Le diable aux trois couleurs. Contre le lynchage et l’expulsion de l’imam Mahjoubi
« Aucun appel à la haine ne restera sans réponse », a vomi sur un réseau social, dimanche dernier, l’homoncule de la place beauvau.
Dans son Exégèse des lieux communs, Léon Bloy relevait la propension native du bourgeois à débiter en toutes circonstances, et évidemment à son insu, dissimulées sous le sens littéral de ses sentences remâchées, des Vérités mystiques, aussi hénaurmes qu’éternelles.
Le turpide petit Gérald a donc sans aucun doute bien raison, sans le savoir. Aucun appel à la haine ne restera sans réponse : adviendra le jour, insha’Llah, où les musulmanes et musulmans de ce pays, dont la patience jusqu’ici confine à quelque chose de proprement surnaturel – pour ne pas dire : divin –, poussés à bout par les fermetures abusives de leurs lieux de culte, les dissolutions arbitraires de leurs associations, les expulsions et les persécutions judiciaires de leurs représentants, les crachats médiatiques ininterrompus, répondront.
Ce jour-là, la « gauche » auréolée de sa pureté progressiste et inclusive se décidera-t-elle peut-être à choisir son camp ?
A moins – hypothèse cavalière – qu’elle ne l’ait déjà choisi ? Feignons de maintenir encore un peu de suspens, alors que son mutisme assourdissant, face au déchaînement politique et médiatique dont l’imam Mahjoub Mahjoubi est aujourd’hui l’objet, vient s’inscrire dans la longue histoire de ses lâchetés et de ses inconséquences.
Pourtant, en cette occurrence comme en bien d’autres, il n’y avait pas à chercher bien loin les quelques considérations susceptibles de pointer le ridicule auquel s’exposait la panique patriotarde qui saisissait le pays champion de l’Universel, dont tout sacré a été banni – sauf son drapeau –, et gardien sourcilleux de la liberté d’expression :
Toutes les gouvernances vont chuter. C’est fini, hamduliLlah ! On aura plus tous ces drapeaux tricolores, qui nous gangrènent, qui nous font mal à la tête, qui n’ont aucune valeur auprès d’Allah. La seule valeur qu’ils ont, c’est une valeur satanique.
J’affirme que tout partisan sincère de l’émancipation – éminente valeur « de gauche », si j’ai bien appris ma leçon – devrait tenir cette prophétie pour très réjouissante, et considérer cet imam comme un ami. [1]
On remarquera en premier lieu un petit fait d’apparence anodine, mais qui a toute son importance : alors que l’imam Mahjoubi, comme on peut parfaitement l’entendre dans la vidéo litigieuse, parle bien de ces drapeaux tricolores, au pluriel, l’hallali médiatique n’a eu aucun scrupule, dans sa titraille racoleuse, à traduire le passage en ces termes : « Le drapeau français est un drapeau satanique ». S’il y a quelque chose de satanique dans cette affaire, c’est d’abord et avant tout la crapulerie des journalistes qui, sans vergogne aucune, et en toute conscience, ont menti en vue d’achever un homme qui avait déjà été mis à terre par le médiocrissime Darmanin. Car on s’accordera aisément sur le fait que ce mensonge fait de ces cerbères du pouvoir une meute de ce qu’il faut bien nommer des calomniateurs – qualificatif qui, ô puissance révélatrice de l’étymologie, constitue l’une des traductions du terme grec : διάβολος, diabolos, dont est issu notre « diable ».
Une autre traduction possible du même terme fait du diable, Satan, donc, parmi d’autres noms usités, le « grand diviseur », ou « celui qui divise ». Dans l’Apocalypse de Jean, 12,9, référence qui devrait obtenir l’agrément de tous les obsédés des « racines judéo-chrétiennes de la France », Satan est décrit comme « l’antique serpent qu’on appelle le diviseur […] qui égare l’Univers entier ». Or, que les Etats-nations et leurs drapeaux soient des fauteurs de division, à l’intérieur de leurs frontières par les disparités de classes qu’ils instituent, ou à l’extérieur par la violente concurrence économique et militaire à laquelle ils se sont livrés de tout temps, voilà bien une idée on ne peut plus banale, qui est au principe de l’internationalisme de gauche, que ce soit dans sa tradition socialiste-communiste, ou dans les bifurcations de la branche anarchiste après la scission de la Première internationale. S’il existe quelques postulats susceptibles d’avoir réuni les diverses obédiences qui ont amorcé l’histoire de la gauche, celui-ci pourrait en être un, et il a sans aucun doute été partagé par un certain nombre de personnalités illustres qui donnent aujourd’hui leurs noms à ces temples de la République que sont les écoles.
Calomniateur, diviseur, Satan, c’est bien entendu, aussi et avant tout, le principe du Mal. Quand même l’envolée de l’imam Mahjoubi serait en effet, comme ce dernier s’en est lui-même défendu en essayant très légitimement de sauver sa peau et celle de sa famille, un lapsus, le retour d’un refoulé qui s’énoncerait à peu près ainsi : « Le drapeau français et la nation qu’il représente sont l’un des creusets des maux qui nous affligent, et nous n’avons rien à en attendre » ; eh bien, je continuerais d’applaudir à une considération que mes instincts libertaires m’ont depuis longtemps amené à reconnaître comme mienne, et me réjouirais d’avoir trouvé un frère.
Une dernière précision : le cliché qui illustre cette brève est dû à un certain Frédéric Laurent. Il avait obtenu, le 6 mars 2010, le prix « Coup de cœur » du Marathon photo de la Fnac, dans la catégorie « politiquement incorrect ». C’était il y a fort, fort longtemps.
Cédric Cagnat