La rhétorique de la sincérité, c’est tout un art – les tripes sur le comptoir et toutes ces belles (et moins belles) choses qui en mettent plein la vue au public – ça s’apprend, ça se cultive, mais c’est tout un talent, tout de même. Gros mots, claquements de portes, interjections, invectives, grincements de dents, doigts tendus, bras d’honneur, tirades et cascades d’adjectifs, imprécations – c’est du boulot, tout ça – mais si ça marche, quel succès !
Le problème, c’est que la rhétorique de la sincérité, ça n’a pas de couleur, a priori – ça peut être rouge vif, rouge sang, rouge plèbe, comme ça peut puer le fascisme, comme le puent les pamphlets de Céline – un talent inégalé, dans le genre.
Virginie Despentes nous dit, pardon nous hurle, suite à la cérémonie des Césars et du geste aussitôt entré dans la légende d’Adèle Haenel (« On se lève, on se casse » - « on se barre », les deux versions sont disponibles), qu’elle est « la voix des opprimés » lorsqu’elle relaie l’action héroïque de sa camarade... Nous on veut bien, mais tout ça c’est quand même avant tout une scène, c’est dans Libé qui n’est pas précisément l’organe des proscrits et des réprouvés, et c’est à propos de la cérémonie des Césars qui n’est pas davantage le climax de la lutte des classes dans la France d’aujourd’hui, ni le rendez-vous de tous les opprimés, des proscrits, des réprouvés – l’événement plébéien de l’année...
De là à dire que tout ça, c’est du cinéma, c’est le spectacle et la société du qui va avec, incluant insulteurs et insultés – bon, on ne franchira pas le pas, mais quand même, quand la sage Claire Denis et le chroniqueur du Monde nous disent qu’il faudra bien qu’un jour, la fièvre du samedi soir retombée (pas plus tard que demain, peut-être ?), tous ces gens-là, les patriciens du moment et la plèbe qui va avec, « se reparlent » - on n’a pas trop d’inquiétudes à ce propos.
« La loi vous couvre, les tribunaux sont votre domaine, les médias vous appartiennent », lance, superbe et terrible, Virginie Despentes aux caciques de l’Académie des Césars (rythme ternaire, de la belle rhétorique, classique) – Bon, en attendant, c’est dans l’un de ces médias qui « appartiennent » (à MM. Ledoux et Drahi, pour l’essentiel, si vous voulez tout savoir) que se publie l’imprécation de la parrhésiaste du moment, alors forcément, on est un peu perdus, faudrait voir à nous expliquer...
La plèbe endimanchée, féministe ou autre, celle qui fait les pieds au mur sur les plateaux de télé et a table ouverte dans les médias de la logosphère sous contrôle - toujours dans le rôle du paria, comme Finkie, comme Caroline Fourest – on connaît ça par cœur depuis les nouveaux philosophes. La parole plébéienne, ça ne se délègue pas, et ça n’est pas répercuté par les médias du pré carré. Le régime immémorial sous lequel ça se place, c’est : « cause toujours, on s’en fout, personne n’écoute ! ». Quand Virginie Despentes, romancière, elle, se lâche : « C’est le même message venu des mêmes milieux adressé au même peuple : ’Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans le cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss ’ » - c’est l’effet inverse qui se produit : son coup de gueule s’entend partout, et le « ta gueule », c’est par antiphrase qu’il faut l’entendre – il est là, le lendemain, dans tous les postes et sur tous les écrans, dans toutes les chaumières – il fait le buzz.
C’est de la posture et de l’imposture. Despentes, déléguée de la plèbe ? Ça se saurait... Prêtresse de la défection généralisée ? – ça se verrait. Et ça se verra. La défection, c’est une stratégie, c’est une longue patience, c’est de l’endurance, c’est une politique et un point de vue sur le monde – et un chaperon de je-vous-dis-merde-on-vous-emmerde hurlé sur une plateforme médiatique est bien loin d’y suffire.

Il se pourrait tout à fait que Polanski ne soit pas un personnage très sympathique, voire qu’il soit carrément un sale type. Mais ce n’est en aucun cas le cœur de la discussion lorsqu’il s’agit de ses films, une activité qui ne consiste en rien à décerner des brevets de moralité. Reste ceci : Polanski a fait toutes sortes de films, des moyens, des médiocres – et quelques-uns qui sont inoubliables et que les générations futures découvrirons avec bonheur. Quant à la question de savoir qui lira encore dans cinquante ans Virginie Despentes, la romancière très peuple, membre de l’Académie Goncourt, et qui trousse des tribunes très enlevées écrites en pipicaca, elle reste, pour le moins, pendante. Et si c’était là le cœur du problème ?

Les luttes féministes n’ont rien à gagner à accrocher les wagons au spectacle et à la com’ - or, plus ça va, et moins on sort de cette fatale attraction.