Pandémie mondiale et Peste capitaliste : bienvenue dans le « monde d’après »
Avant-dire
Ô cher-e-s lectrices et lecteurs d’Ici et Ailleurs,
L’heure du bilan est venue ! Sache que même si j’ai perdu mon emploi pendant le confinement, je n’ai pas chômé pour autant. À coups de lectures d’articles, de livres, de croisements de données, de débats et de discussions : ce texte a vu le jour. Toutes les informations sont sourcées et datées afin que notre cher gouvernement ne puisse pas me classer dans sa rubrique « fake news ».
Ceci n’est pas un journal de confinement, mes pieds n’ont pas foulé la rosée fraîche du matin, nulle glycine odoriférante sur la façade de mon 20 m², aucune biche n’est venue brouter dans mon salon, quant à mes enfants Églantine et Clitandre, ils ne sont pas encore nés. (Je laisse la pauvreté du style journalo-bourgeois à Slimani et Darrieussecq).
Cet article est le constat d’une politique néolibérale nauséabonde, d’un capitalisme mortifère, liberticide et résilient ; d’un « monde d’après » où la lutte contre les inégalités devra s’avérer plus féroce que jamais.
Le 9 mai on comptait plus de 4 millions de personnes officiellement infectées dans 195 pays. A ce jour le virus a plongé 280 000 familles dans le deuil.
Les conséquences économiques et sanitaires qui ont suivi ont été immédiates et dévastatrices. Le Coronavirus a confirmé ce que nous savions déjà : le pouvoir est dans une logique de guerre contre les peuples. Perte d’emploi pour certains, faillites pour d’autres, des baisses de revenus drastiques pour les petits artisans privés des aides d’État. Des populations délaissées, dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Des pénuries de masques et de gel hydroalcoolique, avec une interdiction pour les pharmaciens de répondre à la demande sous peine de sanctions pénales. Ces masques devenus l’objet d’une spéculation éhontée, d’une pénurie artificiellement organisée par l’État en vue de la création d’un monopole. Une saturation des hôpitaux due à 30 ans de politiques néolibérales visant à démanteler le service public.
Et au milieu de ce bourbier, nous nous sommes mis à espérer. Nous nous sommes organisés, conscients qu’il n’y avait rien à attendre de nos « maitres ». Conscients qu’il nous faudrait palier les déficiences, la malveillance et la malhonnêteté de ceux qui sont censés être en charge du bien public. Aide alimentaire grâce à l’initiative de particuliers et d’associations locales, dons de vêtements aux plus démunis, distributions de masques gratuits – réprimées par la police. Le Krach boursier et le confinement ont fait entrevoir à certains la possibilité d’un nouveau monde. Un monde où l’air était devenu plus respirable, un monde où la nature reprenait ses droits, un monde sans consommation futile (hors papier toilette visiblement). À l’heure où nous mesurons concrètement les effets destructeurs du système capitaliste sur les écosystèmes, la santé et la justice sociale ; où une pandémie peut faire se crasher toutes les bourses du monde ; à l’heure où nous constatons que la mondialisation, le libre-échange et les délocalisations peuvent créer des pénuries, les politiques ne l’entendent pas de cette oreille et au détriment de nos droits, de nos libertés et de notre santé ils sauveront le succube capitaliste.
Toi, Capitalisme, oiseau de malheur, tu renaîtras de tes cendres…
Canards respectant la distanciation sociale dans la file d’attente de la boulangerie - Photo Cédric Cagnat
On a vu des dauphins nager dans le port de Cagliari, des poissons réinvestir les canaux de Venise dans une eau redevenue limpide, des canards se baigner dans les fontaines et déambuler sur les trottoirs, des cerfs s’inviter dans les jardins, une vache se balader dans une rue. On a entendu les oiseaux chanter dans le ciel de Paris. Quand les humains se cassent, les animaux se prélassent. Et puis un Macdo réouvre et voilà que nous devons ravaler les trémolos de notre bonne conscience écologique. L’égoïsme, l’hédonisme, et les réflexes pavloviens du consumérisme zombi reviennent au galop.
