On est prié d’enlever ses chaussures avant d’entrer au Paradis
« On était faits, comme des rats »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
1- Salauds de Creusois - Les rescapés du génocide des nations indiennes d’Amérique du Nord ont établi un foyer, puis un puissant Etat dans ce qui était alors le département de la Creuse, région réputée peu peuplée, l’indigène creusois étant supposé indolent, mal dégrossi, présent en tant qu’absent. C’est que, selon un mythe immémorial, l’ancêtre commun à tous les peuples indiens (un ensemble assez hétéroclite, soit dit en passant) serait natif de Bourganeuf. La conquête des terres va bon train, les indigènes rétifs, quand ils ne sont pas massacrés, sont refoulés vers les départements voisins et jusqu’en Haute-Loire. Guéret est proclamée capitale éternelle du peuple indien, le monde libre ne ménage pas son appui au nouvel Etat et le soutient sans faille dans sa lutte contre le terrorisme creusois. L’arc et la plume sont les emblèmes de cette prometteuse souveraineté. Le terme « Peau-rouge » est proscrit. Qui le prononce est cloué au pilori.
2- On vous embête avec nos perpétuels ressassements sur la Palestine ? Ça devient une obsession, une idée fixe ? Après tout, il n’y a pas que les Palestiniens pour être maltraités par les temps qui courent ? Ca deviendrait presque louche ...? On pourrait faire un effort pour changer un peu de disque, non ?
Sans doute, sans doute... C’est bien pour ça qu’on vous parle des Indiens.
3- Journées « Portes ouvertes » chez Boeing. Dommage que la compagnie n’ait pas songé à équiper ses passagers de parachutes.
4- Encore un proverbe cochon (antivegan story) : rira bien qui aura le dernier pot de rillettes.
5- Si vous ne faites que jeter un coup d’œil distrait sur ces lignes, c’est que c’est gratuit. Ce qui ne coûte rien ne vaut rien, la chose est connue. Ceci par opposition au dernier roman étique d’Annie Ernaux qui mérite la plus grande attention, vu son prix.
6- Vers la fin de son existence, N. calculait qu’il n’avait réalisé que 0,5% de ce qu’il aurait eu la capacité de mener à bien, avec la tête bien faite dont il était équipé, et satisfait 0,02% de ses désirs – illimités. Ceci par la faute de ses parents et des névroses qu’ils lui avaient obligeamment léguées.
7- Les cyclistes italiens, quand ils me dépassent allègrement dans la montée vers Castellar ou Gorbio, prennent leur revanche sur le passé – les quelques hectares de montagne et les villages frontaliers que la République (tombée par le plus grand des hasards dans le camp des vainqueurs) leur a chauffés à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Les blessures de l’Histoire s’incrustent dans le subconscient (le cerveau reptilien ?) des vivants et les rendent avides de vengeances faciles.
8- Pour le poste de Premier ministre, la jeunesse est vraiment un label de qualité. Bientôt, on les recrutera à la sortie des écoles.
9- Le proverbe du jour : arrive Attal, Borne détale – mais très approximatif : une borne ne détale pas, ça reste plantée, comme une grosse merde de chien, au bord du chemin...
10- Il n’y a pas si longtemps, le développement en Chine de systèmes de reconnaissance faciale était stigmatisé dans la presse française en tant qu’indice trahissant irrécusablement le caractère totalitaire du régime chinois. On apprend aujourd’hui que des dispositifs équivalents ont été mis en place dans la plupart des grandes villes de France, ce dont ne s’émeut guère l’opinion démocratique. Nice caracole en tête – Estrosi-Xi Jinping, mêmes technologies, même combat !
11- En principe, ce qui caractérise en propre les démocraties modernes et doit être porté à leur crédit, c’est bien le fait que le quelconque y est non seulement autorisé, mais reconnu comme bien fondé à avoir une opinion et l’exprimer – ceci à propos de toutes les questions, y compris les plus complexes, concernant les affaires publiques et le bien commun notamment – le domaine de « la politique », par excellence. Mais que reste-t-il de ce trait glorieux, égalitaire et populaire de la démocratie lorsque l’exercice de cette prérogative par l’homme ou la femme ordinaire consiste, de façon toujours plus compacte, à régurgiter comme son opinion propre ce qu’il.elle vient de voir et entendre à la télé ou d’absorber sur les réseaux sociaux ? Si, désormais, le quelconque se définit en tout premier lieu comme une éponge à com’ et storytelling, que demeure-t-il de cette belle singularité de la démocratie moderne qui, dans son principe même, la distinguait de tous les régimes antérieurs ?
12- Le plus vieux métier du monde ? [1]
13- Jack Lang titularisé comme gardien de but de l’équipe de France de foot – non, je m’égare. Je recommence : Rachida Dati nommée ministre de la culture – beau comme l’antique... (DATI = Dispositif d’alerte pour travailleur isolé).
14- La préférence nationale est parfaitement compatible avec la démocratie libérale, contrairement à ce que soutiennent les bonnes âmes de chez nous : à Taïwan, démocratie exemplaire d’Asie orientale célébrée par l’Occident, elle est partout : le salaire minimum des travailleurs et travailleuses immigré.e.s légalement fixé par l’Etat est inférieur à celui des nationaux, les citoyens chinois sont soumis à toutes sortes de conditions spéciales et discriminatoires (mariage, naturalisation, études universitaires, emploi...) et j’en oublie – ce n’est que récemment qu’a été levée une disposition dont l’effet était qu’une employée de maison indonésienne ou philippine ne pouvait faire l’acquisition d’un scooter qu’avec l’autorisation expresse de ses employeurs. La préférence nationale a partout droit de cité dans les démocraties libérales – c’est juste le nom qui change, d’un pays à l’autre.
