Penser en milieu hostile

, par Alain Brossat


Du, lass Dich nicht verhärten
In dieser harten Zeit
 [1]
Wolf Biermann

L’une des manifestations les plus éclatantes de l’épidémie de nihilisme qui fait actuellement rage parmi les élites narratives (le mercenariat du storytelling) du Nord global est l’acharnement avec lequel celles-ci s’activent à effacer les traces et brouiller les pistes des enseignements qui se tirent de l’épidémie du Covid 19, à l’échelle de la planète. Les manifestations récemment suscitées en Chine par les rigidités de la doctrine « Zéro Covid » adoptée par les autorités ont été, pour ces paladins, l’occasion de parachever un coup de force narratif dont le dessein est patent : faire valoir comme récit moyen, légitimé, fondé sur l’évidence même, une narration ouvertement révisionniste, indifférente aux faits, placée sous le régime de la post-vérité, de la longue séquence de cette pandémie – séquence toujours inachevée mais dont se sont déjà, pourtant, inscrits dans le marbre sur lequel se grave la chronique des faits massifs quelques enseignements élémentaires [2].

C’est un pli qui se retrouve à l’identique dans les commentaires accompagnant les manifestations qui ont éclaté spontanément en différentes villes de Chine, dans tous les azimuts du monde occidental et assimilé, où prévalent les règles du discours de la total-démocratie : la célébration attendue du « réveil » de la jeunesse chinoise supposément accablée par la tyrannie du nouvel empereur Xi ; la jubilation manifeste qui, de Paris à Taipei, a accueilli ces rassemblements et ces protestations, comme s’ils annonçaient infailliblement la chute imminente du régime « totalitaire » en Chine, a surtout pour fonction directe de rendre définitivement indéchiffrable l’épisode de la pandémie, de placer le souvenir de sa phase la plus critique sous le signe du plus manifeste et épais des dénis. Que le plus stupidement candide des wishful thinkings (la chute du régime chinois) se soit ajouté à cet objectif ne change rien à l’affaire : ce qui importait en tout premier lieu ici, c’est d’accréditer aussi solidement et irréversiblement que possible un récit « total » de la pandémie dont la première des caractéristiques est d’être émancipé des faits.