Les scientifiques n’ont pas cessé de lancer des alertes ces dernières décennies, de demander aux Etats de légiférer pour stopper le réchauffement climatique ; ils ont dénoncé les effets néfastes de la croissance à tout prix et de la mondialisation. Au travers de cette crise sanitaire, nous avons vu que les Etats pouvaient prendre des mesures drastiques pour stopper la propagation d’une épidémie. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait avant concernant la pollution de l’air responsable de 8 millions de morts par an dans le monde ? Parce que tout simplement ce virus ignore la guerre des classes et ne fait pas le tri entre les prolos et les privilégiés. Quand les 1% sont touchés, que les effets de la pandémie sont immédiatement perceptibles – a contrario de la crise écologique dont, eux, ne meurent pas – là ils savent veiller à leurs intérêts et prendre les décisions qui les protègent.
Les émissions de dioxyde d’azote ont diminué de 10 à 30% dans la région de Wuhan, selon la NASA, entre le 1er janvier et le 25 février 2020. En Chine « la surmortalité liée à la pollution atmosphérique est estimée à un ou deux millions de personnes chaque année », partant du postulat que « la pollution a diminué de 20 à 30 % pendant la crise », on peut s’attendre à une baisse significative du nombre de victimes. (Données recueillies dans un entretien avec le chercheur François Gemenne, membre du Giec, Le Point, le 19/03).
« Le trafic aérien est responsable de 8% des émissions d’oxyde d’azote, les répercussions sur la qualité de l’air devraient être significatives puisque Air France anticipe une baisse d’activité qui atteindra progressivement 90% […] Il y a fort à parier que la chute du trafic automobile aura un impact direct sur la qualité de l’air. Rappelons qu’en France, il contribue à 56% des émissions d’oxyde d’azote, 23% des rejets des polluants PM10 et 27% pour le PM 2.5, deux microparticules nocives pour la santé » déclare un ingénieur d’Airparif dans Les Echos, le 18 mars.
Bonne nouvelle pour le climat, me direz-vous, mais le plus triste dans tout cela, c’est qu’il aura fallu une pandémie, des milliers de victimes et un confinement mondial pour nous prouver notre nocivité et l’absurdité du système capitaliste. Cela aurait pu être l’occasion pour nous de réfléchir au « monde d’après » : revoir nos manières de consommer, de nous déplacer, de voyager, de nous entraider ; mettre de côté l’hédonisme et l’égoïsme. QUE NENNI. Le capitalisme et sa putain de résilience…
Les effets positifs du confinement et du Krach boursier [1] ne seront que de courte durée. Car comme nous avions pu le constater après la crise de 2008-2009, qui elle aussi avait généré une baisse significative de la pollution, il y eut, les années suivantes un effet rebond. Le chercheur François Gemenne dans son interview donnée au Point : « Il est fort possible que des mesures en faveur de l’environnement soient remises à plus tard ou tout simplement abandonnées. À l’issue de cette crise, comment voulez-vous par exemple reparler de la taxation du kérosène alors que les compagnies aériennes auront beaucoup souffert ? Ce sera totalement inaudible. »
Et c’est bien cela le problème : toi, cher Capitalisme, tu es sourd. Sourd à la crise écologique, à la destruction du vivant. Tu ne tends l’oreille que lorsque sont prononcés les mots « croissance », « profits » et « dividendes ».
Dans un premier temps, l’État français a voulu te sauver : un haut responsable du pouvoir déclare dans le Parisien : « Il ne faut pas se leurrer, la priorité du départ n’était pas 100 % sanitaire, mais économique. Il fallait tout faire pour rassurer les milieux économiques et financiers. » Le mea culpa pathétique de « Buzyn la geignarde » dans le Monde (édition du 17 mars 2020, « Les regrets d’Agnès Buzyn : « On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » ») vient appuyer la théorie selon laquelle il fallait impérativement sauver l’économie au détriment de la santé des citoyens.
