Les oiseaux, désormais, s’envoleront en fumée
« Chez Rascal et Ronan, c’était comme au bal
Pourquoi vous tous qui veniez là
Vous avez changé, vous avez renié
Tout ce qui vous faisait rêver
J’disais encore à Pierrot Sapu
Ce qu’a été n’est plus, ça pue »
Pigalle, « Chez Rascal et Roman »
1- Si Menton se trouvait en Floride, Trump y aurait engrangé 78,64% des voix, lors des récentes élections présidentielles états-uniennes.
2- Fake news : le bruit avait longtemps couru que, pour des raisons de sécurité incontestables, impérieuses, les compagnies aériennes du monde entier avaient fait installer des caméras dans les cuvettes des WC des avions longs courriers effectuant des vols transcontinentaux – des caméras étanches et perfectionnées, équipées pour la reconnaissance fessiale.
3- N. avait interminablement insisté auprès de ses amis (il était, depuis belle lurette brouillé avec toute sa famille) pour que l’on gravât cette épitaphe sur sa pierre tombale : « Né dans l’opprobre, mort dans la honte ».
4- Quand le film de Mouret ou de Corsini est vraiment trop accablant, il vous reste toujours la ressource de tenter de pisser dans le sac à main de la vieille dame assise à côté de vous, sans attirer son attention. Là, au moins, il y a du suspense et l’art est en question.
5- Il n’y a plus de conversation – seulement du bavardage, ad libitum. Le bavardage est compatible avec le smartphone, la tablette, l’ordi : on quitte l’écran des yeux un instant, on se joint au flux du bavardage, on replonge. La conversation exige présence, concentration, persévérance – et, autant que faire se peut, du talent. Le bavardage est à la portée de tous (toutes), un bruit qu’on fait avec sa bouche et qui s’enfle en rumeur. Il fait bon ménage avec l’écran, le roi de l’époque.
6- Au procès Paty, ceux qui ont fourni l’arme du crime (un couteau) vont bien en prendre pour vingt ans. Au procès de Mazan, ceux qui ont assuré la logistique du crime (le site coquin-Coco) ne sont même pas cités à comparaître. Comme dirait ma voisine : vous trouvez ça normal, vous ?
7- Du fait d’un système de conscription à laquelle peu échappent, et notamment pas les femmes, les gens d’Israël participent massivement, omnes et singulatim, à la gamme infinie des crimes dont l’Armée de leur pays se rend coupable. L’Armée d’Israël, c’est avant tout une machine de guerre contre le peuple palestinien. L’étatisme, l’étatisation des Israéliens, comme population et peuple s’avèrent ici les plus violents des poisons – pour eux-mêmes et surtout pour ceux qui pâtissent du droit de conquête que s’arroge cette machine de mort.
On n’ira pas jusqu’à dire que les Israéliens sont pour autant un peuple criminel, car il faudrait y inclure Ilan Pappé, Gideon Levy, Eyal Sivan et la short list – mais par définition ouverte plutôt que fermée – des Israéliens qui luttent à visage découvert contre cette criminalité d’Etat – ce qu’à Dieu ne plaise. Mais on n’ira pas jusqu’à dire non plus qu’il suffit, en ces circonstances, d’une poignée de Justes pour entretenir la flamme de l’Espérance et se faire gardienne de la common decency. On n’en est plus là, le désastre est bien consommé et l’abandon des Palestiniens, le silence des peuples (pour ne rien dire de leurs gouvernants), c’est bien cela le punctum du présent, comme l’abandon des Juifs lorsqu’il était minuit dans le siècle précédent. Le punctum est ici le détail qui tue, précisément parce qu’il demeure un détail au regard du plus grand nombre. Or, il n’est pas un détail, il est la quintessence, le point de condensation extrême de la catastrophe du présent. On appellera cela l’irréparable et rien ne nous sauvera, jamais, de l’irréparable – et surtout pas les Justes, malheureusement, en tant qu’il sont les témoins de l’irréparable et rien d’autre.
8- Maintenant nous n’en doutons plus : 2024 demeurera, pour les temps et les temps, l’annus horribilis des commencements du XXIème siècle – l’année Netanyahou-Trump.
9- Dans La poétique de l’espace, Gaston Bachelard fait l’éloge de Baudelaire qui n’a pas ménagé ses efforts, dit-il, pour s’éloigner des mots dictés par l’habitude (p. 174). Mais ce qui nous complique la vie, c’est que l’habitude est plus souvent qu’à son tour en collusion avec la domination, les mots de l’habitude sont aussi ceux de l’hégémonie et de l’ascendant exercé par les gouvernants sur les gouvernés, par les puissants sur le plus grand nombre. Aujourd’hui, démocratie, totalitarisme, laïcité, terrorisme, antisémitisme... sont, exemplairement de ces mots qui colportent le prêt-à-penser, le prêt-à-dire impérieux de la domination. La philosophie aimablement apolitique de Bachelard nous abandonne ici en rase campagne.
