » ». La dame était porteuse, au reste, d’une vaste banderole arc-en-ciel portant l’inscription « paix », criante manifestation de ses intentions belliqueuses.
Suite au prodigieux saut de cabris (ou de tigre) dans le passé [1] de ce Moyen Age policier dans lequel nous plonge chaque jour un peu plus la République en état de siège de Macron-Castaner, Mme Belloubet, Garde des Sceaux de son état, tenait à mettre les choses au point : toutes les apparences allaient contre la dame renversée, puisqu’elle participait à une manifestation interdite, action des plus répréhensibles – en bref, un délit... Mais, devait rapidement nuancer le procureur de Nice légèrement commotionné peut-être par l’inhumanité du commentaire de sa ministre, la dame se tenait-elle sur le bord de la manifestation plutôt que dedans – un doute susceptible d’ouvrir la porte aux fameuses circonstances atténuantes…
Si ma mémoire est bonne, Mme Belloubet, avant d’entrer en CDD chez Macron, pour y faire ministre, était enseignante, professeure de droit – une collègue, quoi. Il y a de ces jours où l’on préférerait se mordre la fesse gauche jusqu’au sang plutôt qu’appartenir à la même corporation que cette engeance-là...
Le même Procureur de Nice qui, pourtant, n’est pas du genre à passer ses vacances avec Cédric Herrou, trouve qu’il y a, quand même, un peu matière à aller y regarder de plus près dans ce petit incident ou accident. Il ouvre une « enquête classique en recherche de cause des blessures » qui ont été bien près d’être fatales à Mme Legay. La famille de la blessée, elle, a déposé une plainte pour « violences volontaires en réunion avec armes par personnes dépositaires de l’autorité publique et sur personne vulnérable » – le nom, dans les termes du Code pénal, d’une charge policière de cette espèce-là.
Mais toute l’affaire aurait laissé un goût d’inachevé si le chef de la bande ne s’en était mêlé : le voici qui trouve opportun de « souhaiter un prompt rétablissement » à Geneviève Legay, vœu qu’il recouvre aussitôt d’un crachat – « et peut-être une forme de sagesse ».
Petit con, dit la vox populi.
Il y a bien longtemps que nous avons, nous, renoncé à imaginer que quelque forme de sagesse que ce soit puisse effleurer l’esprit et le cœur de cette couvée. Bien longtemps que nous avons perdu le respect.
Et n’en faisons plus mystère.
Alain Brossat (le même âge (hélas...) que Mme Legay)