Tes sbires sont toujours prêts à ralentir ta chute.
D’ailleurs ils sont tous décidés à te lancer des bouées de sauvetage. Pourtant je prenais plaisir à te regarder te noyer. À chaque milliard qu’ils te réinjectent c’est la biodiversité et le vivant qui sombrent dans les abysses. « La Fed va injecter 1500 milliards de dollars de plus cette semaine sur le marché monétaire. Cette décision permet à Wall Street de nettement réduire les pertes d’une séance noire. » Tes serviteurs ne sont pas foutus de mettre autant de pognon pour les 815 millions de personnes qui crèvent de faim dans le monde, pour sauver les 30 178 espèces classées menacées, ou encore 12 millions d’hectares de forêts tropicales détruits chaque année. Beh oui ! Tu leur as fait comprendre que cela ne te rapportait rien, pire… cela nuit gravement à ta santé.
Et tu vas voir, charogne Capitaliste, il y a mieux : l’Etat français prépare déjà ta résurrection à coups de cagnotte, de clap clap et de lois liberticides et antisociales.
La bourse ou la vie
De l’argent magique, du pognon, du flouze, de la maille, des pépettes pour les 1% et, pour nous, les gueux : une putain de cagnotte.
Dessin Christian Creseveur
http://creseveur.hautetfort.com/
Darmanin est soit un humoriste soit un lamentable cynique. Le 31 mars, il nous annonçait le lancement d’une cagnotte « pour permettre à tous ceux qui le peuvent, particuliers ou entreprises, d’apporter leur contribution à l’effort de solidarité de la nation envers les plus touchés. » (sic). Sacré Gégé, un jour avant le 1er avril, j’ai cru à une mauvaise blague. Mais à l’heure du bilan, il est temps d’admettre que l’argent magique existe – mais uniquement pour satisfaire les 1% – et que ce sont les différentes politiques économiques et fiscales qui ont conduit à l’appauvrissement du service public.
Le coût des baisses d’impôt se chiffre à 100 milliards d’euros entre 2000 et 2010, sans inclure les exonérations de cotisations sociales autour de 30 milliards. « Selon un document annexé au projet de loi de finances 2018, repéré par le magazine Capital, les 457 niches fiscales vont coûter à l’État près de 100 milliards d’euros (99,8 milliards d’euros précisément) ». (Source : Les Echos, octobre 2017). Les 0,1% disent merci à notre Robin des bourges national, grâce à ses réformes sur la fiscalité. Au total, ce sont 1,27 milliards d’euros que 5.034 bienheureux ont capté sur l’enveloppe de 4,5 milliards pour les 1% des ménages les plus riches (qui correspondent, eux, approximativement, à 550.000 personnes). (Source Bastamag, décembre 2018).
La suppression de l’ISF représente un manque à gagner de près de 3 milliards d’euros par an pour les finances publiques, (source Le Monde, décembre 2018).
Gattaz et son pin’s
Le CICE et le pacte de responsabilité ont offert 40 milliards d’euros de baisse de charges aux entreprises. En échange ces entreprises devaient investir et créer un million d’emplois (sans aucune obligation légale). On se souvient avec émotion du merveilleux pin’s arboré par Pierre Gattaz affichant cette belle promesse « 1 million d’emplois ». Et devinez quoi ! Les entreprises n’ont ni investi, ni créé de l’emploi. Thomas Porcher, dans son livre Traité d’Economie hérétique, nous rapporte les résultats d’une étude menée par France stratégie, organisme de réflexion rattaché au premier ministre, qui a fait des évaluations des deux premières années du CICE : « aucune des études n’arrive à mettre en évidence des répercussions non négligeables sur l’emploi. Philippe Ashkenazy, économiste et membres du comité de suivi de CICE, estime que les emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013 2014 sont de l’ordre de 50 000 à 100 000… ».
