« On disait d’abba Agathon qu’il vécut trois ans avec un caillou dans la bouche, jusqu’à ce qu’il observe le silence ».
Jean-Claude Guy : Paroles des anciens – Apophtegmes des pères du désert

1-Sur le coup des deux heures du mat’, je me réveille en sursaut (et tout en sueur), je me demande : y-a-il des trotskystes dans l’Idaho ? Au Daguestan ? A Alice Springs, en Australie ? Dans les îles aléoutiennes ? Au Botswana ? En Mongolie intérieure ? Ces lancinantes questions tournent sans fin dans mon cerveau embrumé et je ne me rendors que lorsque survient enfin cette idée apaisée, inspirée par une sagesse toute stoïcienne : il doit bien rester un ou deux trotskystes quelque part...

2- – Qu’est-ce que t’as à marmonner comme ça ?
– ………
– Quoi ?
– Wehrtsahalmacht...
– Quoi ? Qu’est-ce que tu radotes, là ?
– Wehrtsahalmacht !
– Mais ça veut rien dire...
– Sans doute, mais comme j’apprends en même temps l’allemand et l’hébreu, histoire de gagner du temps, je me mélange parfois un peu les pédales...

3- A force que Marine et sa bande se « normalisent », se « respectabilisent », de manifestation contre l’antisémitisme en cérémonie œcuménique au Panthéon, ils vont finir par nous faire croire qu’au fond rien ne changera rien (ou si peu) quand ces fascistes cravatés et encostardés arriveront aux affaires. Alors, permettez-moi de vous confier un secret : en France, comme en général ailleurs, quand les fascistes disposent des moyens de l’Etat, ça torture dans les commissariats de police et autres antres, repaires des services obscurs, des milices comme ci comme ça, des experts, militaires ou pas, de la contre-insurrection, etc. [1] C’est une règle intangible et, d’ailleurs, une bonne partie de ceux, et qui sont légion, dans ces corps répressifs-là qui votent aujourd’hui pour les bruns notabilisés y sont d’ores et déjà disposés – ou le seront l’heure venue. L’une des raisons prédictives, anticipatrices et pronostiques pour lesquelles il ne faut rien céder sur le vocabulaire et continuer d’appeler un chat un chat et cette engeance-là par son nom propre – fascistes – et bannir les euphémistes parlementaires de la normalisation – extrême droite, droite nationale, que sais-je encore, pour ce qui est de l’art d’arrondir ces angles-là, on peut faire confiance aux journalistes.
Je délire ? Tiens, ça pourrait être l’une des rares raisons pour laquelle je souhaiterais être encore là pour voir ça – voir s’effacer sur votre visage ce petit air incrédule et empreint de commisération.

4- Lu sur un mur adjacent à la gendarmerie d’une petite ville du centre de la France : « Manouchian et ses potes emmerdent Macron et sa bande ».

5- Si t’as pas ton blog sur Mediapart, t’es vraiment un.e moins que rien, un sous-homme, une sous-femme, plus insignifiant qu’une bête, c’est comme si tu n’existais pas, comme si tu n’étais pas né.e. Invisible, évanescent.e, transparent.e. Quand les gens te croisent, ils te marchent dessus. Normal : ils ne te voient même pas – tu n’as même pas ton blog sur Mediapart...

6- Le spectre d’un « super-Munich » plane au-dessus du soutien unanime apporté par les puissances occidentales à l’entreprise de destruction de Gaza conduite, depuis les lendemains du 7 octobre 2023, par l’Etat d’Israël. A Munich, Daladier et Chamberlain ont capitulé devant Hitler, mais du moins la France et la Grande-Bretagne n’armaient-elles pas l’Allemagne nazie, ni ne la soutenaient diplomatiquement et moralement. Or, les puissances occidentales d’aujourd’hui ne se contentent pas d’assister passivement au massacre de la population de Gaza combinée avec l’épuration ethnique – elles en sont les complices actives, sans états d’âme.
Les Justes sont, aujourd’hui, ceux.celles qui tiennent la chronique de cette forfaiture collective dont ses protagonistes, demain et dans les temps à venir, s’acharneront à effacer les traces.