15- Je recherche sur la Toile la trace d’une jeune (alors) femme que j’aimais bien, perdue de vue depuis trente ans et plus, je tombe sur une photo qui pourrait correspondre, cela pourrait bien être elle, mais je demeure indécis. Dans l’expression, il lui manque quelque chose qui n’est pas soluble dans le vieillissement. Je cherche à mettre un nom sur ce quelque chose et je finis par trouver : son petit air mutin. Mais se pourrait-il que l’on perde son petit air mutin en avançant en âge ? Mais se poser cette question, n’est-ce pas déjà s’enfoncer dans la turpitude sexiste ? Air mutin, passe à la rigueur – mais pourquoi petit ? Simplement, en bon français, que reste-t-il d’un air mutin, s’il n’est pas petit ? Et est-ce ma faute si ce sont les filles plutôt que les garçons qui ont le bonheur d’avoir de petits airs mutins ?
16- A propos du Paradis, justement : à quoi bon avoir installé à son entrée des portiques de détection métallique et des caméras destinées à la reconnaissance faciale ? Trop de fraudeurs ou syndrome du terrorisme céleste ?
17- Mourir n’est pas si grave, ça arrive fréquemment. Ce qui l’est, c’est de mourir résolument et, donc, définitivement con. En odeur de connerie, comme on disait jadis : en odeur de sainteté.
18- Il faut apprendre l’anglais, bien sûr, mais en tant qu’il est une pathologie de la globalisation et un complément ou un condiment de la brutalité et la vulgarité de celle-ci. L’anglais n’est pas un plus, c’est une prothèse, comme ces oreillettes que portent les gens affairés d’aujourd’hui.
19- Est-on en droit de supposer que la majorité des Juifs de France (voire, plus généralement, d’Occident) approuve tacitement, en son for intérieur si ce n’est de vive voix, ce que l’Etat d’Israël et les Israéliens font subir en leur nom aux Palestiniens ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne le font-ils pas entendre, notamment lorsque ces exactions montent en puissance, au point d’atteindre la cote d’alerte du génocide ?
La question se pose avec d’autant plus d’insistance que ce qui se fait entendre, dans la bouche ou sous la plume de ceux qui ont les moyens de se faire entendre du large public et s’autorisent à parler au nom de la « communauté », ce serait plutôt un tout autre son de cloche – les litanies de l’inusable victimisme.
Ainsi, récemment et exemplairement, sous la plume d’un ténor de la rubrique cinéma du Monde, et à propos d’un documentaire télé venant à point nommé célébrer la gloire d’un grand mandarin du monde médical et « figure notable du judaïsme français », Ady Steg [2]. Sur les ruines de Gaza (23000 morts au dernières nouvelles), voici la leçon que ce faiseur d’opinion juge urgent de nous infliger :
« Aussi bien, sous le portrait d’un homme au destin exemplaire, ce que ce film évoque plus largement, c’est bel et bien la relation, sans doute moins irénique que ce que ce destin suggère, des Juifs de France à leur pays au cours du XXème siècle. Histoire connue, certes, mais que le montage de ce film, que l’on sent à fleur de peau, présente sous le jour d’une menace qui, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, ne se sera jamais complètement éteinte.
“Peuple sûr de lui et dominateur” (Charles de Gaulle sur la guerre des Six jours en juin 1967), “Français innocents” (Raymond Barre au sujet des victimes non juives de l’attentat de la rue Copernic, à Paris, le 3 octobre 1980). Amitié indéfectible entre François Mitterrand et René Bousquet, lequel avait notoirement du sang juif sur les mains en qualité de secrétaire général à la police de Vichy. “Point de détail de l’histoire” (Jean-Marie Le Pen au sujet du génocide). Cette belle guirlande nationale dit à quel point, après des siècles de massacre ininterrompu, après la Shoah même, l’antisémitisme se révèle une maladie incurable de l’humanité.
Le film ne va pas aussi loin, mais on songe en le voyant, à l’occasion des derniers événements survenus au Proche-Orient, que ce vieux prurit, répandu sur de nouvelles zones, redémange une partie de la société française et de sa classe politique. »
J’ai beau chercher à la loupe, je ne vois pas qui, dans la classe politique française et à l’occasion des événements en cours au Proche-Orient, s’est essayé à réveiller l’antisémitisme, « maladie incurable de l’humanité ». J’ai plutôt eu l’impression que c’était l’inverse – un consensus philosémite sans rivage, tant suspect que compact, et d’autant plus suspect qu’il était compact. Pas davantage que je n’ai vu passer sur la société française le tsunami antisémite allégué par le scribe. A moins, bien sûr, de considérer que toute réserve ou critique émise à propos des moyens de violence déployés par l’Etat d’Israël dans ces massacrantes circonstances entre dans ce registre...
Si tel est le cas, la « maladie incurable de l’humanité » a de beaux jours devant elle – ce pour des motifs sur lesquels il serait urgent que l’auteur de cette tirade s’interroge, plutôt que puiser dans le registre de la plus éculée des démagogies. Pour mémoire : tandis que le crieur du Monde s’active à redonner des couleurs à son théâtre d’ombres, l’Armée israélienne continue, elle, à hacher menu les enfants de Gaza, avec ardeur, constance et esprit de méthode.
On a là un exemple entre mille des diversions en forme de forfaiture morale, politique et intellectuelle qui se pratiquent aujourd’hui dans les médias français, à propos de la guerre à Gaza, en Palestine. Le souvenir de ces infamies ne s’effacera pas et il n’y aura jamais d’arrangement, de quelque espèce que ce soit, avec ceux qui y vouent leur zèle et y consacrent leur influence.
20- « Les lieux communs sont les tramways du transport intellectuel » Jose Ortega y Gasset, La révolte des masses (1926).