Quant au « prélèvement forfaitaire unique » aussi appelé « flat tax », il ferait gagner des dizaines de milliers d’euros aux plus aisés. Les hauts revenus financiers (intérêts d’obligation, dividendes ou plus-values des cessions d’actifs financiers) sont désormais imposés à un taux forfaitaire de 30%, alors qu’ils pouvaient l’être à un niveau atteignant près de 60 % auparavant. Ce cadeau fiscal est évalué à lui seul à deux milliards d’euros par an. (Source : inégalité.fr, septembre 2018).
Pour conclure : merci Gérald, mais étant donné que votre clan de bourgeois-libéraux ne partage pas les mêmes intérêts que le peuple et votre propension à distribuer le pognon aux plus riches, on va se débrouiller entre nous, les 99%, pour tout ce qui relève de la solidarité. Et malgré le vacarme d’applaudissements vides de sens et d’impact : nous sommes déjà en train d’organiser la riposte…
Quand les applaudissements couvrent le bruit du choc
C’est très beau de vous entendre toutes et tous applaudir à 20h chaque soir. Mais voilà c’est bien le problème : c’est juste beau. Et le beau ne sauvera pas le service public. Le beau ne résoudra pas la crise sanitaire. Le beau ne destituera pas les incompétents au pouvoir. Voilà pourquoi à mesure que les jours passaient, j’ai applaudi moins longtemps, moins fort et aujourd’hui : je n’applaudis plus. Applaudir c’est me résigner à accepter la situation telle qu’elle est, à accepter le sacrifice du personnel soignant. Et je ne peux m’y résoudre. Dans la 7ième puissance économique mondiale, dans le 2ième pays payant le plus d’impôts au monde, nos hôpitaux publics ne devraient manquer ni de moyens, ni de personnel, et aucun médecin ne devrait mourir du seul fait de l’incurie de l’État.
Jugez-moi, fustigez-moi mais pour soutenir le personnel soignant, il ne sert à rien de taper dans ses mains. La majorité des gens qui sont à leur fenêtre, nous ne les avons pas entendus pendant la grève des hôpitaux, nous ne les avons pas vu à nos côtés en manifestation pendant un an, lorsque nous scandions des slogans pour sauver les services publics, lorsque nous devions faire face aux gaz lacrymogènes, aux coups, aux insultes d’une police au service de l’autoritarisme. Ces applaudissements dépolitisent le combat que nous menons. Car oui, c’est bien de Politique qu’il s’agit ici. Ce sont les politiques qui ont supprimé des lits dans les hôpitaux, des postes, restreignent les budgets. Ce sont les politiques qui n’ont pas anticipé, ou voulu anticiper la crise sanitaire dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Ce sont les politiques qui ont décidé de nous sacrifier au profit de la productivité, de l’économie, des dividendes : il est bien plus important de rassurer la finance que de sauver des vies. C’est encore une fois les politiques qui profitent de nos peurs, de notre faiblesse, de notre incapacité à agir pour faire passer les lois les plus liberticides et antisociales de ces 70 dernières années.
Dessin : Allan Barte
https://fr.tipeee.com/allan-barte
Mars. Le 12. Emmanuel Macron, emporté dans ce qui semblait être une prise de conscience providentielle, prononçait cette phrase : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » et le ministre de l’économie renchérissait : « Il est important de réfléchir à une meilleure organisation des chaînes de valeur et à une relocalisation d’un certain nombre d’activités. »
C’était bien, c’était beau. Maintenant prenez le code du travail ainsi que la Constitution et flagellez-vous avec… Car voilà ce que l’on apprenait dans Marianne lors de ce merveilleux jour 4 de confinement :
En plus de vivre dans l’incertitude, l’angoisse, l’inconnu, nous devons maintenant nous inquiéter de l’après. Ils ont fait du coronavirus une arme de destruction humaine, sociale, et politique.