10- L’affect qui soutient un texte échappe à DeepL et à toute espèce de traduction automatique. L’ironie, notamment, se tient hors de la portée de l’intelligence artificielle. Maigre satisfaction, facile revanche sur la machine, le robot ? Mais s’agit-il bien d’une machine, d’un robot ? Pas une chose, en tout cas, au sens d’un objet. Alors quoi, un dispositif analogique ? Bon, une espèce de truc, de whachamacallit, disent les Anglais, et dont les performances sidérantes, malgré tout, dépassent notre entendement.
11- Organiser une course cycliste entre aveugles. Un petit délire post-paralympique – un jeu d’enfant, donc : on remplace les vélos de route par des vélos d’appartement, home trainers ; on substitue le temps à l’espace – la durée à la distance. Le tour (Tour ?) est joué ! Par ici les médailles en chocolat !
12- On peut simuler le plaisir, en toutes sortes de circonstances (qui ne sont pas toutes sexuelles, loin de là). En revanche, simuler le désir est intrinsèquement douteux. On ferait mieux de s’en abstenir, on s’y dégrade et l’on dégrade l’autre ou les autres.
13- Le moteur de la vindicte anti-woke, c’est l’horreur qu’inspire aux nantis du Nord global toute espèce de déplacement allant dans le sens du plus modique des rapprochements entre leur condition et celle des gens du Sud global. Il importe au maintien de l’ordre symbolique que ces conditions demeurent sans commune mesure. Une telle perspective, non pas d’égalisation, mais de simple fluidification des rapports entre l’un et l’autre monde les révulse, comme pouvait scandaliser l’aristocratie, sous l’Ancien régime, toute forme d’atteinte à ses privilèges, incarnation de leur bon droit. C’est bien, à travers les vitupérations haineuses contre le woke, une sorte d’Ancien régime (colonial, entre autres) qui se défend bec et ongles et qui le fera jusqu’au bout, sans rechigner devant aucun moyen.
14- On a tort de parler, comme on le fait couramment, de bêtise (ou de connerie) pure. La bêtise pure, ça n’existe pas. Il y entre toujours une part variable de méchanceté, de désir de mort, de bassesse. La bêtise (la connerie), en ce sens, s’apparente à l’or – elle se mélange, elle s’amalgame – il faut l’extraire.
15- On en était venu à se demander par quel fâcheux enchaînement de circonstances le gourou de la Go-gauche radicale bien astiquée des années 1990 était devenu, au fil du temps et pour l’essentiel, l’appendice philosophique du Musée, de la Bibliothèque de la Pléiade et de la Cinémathèque française.
16- Brève de comptoir glanée à la Goutte-d’Or :
– Au fait, du sais pourquoi Betzalel Smotrich a fini par renoncer à venir à Paris pour le gala organisé par ses amis suprémacistes sionistes ?
– Non...
– On dit qu’il a des ennuis de santé...
– Un cancer ?
– Du côlon ?
– Sans accent circonflexe...
17- Pourquoi, depuis Freud, l’analyste s’installe-t-il résolument dans le dos de son patient ?
Pour pouvoir lui faire des grimaces sans être vu, tandis que le malheureux égrène son traumatisme. C’est que les analystes sont, en général, beaucoup plus joueurs qu’on ne l’imagine, même les plus lacaniens d’entre eux. La preuve : leur goût pour les calembours calamiteux.
18- Regarder la mort en face : encore un abus de langage. En fait, la mort (la nôtre) ne se voit ni de face, ni de profil, ni de dos. On a beau regarder, on ne la voit pas. On sait qu’elle rôde, qu’elle nous entoure, mais elle se cache, indétectable. Inutile de tenter de lui tendre une embuscade – c’est toujours elle qui vous tombera dessus au moment où vous l’attendiez le moins. Se découvre ici cette excellente définition de la mort – la fatale embuscade.
19- Le jour où Le Monde et Mediapart se décideront enfin à appeler un chat un chat et Trump-Netanyahou des fascistes (ce que, pour notre part, nous faisons depuis une décennie environ), le jour où ils renonceront à leurs circonvolutions bêtasses autant qu’euphémistiques (extrême droite, populisme – suprémacisme à la rigueur extrême), il sera trop tard. Mais pour nous, plutôt que pour eux, malheureusement. C’est là qu’on voit que les concepts, quand on en fait bon usage, en situation, sont constamment dangereux. Plus ils sont tranchants, plus ils sont efficaces – mais dangereux. Ce en quoi la philosophie s’apparente à la boucherie, tout simplement.
20- Une chose dont on peut toujours attendre le pire : le vertige du succès. Mais quand celui-ci rencontre une puissance fasciste, c’est une promesse d’apocalypse. La raison pour laquelle nous avons aujourd’hui tout à redouter de la seconde présidence Trump.
21- Réagissant à son inculpation par la Cour pénale internationale, Benjamin Netanyahou s’identifie aussitôt au capitaine Dreyfus. Ce qui irait dans le sens de ce rapprochement, c’est que Dreyfus a bien été déporté sur l’île du Diable (au large de la Guyane) tandis que Netanyahou ira, lui, pourrir en enfer (rot in hell). Ce qui l’infirme, c’est que Dreyfus, innocent, est revenu de son enfer tropical tandis que l’autre, mille fois coupable, y connaîtra les affres de la perpétuité éternelle et incompressible.
Valentin Horny