7- Le bourreau est avant tout un travailleur qui, comme tous ses semblables, est intransigeant sur la qualité du matériel que l’on met à sa disposition : il n’est rien qu’il ne déteste tant qu’une hache au tranchant émoussé et au manche branlant, une guillotine dont le couperet se coince entre les montants de l’échafaud, une chaise électrique qui inflige au condamné des blessures au troisième degré au lieu de l’électrocuter proprement, etc. Le bourreau, comme tous les ouvriers, a l’amour du métier, encore faut-il qu’on lui fournisse les outils adéquats. Ceci d’autant plus que, contrairement au travailleur ordinaire, il ne bénéficie pas du droit de grève.

8- (Par association) Depuis que les églises ne sont plus éclairées par le moyen de torches et flambeaux, tous nos curés sont, eux, passés à la chaire électrique.

9- (Dans la rubrique « le monde est mal foutu ») Il est, pour les uns (les bons), infiniment regrettable et, pour les autres (les mauvais), infiniment jouissif que l’actrice qui, en ce moment même, conduit la traque aux cinéastes trousseurs de très jeunes filles, que celle-ci même, donc, porte un nom prêtant aux pires des calembours, jeux de mots et autres contrepèteries désastreuses, le tout, bien sûr, à connotation sexuelle.

10- Tant que sa folie est (demeure) douce, ça me va.

11- « Certains vins sont tellement chers que, même invité, j’ai des scrupules à les boire » (François Hollande, Le Monde du 24/02/2024) – le niveau, Fanfan, le niveau...

12- « Un de ses amis demande à un policier :
– Tu as une idée du nombre d’amants qu’a ta femme ?
– Les estimations varient, répond le flic : dix selon la police et trois seulement selon les organisateurs ».
(Mina et André Guillois, Le grand livre des histoires drôles 1995, Marabout, 1994).

13- « On pourrait se demander comment réagiraient [les chancelleries occidentales qui se sont opposées à la demande d’un cessez-le-feu à Gaza sous prétexte de l’urgence qu’il y aurait à empêcher le Hamas de nuire] si les arguments qui sont jugés suffisants pour justifier l’assaut mené contre Gaza étaient inversés. Imaginez que notre presse nationale avance l’argument selon lequel le gouvernement d’Israël ayant commandité les atrocités qu’il a assurément commandités, cela justifierait le fait que des dirigeants israéliens doivent être tués à n’importe quel prix et que si la destruction de Tel Aviv dût être le prix à payer [pour empêcher que ces atrocités continuent à être perpétuées], eh bien, qu’il en soit ainsi. S’il fallait que des bars de Rehavia [un quartier chic de Jérusalem] il ne reste que décombres, eh bien, tant pis, que cela soit – d’ailleurs, en y regardant d’un peu plus près, vous constaterez que ces bars se situent à deux pas des bâtiments de la présidence [de l’Etat d’Israël], rue HaNasi. Est-ce que l’Etat d’Israël a « détourné des fonds » pour construire des bunkers destinés à ses dirigeants ? Les bombardements en tapis sont-ils justifiés par le fait que les gouvernement et les partis politiques dont émanent ces dirigeants sont « intégrés à la société israélienne » ? Des arguments aussi absurdes que ceux-ci deviennent respectables lorsqu’ils sont avancés pour justifier le massacre des Palestiniens ».
(Tom Stevenson, « Rubble from Bone », London Review of Books, 8 février 2024).

Inimaginable dans quelque journal ou sur quelque média français que ce soit... La désastreuse exception française, l’absolue singularité du philosionisme à la française... La London Review of Books est tout sauf une feuille islamo-gauchiste clandestine, c’est une institution respectée de la vie intellectuelle et culturelle britannique.