> Possibilité d’augmenter la durée du travail à 60h
> Possibilité de réduire le repos compensateur à 9h
> Possibilité de travailler le dimanche
> Possibilité de travailler 7 jours sur 7.
Et dans la grande tradition de la Novlangue macronienne, ils ont appelé cela : la solidarité. Ils ont réussi à détourner ce mot qui auparavant nous appartenait : « Sentiment d’un devoir moral envers les autres membres d’un groupe, fondé sur l’identité de situation, d’intérêts : Agir par solidarité ». Ce sentiment de devoir moral nous ne le devons ni à eux, ni à ceux de leur caste, leur situation n’est pas la nôtre, nous ne défendons pas leurs intérêts.
Avril. Je regarde les nouvelles défiler sur mon fil d’actualités Facebook, je clique sur un article de Boursorama : en pleine crise sanitaire « les entreprises européennes commencent à distribuer à leurs actionnaires les quelques 359 milliards d’euros de dividendes, correspondant aux gains 2019 ». 10 minutes après je lis le témoignage d’une infirmière sur le manque de gel hydro-alcoolique, et de masques – alors que l’on a vu le président porter un masque FFP2 malgré les déclarations de sa porte-parole 2h auparavant qui nous assurait que cela ne servait à rien si l’on n’était pas malade. J’enchaine mes lectures et je tombe sur un article du Huffpost où les hôpitaux privés demandent à être réquisitionnés (pourquoi n’est-ce pas déjà fait ?). Je constate à quel point il est facile et rapide pour nos dirigeants de légiférer pour sauver l’économie et lent et fastidieux de prendre des décisions pour préserver notre santé.
Mai. Nous voici à l’heure du déconfinement :
Travaille dans un espace clos avec tes collègues mais tu n’es pas autorisé à voir ta famille si elle vit à plus de 100 km.
Ne va pas sur une plage mais tu peux prendre les transports en commun, entassé avec des inconnus pour te rendre au travail.
Si tu es en zone rouge tu n’as pas le droit de te balader dans un parc mais tu peux foutre tes gosses à l’école ou à la crèche.
Il est possible de se déplacer d’une zone rouge à une zone verte qui est à moins de 100 km, donc on peut se demander d’où vient cette limite de kilométrage si elle ne concerne pas le risque de propagation du virus en zone verte. Foucault disait que le geste souverain est toujours caractérisé par une dimension d’arbitraire : les 100 km ne seraient là qu’une règle, une loi, une limitation permettant au pouvoir d’assoir son autorité sans aucune logique sanitaire.
Mais quels objectifs poursuit donc l’État en mettant en place des mesures incohérentes, contradictoires et illogiques ? Il s’agit avant tout d’occasionner une perte de repères en limitant nos déplacements dans l’espace, en éloignant nos repères affectifs (perte des liens familiaux et sociaux), en nous réduisant à l’état de matière employable (bons petits soldats qui se rendent au boulot).
Stratégie de la peur : la répression et le silence
Tous les jours, que cela soit à la télé, dans les journaux, sur les réseaux sociaux nous avons droit au décompte des morts. Un décompte que nous n’avons ni pour les morts de la grippe, ni pour les victimes d’accidents de la route, ni pour les victimes de la pollution, de la faim, de la pauvreté, du chômage. De plus c’est un chiffre non contextualisé, c’est un chiffre qui est destiné à nous paralyser. Cette information incomplète écrase toutes les autres, elle est la peur qui domine et qui fait naître en nous un sentiment d’angoisse, de vulnérabilité ; cela est destiné à rendre la population plus malléable, plus servile, plus apte à accepter ces fameuses mesures à la fois liberticides et illogiques.
