Le 25 mars 2030

, par Noël Barbe


Il y a 10 ans, jour pour jour, le sinistre président, que des Français avaient élu, prenait la parole à la télévision. Peut-être d’ailleurs que l’expression prendre la parole n’était pas la plus adaptée, il n’y avait pas grand-chose à prendre tant celle-ci s’était attachée à dépolitiser « la crise » entre l’apprêté d’une empathie pour les soignants et le soutien à un caporalisme attribuant à la population la responsabilité de la propagation de l’épidémie. Rien sur les effets produits par des dizaines d’années de néolibéralisme.
Ce soir-là ou ce jour-là, je ne sais plus très bien, alors le temps paraissait désordonné, comme si l’épreuve venait contredire l’abstraction horlogère de l’alliance de l’ordre et du supposé progrès comme l’écrivait Bensaïd, celui donc qui occupait l’exercice du pouvoir venait annoncer une opération Résilience soit le transport de malades et l’installation d’équipements de réanimation dont l’acteur serait l’armée française.

Le mot inspirait de la sympathie et l’on se disait que comme pour d’autres – révolution par exemple – celui qui avait fait une carrière fulgurante à la banque Rothschild – il n’y a pas plus d’antisémitisme ici que le constat du prix fort payé à l’épidémie par les afro-américains pourrait être qualifié de raciste – avait encore opéré une confiscation d’un mot au camp de ceux qui se battent pour l’émancipation, ou a minima au lexique de ceux qui entretiennent une bienveillance pour tout ce qui est humain. Il faut dire que le mot dont l’usage a proliféré, et les significations avec, avait plutôt fière allure et l’on en aurait presque oublié que sa mise en œuvre devait être confiée à une organisation militaire dont alors je cherchais en vain dans les devises de différentes régiments qui la composaient, quelques signes d’un attachement à l’émancipation : Dieu pardonne... Pas nous ; Je rugis comme le tonnerre, je frappe comme la foudre ; Partout je fonce, toujours j’enfonce. Bon…

Employer résilience c’était sans doute pour le « PR » faire science, du moins faire emprunt neuropsychiatrique à celui qu’il avait côtoyé quelques années plus tôt à la Commission pour la libération de la croissance française dite Commission Attali. Un psychiatre siégeant au chevet de l’économie, dans une sous-commission « croissance et mentalités » pour identifier l’origine psychosociale des « freins à la croissance ». « Le plaisir d’entreprendre a besoin de stabilité affective pour se développer » avait déclaré Boris Cyrulnik au journal Le Temps. Bref la mobilisation de ressources biomédicales pour une biopolitique du néolibéralisme. Plus tard ce pourfendeur de la théorie du genre s’était vu confier, par le même, la présidence d’une Commission des 1000 jours chargé d’élaborer un consensus scientifique sur les recommandations de santé publique concernant la période des 1000 premiers jours de la vie.

Ce mot finalement nous leur avions laissé tant, dans ses effets de nomination, il nous assignait au traumatisme et au rôle de victimes et ne correspondait en rien à l’idée que nous nous faisions de la « crise ». Ce n’est pas ainsi que nous souhaitions être nommés, ce n’est pas dans ce système de causalités que nous souhaitions être inscrits.
Et plutôt que du mot résilience c’est de ceux de résistance et d’affrontement dont nous avions besoin, résistance au vieil ordre du monde et affrontement à ceux qui en restaient les promoteurs ou les défenseurs. Il fallait solder les comptes et il faut dire que nous avons été impitoyables.