Lettre ouverte à Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture


Madame la Ministre,

Nous vous adressons cette lettre dans le contexte difficile de la campagne de désinformation qui a été sciemment conduite dans notre pays comme à l’étranger contre le Président Emmanuel Macron, sans oublier l’agitation anti-française qui s’est développée dans un certain nombre de pays musulmans – suite aux attentats qui ont endeuillé notre pays. Ces actions, destinées à dénigrer le modèle français de la laïcité et son indéfectible attachement à la liberté d’expression (héritage direct de la tradition des Lumières françaises et des valeurs fondatrices de la République), n’ont pas manqué de porter atteinte au renom de notre pays à l’étranger, dans le monde musulman et au-delà.

Signataires de cette lettre, nous souhaiterions porter une initiative forte dont nous espérons qu’elle contribuera à rappeler au monde entier que la France est et demeure, plus que jamais, la patrie des Droits de l’Homme.

Il ne vous aura pas échappé, Madame la Ministre, que l’un des arguments assénés par les auteurs du dénigrement systématique dont a été victime ce symbole de la libre pensée française qu’est Charlie Hebdo, aura été que ce journal satirique afficherait un parti-pris à l’endroit des musulmans dont il aurait fait, si l’on ose dire, sa tête de Turc et qu’il prendrait un malin plaisir à dénigrer, humilier, ridiculiser. Certaines caricatures ont, à l’occasion, pu en effet entretenir quelques regrettables malentendus à ce propos. Ces éventuelles maladresses ayant entraîné les actes de barbarie que l’on sait, il était dès lors exclu que les membres de la rédaction de cet organe dont la liberté de ton honore la presse de notre pays, se déjugent et cèdent à l’intimidation. C’est ce qui, de manière bien compréhensible, les a conduits à persévérer dans l’exercice de leur verve et leur talent au détriment de l’obscurantisme et de l’intolérance et a débouché, tout récemment, sur de nouveaux drames.

Soucieux d’en finir une fois pour toutes avec l’infamant soupçon qui fait de Charlie Hebdo l’organe d’une propagande haineuse contre les musulmans, les signataires ont donc été inspirés par l’idée de réaliser à titre d’hommage un numéro buissonnier de Charlie Hebdo – celui-là même que les rédacteurs du journal, pour les raisons susmentionnées sont empêchés de confectionner eux-mêmes ; un numéro à la manière de, et dont la vocation serait de démontrer une fois pour toutes que la liberté d’expression (à l’instar de la liberté tout court) ne se partage pas et que l’esprit satirique a, à ce titre, la vocation de se déployer sans entraves et dans tous les horizons.
C’est pour réaliser ce projet autant salutaire qu’ambitieux que nous en appelons au soutien de la Ministre de la Culture, dans l’espoir qu’elle en partagera l’esprit et l’ambition.
Il s’agirait donc de réaliser un supplément à Charlie Hebdo, mais entièrement fidèle à l’esprit critique, rebelle et libertaire qui l’a toujours animé ; qui serait à ce titre un vibrant manifeste en faveur de la liberté d’expression telle qu’elle ne se négocie pas. Qui donc, à cette fin, déploierait l’humour ravageur du journal d’une manière si impartiale et variée que se trouverait définitivement révoqué le doute qui a si longtemps entaché la réputation de cet hebdomadaire satirique, relatif, donc, à son prétendu préjugé contre l’Islam et ses fidèles.

Il s’agirait donc en bref de construire ce complément en forme d’aubade à Charlie Hebdo autour de motifs destinés à mettre en valeur la maxime qui nous inspire lorsque nous nous rassemblons autour de ce journal : plus le sujet est litigieux, plus méritant l’exercice de la liberté d’expression et de parole à son propos. Ainsi, en ne reculant pas devant un traitement résolument satirique (dont la caricature est devenue, grâce à Charlie Hebdo, le moyen privilégié) des sujets les plus sulfureux tels que les violences faites aux femmes incluant le viol et les féminicides, l’homophobie et les préjugés contre les minorités sexuelles, les camps de concentration et d’extermination nazis, les persécutions raciales et notamment antisémites – ce supplément dans lequel les meilleurs dessinateurs et caricaturistes de notre pays seraient conviés à exercer leurs talents en apporterait la preuve définitive : dans notre pays, on ne transige pas avec la liberté d’expression, le droit de railler ne connaît pas de limite, l’humour ignore les distinguos scolastiques entre sujets autorisés et motifs proscrits.