À l’heure où en Espagne, les policiers aident les agents des transports à distribuer des masques gratuitement dans le métro, en France, c’est la politique de la répression qui domine : nous ne comptons plus les amendes distribuées depuis le début du confinement ; d’une pénurie de masques nous sommes passés à son port obligatoire avec menace de contravention si nous n’en possédons pas – et bien sûr, ici, il n’y a pas de limitation sur le prix des dits-masques.
Cette crise sanitaire est encore et toujours une guerre de classes. Politiques, footballeurs, dominants, ont accès au test même avec des symptômes bénins et nous, la populace, personnel soignant inclus, nous devons rester dans l’incertitude. Il ne nous reste que le confinement et gare à vous si la police juge votre Ausweis non conforme ! Au mieux vous écoperez d’une amende et au pire, si vous vivez dans un quartier populaire, vous écoperez de quelques coups. Car oui, cette milice déjà violente par le passé, continue de sévir en temps de crise sanitaire. Tous les jours, les témoignages et les vidéos se multiplient sur les violences de la police et leurs actes racistes en banlieue : une jeune femme de 19 ans, Ramatoulaye B., agressée par quatre policiers, s’est vue prescrire 5 jours d’ITT ; un jeune homme, gravement blessé à la jambe par la portière d’une voiture de police ouverte délibérément par ses occupants ; des gazages à bout-portant et des contrôles par dizaines qui se terminent en plaquage ventral ou sous les coups des matraques. (Source : https://bit.ly/3crw4ag)
Dans un article du Point, le journaliste Christophe Ono-dit-Biot, nous relate une intervention policière dans le 18ième arrondissement. Tous les vendredis soir, après les applaudissements, une jeune femme du quartier avait pris l’initiative de diffuser de la musique pour ses voisins. Tout le monde, enfants, parents et moins jeunes se mettait au balcon, dansait, chantait à tue-tête, une sorte d’exutoire dans cette crise sanitaire. Quelle ne fut pas sa surprise et celle du voisinage de voir débarquer chez elle quatre policiers pour lui demander de couper la musique et proférer des menaces contre le voisinage qui s’offusquait.
La stratégie de la peur n’a donc aucune limite, ni physique ni psychique. Et si vous n’êtes pas saisi par la peur, alors vous serez jugés coupables.
Stratégie de la culpabilisation : Le petit joujou étatique et médiatique
Depuis plusieurs jours j’observe vos statuts, vos commentaires. Et la plupart d’entre vous sont tombés dans le piège tendu par les media mainstream. Tout a commencé au début du confinement quand le parisien avait sorti deux articles à quelques jours d’écart : l’un accusant et stigmatisant les habitants des banlieues qui sortaient de chez eux et l’autre mettant en avant Lucy, parisienne, qui voulait profiter du soleil printanier. Une différence de traitement médiatique révoltante mettant en exergue cette lutte des classes. Et patatras, nous sommes tous tombés dans le piège prémédité de la division. Et c’est maintenant une guerre de l’image : tous les intolérants s’en donnent à cœur joie en diffusant des photos des banlieues, et tous les habitants des banlieues fustigent le bobo parisien qui se promène. MAIS il me semble que nous oublions quelques paramètres :
1) c’est l’Etat qui a refusé le confinement total et qui autorise 1h d’activité sportive, de marche, ou d’aller faire ses courses. De plus dans la plupart des vidéos et photos, je remarque que les distances de sécurité sont respectées.
2) c’est l’Etat qui dans un premier temps a minimisé le virus, sa contagion et qui, au profit de l’économie, a retardé la mise en place du confinement
3) sur toutes vos photos, vidéos indignées de voir des gens dans les transports, ou dans la rue, n’oubliez pas qu’une partie travaille : secteur tertiaire, personnel soignant, livreurs, employés de banques, informaticiens etc… 7 millions de citoyens se déplacent encore sur leur lieu de travail (source France soir, le 8/04/2020)
4) Nous ne sommes pas tous égaux quant à nos conditions de confinement : je rappelle que 4 millions de personnes sont mal-logées en France. Doivent-elles rester cloîtrées dans des appartements exigus et insalubres ?