14- Célébration d’un parvenu XXL : pas une voix discordante dans le concert d’éloges qui a accompagné la disparition de Robert Badinter, ce grand homme promis au Panthéon, unanimement célébré pour le courage visionnaire avec lequel il a promu la cause de l’abolition de la peine de mort, en 1981, donc, au lendemain de l’élection de Mitterrand. En Europe, la peine de mort a été abolie avant 1981 (et souvent bien avant) dans les pays suivants au moins : Pays-Bas, Portugal, Norvège, Suède, Islande, Danemark, Suisse, Royaume Uni, Malte, Espagne, Italie, Finlande, Allemagne, Autriche... Même Monaco a aboli la peine de mort avant la France – 1962. C’est ce que j’appelais le courage visionnaire et précurseur – lors de l’avènement du règne mitterrandien, cela faisait quand même un petit bout de temps que le fruit blet de la peine de mort avait commencé à tomber des branches de l’arbre Europe...
En France, la suppression de la peine de mort a entraîné l’allongement spectaculaire des longues peines, tendant vers la perpétuité réelle et, par effet d’entraînement, l’allongement de toutes les peines. Cela n’a jamais particulièrement agité les nuits du grand homme, une fois son nom gravé dans le marbre des Lumières, au côté de ceux de Montesquieu, Beccaria et Schoelcher.
Soutien indéfectible de l’Etat d’Israël et de la cause sioniste, Badinter n’a jamais manifesté la moindre empathie pour les Palestiniens, en aucune circonstance. Et voici donc que ce grand humaniste nous quitte au beau milieu du dernier en date du carnage perpétré au nom de cette noble cause.
Il y eut, sous la monarchie mitterrandienne, quelques Juifs de cour de très belle prestance. Ces personnages, contrairement à ceux qui exerçaient leurs talents au service des princes de l’Allemagne des petits Etats, ne faisaient pas dans la banque et la finance, mais plutôt dans le droit et la promotion des Lumières – les noces de la Justice et de la Culture – tout ce sublime de l’Etat mitterrandien... Badinter fut l’un de ces parvenus d’exception qui, en pratique, mirent leur talent au service moins de l’Etat que du Prince.
Qu’on n’aille pas nous le coller trop près des Manouchian, tout de même, ce parvenu exemplaire.

15- Si le Hamas ou le Djihad islamique avaient les moyens d’éliminer, comme on dit dans les journaux, un big shot israélien et comme le pratique couramment l’Etat hébreu au détriment de dirigeants de la résistance palestinienne, que n’entendrait-on pas, que de cris d’orfraie horrifiés et scandalisés à propos du terrorisme palestinien et de la barbarie islamiste ! C’est que, pour se voir attribuer ce permis de tuer par les autorités morales et politiques des démocraties occidentales, il faut commencer par montrer patte blanche. Tout est là, au fond : le terrorisme d’Etat pratiqué, que ce soit en masse ou de manière ciblée, est, mieux qu’acceptable, légitime en tant qu’irrécusablement blanc. Tout ce qui s’y oppose ou s’en distingue porte la marque de l’infamie.

16- Belle vignette d’époque : le dernier lauréat du Goncourt de la poésie (ça existe, apparemment...) est sur le gril pour une affaire de violences conjugales. Toute la poésie de la main sur la gueule.

17- Le rire, en principe, est contagieux, communicatif, communautaire, même. D’où l’extrême infortune de N. : tout ce qu’il trouve d’une drôlerie irrésistible ne fait rire que lui. Une vraie malédiction. Ses francs éclats de rire lui renvoient l’écho d’une solitude abyssale.

18- Vous vous rappelez les temps déjà lointains où le prétendant surgi de nulle part nous a fait le coup du futur président-philosophe – l’ancien « assistant » de Paul Ricoeur – même que les journaux en ont fait à l’époque des pages et des pages... ? Quelques années plus tard, on se frotte les yeux : se peut-il vraiment que le nom de la philosophie (même celle de Paul Ricoeur, diront les mauvaises gens) ait été mêlé à ça ? Le mariage de la Winchester et de l’éléphant...

19- Il ne pouvait se retenir d’éprouver un violent accès de joie maligne (Schadenfreude) chaque fois que, visitant sa boîte à livres préférée, il constatait que Les jeunes filles de cette vieille peau de Montherlant n’avait pas trouvé preneur. Sombre, sombre est le cœur de l’homme...

20- Il n’avait jamais rien cédé sur ce qui constituait le principe premier réglant la conduite de son existence : ne jamais laisser passer son tour quand il s’agissait de faire une connerie. Alors forcément, ses amis s’étonnaient : comment se pouvait-il que, pourvu de tous les talents et doté de toutes les qualifications comme il était, il doive se contenter d’un emploi de vigile à chien dans un parking souterrain ? Mais lui, lors des altercations qui les mettaient aux prises, n’en démordait pas : il n’est pas de plus grand plaisir dans la vie que celui de la gâcher, de dilapider ses chances, de se tirer dans le pied, etc… la haute poésie du ratage et du renoncement.

Lydie Graft-Vermulot