Vous n’êtes pas sans savoir, Madame la Ministre, que les moqueries contre les femmes, la mise en scène de la femme battue comme un objet de dérision et le viol comme éternel sujet de plaisanterie ont, jusqu’à une période toute récente, fait partie intégrante du fonds de l’humour populaire dans notre pays. Renouer le fil de cette tradition et, ce faisant, produire une manifestation éclatante en faveur de la liberté de parole, ce serait là, assurément, faire œuvre utile. De même, divertir le public tout en l’édifiant, en faisant renaître la figure grotesque de l’inverti efféminé, de la folle (de son corps), pittoresque personnage qui a si longtemps nourri l’imagination de nos parents et grands-parents – ne serait-ce pas là rendre justice à une tradition qui a donné le meilleur d’elle-même dans le registre, précisément, de la blague et du dessin satirique ? Il fut un temps, enfin, où Harakiri Hebdo, l’ancêtre pas si lointain de Charlie Hebdo, donnait le meilleur de lui-même dans les dessins humoristiques et les facéties prenant les camps de concentration (et tout ce qui va avec) pour objet, motif si propice à exciter alors la verve des humoristes de meilleure réputation. Placé au service de l’exaltation de la liberté de parole et d’expression, du droit inaliénable à la caricature, le réveil de cette tradition ne saurait être que salutaire.

Tout particulièrement, et dans la mesure même où Charlie Hebdo fait constamment l’objet d’attaques injustes et biaisées concernant sa supposée animosité contre une religion en particulier, et la communauté qui s’y rattache, la publication de quelques bonnes caricatures antisémites s’inscrivant dans la grande tradition des années 1930 et 40 suffiraient à faire litière de cette dérisoire incrimination et contribuerait utilement à clarifier le débat. La liberté d’expression ne saurait faire l’objet d’arguties ou de réserves mentales. Elle est, comme l’a récemment rappelé avec force notre Président, un enjeu de tout ou rien. Elle se prouve en s’éprouvant, en s’exposant de la manière la plus impartiale et sans limite, à propos des objets les plus variés. Surtout, comme l’ont affirmé avec constance les rédacteurs de Charlie Hebdo, elle ne recule devant rien, ni le blasphème, ni le sacrilège, ni le plus avéré des mauvais goûts. Elle ne faiblit ni ne tremble devant aucun interdit ni aucune convention et c’est ce qu’entendraient démontrer modestement ces mélanges offerts à Charlie Hebdo et ses talentueux animateurs en y faisant flèche de tout bois : en y déchaînant le rire des lecteurs par le biais de caricatures de femmes trucidées par leurs compagnons, de pédérastes s’adonnant à leur vice favori, de crevards réduits à la dernière extrémité sous les miradors, de crématoires crachant leur fumée à plein régime, sans oublier l’indispensable contingent de Juifs au nez et aux doigts crochus.

Un numéro spécial assurément destiné, au reste, à devenir un précieux objet de collection pour les générations du futur.

Nous espérons vous avoir convaincue, Madame la Ministre, que, dans les conditions éprouvantes que nous traversons, vos services s’honoreraient à rendre possible la réalisation de cette œuvre collective dont la vocation pédagogique et civique ne saurait vous échapper – notre but étant que ce numéro spécial puisse être massivement diffusé aux portes des établissements scolaires le 1er avril 2021 – en espérant que les conditions sanitaires le permettront.
Nous sommes prêts, bien sûr, dans l’hypothèse où notre projet retiendrait votre attention, à établir dans les meilleurs délais un budget prévisionnel précis. Selon une estimation approximative réalisée par l’agence de communication dont nous avons sollicité les services, le coût total (TTC) de l’opération ne devrait pas excéder les 500 000 euros.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions, Madame la Ministre, d’agréer l’expression de nos sentiments les plus respectueux.

Premiers signataires :

Régis Portalaise, facteur de bicornes
Cancel-Gretel Baburaj, twittos
Urs Freuler, vélocipédiste
Sir Doge de Brie de Meaux, chasseur de blaireaux
Fiona Banana Cluster, performeuse
Dr Tinto Bop et son orchestre, addictologues
Joachim Musette, pianiste
Iskander Ripemouille, artiste peintre
Samuel Glick, traducteur
Johannès Brohm, sexologue
Charlie Ramond, entrepreneur de pompes funèbres
Dominique Legratteur, auteure
Johnny Baklava, capitaine au long cours
Hyacinthe Belmeuf, paysagiste
Miroslav Bimbo, brasseur
Pr Andreas Flop, obstétricien
Pénélope Heurtebise, sinologue
Lion Pigster, expert psychiatre
Karolina Fuks, militante féministe
Jons-Attila Pebroc, restaurateur
Sergio Lapoul-Kandir, tourneur
Héraclite Ong, éleveur
Haydée Webinar, ostéopathe
Jean-Marcel Mangebeuf, apiculteur
Holopherne Amish, prêtre
Dr Simon Cafar, physicien nucléaire
Dan Shlong, webmaster
Adam Mouyé, couvreur
Jean-Raymond Fridolin, gardien de la paix
Jean-Roger de Bitur, cinéaste
Félix Glouton, étudiant
Séraphin Mulot, sapeur-pompier
Jonathan Pisswell, diplomate
Bernhard Putrid, commissaire-priseur
Ernestine Mentale-Chouffe, veuve de guerre
Baudoin Queutard, promoteur immobilier
Mélinda Chiang, masseuse cardiaque
Cédrix K., rappeur