Les batailles politiques se gagnent dans la rue, pas dans les lupanars de la socio-culture !

, par Alain Brossat


TRACT PARIS VIII
lundi 23 février 2009
"Une parole douce multiplie les amis et apaise les ennemis » (Proverbes, 15, 1)

Il y a quelque chose de profondément affligeant dans le spectacle d’un mouvement qui ne sort de ses murs que pour s’enfermer à nouveau dans d’autres murs, qui ne s’échappe du huis-clos universitaire que pour s’enclore dans un espace culturel – ce que fait la « communauté universitaire » de Paris 8 aujourd’hui en convergeant vers le Cent-Quatre qu’elle prétend « occuper » - non sans le plein assentiment de ceux qui président au destin de ce lieu ! On ne saurait mieux dire l’horreur des espaces publics, le besoin compulsif de sécurité et l’aversion pour toute exposition qui ont inspiré cette désastreuse initiative – « On ne va tout de même pas aller occuper l’Opéra pour se faire chasser par les flics ! », pouvait-on entendre récemment encore dans une AG. Surtout pas de risque de confrontation, de conflit, d’affrontement et qui sait, abomination, de violence(s) susceptible(s) de mettre à mal notre précieuse intégrité non moins que la respectabilité de notre mouvement. Et donc : avant tout, rester entre nous, en un lieu hautement protégé par sa distinction culturelle, et, dans ce ghetto reconstitué, ratiociner tout à notre guise, entre semblables, à propos de la crise de l’université, du destin des enseignants-chercheurs et de la perversité de nos dirigeants. Et puis, quand nous serons fatigués de tourner en rond, cultiver notre convivialité, chanter, danser, boire et manger, « faire la fête » - bref un grand jamboree scout en forme d’autocélébration de la « communauté universitaire » en lutte, énormément en lutte. A ce train, c’est bientôt toute politique, et spécialement toute conflictualité politique, qui sera soluble dans la culture.

On ne saurait mieux travailler à l’enterrement du mouvement qu’en le dévoyant vers cette ancienne morgue recyclée en espace culturel – l’inconscient a des voies tortueuses que le bon sens, souvent, ignore. La translation des usagers de Paris 8 vers ce lieu ne produit ni rupture ni déplacement – les mêmes âneries pédagogiques, les mêmes ténors incontinents, les mêmes petites consolations abjectes y trouveront leur vase d’expansion. Ces continuités cultivées sont le sceau du déni de la dimension politique de notre mouvement : aux Cent-Quatre comme dans nos pauvres cubes de béton de Saint-Denis, les plasticiens continueront de plastifier plutôt que plastiquer, les cinéastes de vidéoter passionnément, les danseuses d’enseigner la bourrée, les théâtreux de théâtrer et les philosophes de distiller leur tisane sédative. Or, la politique, lorsqu’elle a lieu, interrompt et discontinue, elle arrache dans l’instant le masque de toutes ces impostures. Elle porte les réclamations, les litiges et les conflits au cœur des espaces publics, elle est visible et bruyante.

Notre mouvement nous met aux prises avec un adversaire retors et obstiné, décidé à nous soumettre aux conditions de son entreprise générale de normalisation de la société, la norme étant la lutte de tous contre tous, la « compétitivité », l’utilité immédiate de tous les savoirs et leur soumission aux besoins de la sacro-sainte « économie ». L’enseignement et plus particulièrement l’Université ne sont pas par définition et dans leur globalité des bastions naturels de la résistance à cette entreprise, mais ils n’en demeurent pas moins largement insoumis à ce qui l’inspire. Ils demeurent des espaces où prospèrent l’indocilité et les conduites de résistance à ces « réformes », tant du côté des étudiants que des enseignants. Pour cette raison, l’affrontement actuel a valeur de test : si le pouvoir parvient à nous imposer ses conditions, comme il l’a déjà fait l’an dernier, avec la loi sur l’autonomie des universités, il aura ainsi démontré qu’aucun milieu, qu’aucune catégorie sociale, aussi rétifs et ingouvernables soient-ils supposés être, n’est désormais en mesure d’arrêter le rouleau compresseur de son dessein de mise au pas et de caporalisation. Le caractère à ce titre exemplaire de cet affrontement signifie que nous ne pouvons espérer l’emporter à coup de rassemblements autarciques et de manifestations rituelles, sans gagner la bataille de l’opinion publique, sans exposer une énergie exceptionnelle. Il s’agit de convaincre les gens, dont beaucoup estiment que nous ne sommes pas les plus à plaindre, qu’il ne s’agit pas là d’un mouvement catégoriel et corporatiste, mais bien d’une bataille politique dans laquelle est en jeu le rapport des forces entre ceux qui tentent d’imposer à tous un thatchérisme à la française et l’immense majorité qui aspire à en finir avec tout ce qui s’incarne dans le sarkozisme : atteintes aux libertés publiques, discriminations, licenciements et fausse relance néo-libérale.

Le mouvement actuellement en cours en Guadeloupe, en voie d’extension dans les DOM, montre le chemin : c’est la grève qui y tient la rue, y dicte les échéances, y impose ses conditions par sa force et sa détermination ; et c’est le pouvoir métropolitain qui s’y trouve réduit à la discrétion et à la défensive.

Fuyons la morgue, désertons les lieux de mort, inventons le mouvement, gagnons la rue !

Nous sommes tous des Guadeloupéens en colère !