Donc lorsque vous diffusez ces photos, vidéos, les personnes qui y figurent ne sont peut-être pas sorties tous les jours, peut-être se déplacent-t-elles pour raisons médicales, pour aller sur leur lieu de travail, pour remplir le frigo, parce que leurs conditions de logement sont précaires, ou tout simplement parce que cette heure de sortie est autorisée par l’État.
Cette culpabilisation nous a amenés à voir l’autre comme un danger, comme un ennemi, comme un potentiel meurtrier, alors que pour aucune autre pandémie, aucun autre virus nous n’avions été culpabilisés de la sorte. Cette culpabilisation systématique n’est là que pour remplir les missions suivantes : faire oublier l’incurie de l’État dans la gestion de cette crise, faire oublier la responsabilité de nos dirigeants quant au nombre de morts, victimes du démantèlement hospitalier ; et bien sûr, cerise sur le cupcake : nous diviser – tant que nous sommes occupés à nous taper sur la gueule nous ne nous occupons pas de botter le cul des réels responsables.
Alors est-ce que vous l’avez vue venir ?
Oui, ELLE. Il n’y a pas d’errance ni d’incompétence dans la manière dont l’État gère cette crise sanitaire. Tout est méthodiquement pensé selon le modèle de la stratégie du choc. Le néolibéralisme se nourrit des crises. Lorsque nous sommes sous le choc, que cela soit une guerre, une pandémie, un acte terroriste, nous subissons une perte de repères. L’État profite de cette impuissance momentanée des populations pour imposer des dispositifs et des processus dans lesquels le système capitaliste puisera sa résilience. Voilà pourquoi une majorité va accepter l’anéantissement de nos acquis sociaux des 70 dernières années et le démantèlement du code du travail. Voilà pourquoi une majorité va accepter d’être éloignée de sa famille, de ses proches. L’isolement et la distanciation poursuivent un objectif d’individualisation. L’individualisation dit forcément : dépolitisation, puisqu’il n’y a de politique que dans la constitution de collectifs. En clair si nous sommes isolés et seuls nous ne pouvons plus agir contre un État tout-puissant.
Il va nous falloir préparer l’après. L’après où pour certains d’entre nous, il sera difficile de retrouver un emploi, difficile de payer les factures, difficile de trouver un logement. Ce n’est pas le virus qui plonge certains d’entre nous dans la précarité. Ce sont des décisions politiques. C’est la soumission de nos gouvernants au grand patronat. C’est la loi du marché. C’est la violence du capitalisme.
Alors ? Pandémie mondiale ou Peste Capitaliste, de quoi crèverons-nous ? Nous crèverons d’avoir confié nos vies à des dirigeants politiques avides de pouvoir et d’argent. Nous crèverons d’avoir écouté leurs mensonges. Nous crèverons de notre passivité. Nous crèverons d’avoir servi leurs intérêts.
Je vous souhaite la bienvenue dans ce fameux « monde d’après » dont on nous parle tant. Celui de la peur, de la culpabilisation, de l’individualisation, celui où nous ne sommes plus qu’une matière employable et corvéable. Ce monde d’après où le néolibéralisme est Roi et la répression est Reine.
Virus ou pas : nous sommes les esclaves d’un capitalisme vorace qui puise sa résilience dans notre résignation à le servir et LEUR obstination à vouloir le sauver. Nos politiques sont au service du profit, ils sont au service des 0,1 %, ils sont au service du capitalisme.
Ils sont au service de la mort… Mais le pire n’est certain que lorsque nous ne faisons rien pour l’empêcher d’advenir.
Ne jamais oublier : Nous, les peuples, sommes les puissances de la vie.
Illustration : Cécile Vidal - https://www.facebook.com/cc.vdl52