C’est d’un tel dessein qu’il faut prendre la pleine mesure – dans sa dimension tant philosophique que politique, « idéologique », bien sûr, pour employer un mot passe-partout. C’est d’un tel dessein qu’il faut prendre la pleine mesure généalogiquement – en le rapprochant notamment de ce que dit Hannah Arendt, aussi bien dans Les origines du totalitarisme que dans ses commentaires sur l’affaire du Watergate, à propos des enjeux relatifs à ce qu’elle appelle la vérité des faits.
Bien sûr, les faits n’existent jamais indépendamment des récits qui les consignent et c’est ici que d’emblée les choses se compliquent : tout récit procède par mise en intrigue et toute mise en intrigue suppose une perspective et un régime particulier d’écriture. Mais cela ne place pas pour autant le récit des faits sous une condition d’absolue relativité, et l’historien n’est pas censé être simplement un raconteur d’histoires prenant le passé comme « théâtre », parmi toutes sortes d’autres – il est astreint à des règles, il n’est ni un romancier, ni un fabuliste, ni un poète, il est lié par des engagements particuliers dans sa relations aux faits du passé.
En principe, le journalisme de référence, celui qu’on dit « sérieux », est astreint aux même règles lorsqu’il construit des récits relatifs au passé récent ou ancien : il ne peut pas réinventer la bataille de la Marne ou la chute de Hitler à ses conditions propres. Or, il semblerait que, parmi de très nombreux autres signes, l’épisode du Covid signale l’émergence d’une époque dans laquelle ces règles, avec les limites qu’elles fixent et les partages (pourvoyeurs d’intelligibilité) qu’elles entraînent, deviennent floues, voire seraient en cours de « dépassement ». La pandémie récente, ce n’est plus tellement, pour le storytelling politico-médiatique d’aujourd’hui, un phénomène global tissé de faits solidement établis, certes ouvert au conflit des interprétations, mais sans que cela porte atteinte à son socle ou son assise factuelle, la pandémie récente, c’est d’emblée et pour l’essentiel, l’occasion de faire valoir cette règle nouvelle selon laquelle ne compte que la performativité du récit.
Ce qui, à nouveau, complique ici les choses, c’est que l’établissement des faits, lorsque ceux-ci forment la trame d’un phénomène complexe et global (comme l’est la pandémie du Covid 19), ne saurait se réduire à un seul travail de consignation, un inventaire, une collection – les faits doivent faire d’emblée l’objet d’une procédure destinée à établir leur intelligibilité – à les rendre « lisibles », et c’est ici que se dessine l’enjeu des concepts. L’opération consistant à attester la réalité des faits ne se dissocie pas de celle qui vise à les rendre pensables, ce qui requiert soit le recours à des concepts existants, soit, opération plus périlleuse encore, la production de concepts appropriés à cet objet.
Dans le cas de la pandémie, cette double opération trouve son principal point d’implication là où est en question la relation entre gouvernants et gouvernés telle que mise à l’épreuve par la pandémie. Ce qui a été mis à l’épreuve, depuis le début de la pandémie, en 2020, c’est le gouvernement des vivants, c’est-à-dire la façon dont les gouvernants, face à ce qui est apparu très vite comme une menace vitale pour l’intégrité des populations (la population comme corps collectif) se sont fixé des lignes directrices, ont adopté une stratégie et des tactiques. La façon dont les gouvernants ont répondu à ce défi est pour nous l’occasion d’émettre un diagnostic sur ce qu’il en est aujourd’hui des formes du biopouvoir, de la biopolitique – à supposer que l’appareil conceptuel proposé par Foucault soit le plus approprié pour pratiquer l’opération d’intellection inséparable de l’établissement des faits, comme indiqué plus haut.
Or ce qui se présente d’emblée comme un élément constitutif de la réalité factuelle du phénomène global qu’a été la pandémie comme objet du gouvernement des vivants est distinct : dans les pays du Nord global tout particulièrement, les élites gouvernantes n’ont pas adopté une ligne de conduite unique, fondée sur une même doctrine, de mêmes principes, de mêmes visées. Au contraire, l’élément premier qui se repère ici, c’est le partage, la division. Dans un certain nombre de pays, dont la Chine, le pays le plus peuplé du monde (1, 5 milliards d’habitants), mais aussi le Vietnam, Cuba, la Corée du Nord et... Taïwan, a prévalu un principe dont l’horizon est l’état d’exception : protéger la population de la contamination par le virus quoi qu’il doive en coûter, tant en termes d’entraves aux activités économiques que d’atteintes aux dites libertés publiques. Dans le vocabulaire foucaldien, on dira que l’on a eu affaire là à une sorte d’intégrisme biopolitique – la détermination à maintenir le cap sur le « faire vivre » du gouvernement des vivants, l’emportant, dans ces conditions de crise majeure, sur toute autre.
Dans la quasi-totalité des démocraties libérales occidentales ou à l’occidentale, par contraste, les conduites gouvernementales ont oscillé entre ce que l’on pourrait appeler la nonchalance et l’incurie biopolitiques, sur fond d’inconséquence et de chaos, et une sorte de thanatopolitique soft. Ce que, dans leur diversité, ces stratégies et ces tactiques ont en commun est le refus d’envisager (et de faire face à) la pandémie comme un état d’exception. Dans ce contexte, il s’est toujours agi de tenter de trouver des arrangements, des compromis fait de demi-mesures face à la pandémie : la combattre, mais sans porter atteinte aux intérêts économiques des pays concernés, tenter de l’endiguer, mais sans mettre à mal les libertés publiques, etc. Dans les cas extrêmes, comme aux Etats-Unis, au Brésil, en Grande-Bretagne dans un premier temps, on a vu cette insouciance biopolitique glisser distinctement vers la thanatopolitique – là où le « laisser faire, laisser aller » d’inspiration libérale face à la pandémie (la fameuse fable de l’immunité collective) recelait d’évidentes arrière-pensées malthusiennes – après tout, la pandémie n’était-elle pas censée frapper en premier lieu les éléments les plus fragiles, les plus moins « utiles » de la société ? Et c’est ce qu’elle fit, d’ailleurs, comme en témoigne la surmortalité qui a frappé la population afro-américaine aux Etats-Unis.

On remarquera que le partage stratégique qui s’est opéré ici recouvre et des questions principielles, fondamentales, et des enjeux ayant trait à la concurrence des régimes de la politique. D’une part, on notera que les pays dont les gouvernants ont d’emblée déclaré l’état d’exception face à la pandémie sont, presque tous, des régimes a-démocratiques, selon les taxinomies de la science politique occidentale – à la notable exception de Taïwan. A l’autre bout du spectre, les régimes qui ont le plus notoirement glissé vers une instrumentalisation néo-darwinienne ou thanatocratique de la pandémie sont ceux où étaient aux affaires des ultra-libéraux/illibéraux à la Trump, Johnson, Bolsonaro. Dans l’horizon d’une philosophie politique de la pandémie, la question posée à l’occasion de celle-ci est distincte : dans les conditions du présent (de l’époque), l’apparition d’une menace vitale pour l’intégrité du corps collectif de la population (menace sanitaire, catastrophe environnementale, climatique...) appelle-t-elle de la part des gouvernants une réponse fondée sur le principe de l’inconditionnalité de la défense (la protection) de cette intégrité, telle que toute autre préoccupation, tout autre intérêt doivent s’effacer devant celle-ci ?
Le partage (la division) qui s’est opérée autour de cette question, tel qu’il recouvre largement la dispute autour du « meilleur régime de la politique » - ou du gouvernement - est inséparable du bilan, c’est-à-dire du coût humain de la pandémie, trois ans après son apparition à Wuhan, en Chine. Les faits, comme constitutifs de la moins indéniable des réalités, se disent ici en chiffres : Etats-Unis, plus d’un million de morts, Brésil, plus de 690 000, Inde, 530 000, Grande-Bretagne 212 000, France plus de 159 000, Russie 384 000, Chine 5200, Vietnam 43000...

L’agitation dont ont fait l’objet dans les médias occidentaux les manifestations qui, en Chine, ont signalé le ras-le-bol des populations des mégalopoles face aux duretés de la politique « zéro Covid » est, en terme de storytelling, le rideau de fumée qui accompagne l’opération fondamentale de déni de la réalité du partage dont les disparités criantes qui s’étalent dans ces chiffres témoignent. Pimentés de l’habituelle dose de wishful thinking qui accompagnent ces comptes-rendus au ton jubilatoire, cette mise en récit de la difficile sortie, en Chine, de l’orbite du « Zéro Covid », dessine parfaitement les linéaments et les contours de la guerre narrative que les élites gouvernantes occidentales entendent désormais livrer à ce qui persiste à résister à l’entreprise de normalisation planétaire placée sous le signe de la total-démocratie : que périssent les faits les plus massifs, les plus propres à faire époque, pour peu que prospèrent les récits utiles qui soutiennent nos ambitions à redéployer tous azimuts nos ambitions hégémonistes ! Ce qui caractérise cette machine discursive est son absolue indifférence à la réalité et à la variabilité des faits et son rigoureux placement sous le signe de l’hostilité, de la politique de l’ennemi et de la recherche de la confrontation. Mais cette disposition à assurer la suprématie du narratif sur le réel porte, ici, un nom : la fuite dans l’imaginaire.

Ainsi, lorsque la direction chinoise, alertée par les manifestations de rue, décide d’assouplir la doctrine « Zéro Covid », le commentateur unique occidental y voit la manifestation flagrante de la faillite de cette politique – une façon expédiente d’oublier que, si une gestion à la Trump de la pandémie avait prévalu en Chine, le bilan se serait établi en millions de morts, ce qui, soit dit en passant, permettrait audit commentateur unique de tonner aujourd’hui contre le « génocide » par impéritie dont se serait rendu coupable alors le régime chinois, comme il tempête sans relâche ni discernement contre le « génocide ouïgour »... Mais ne pourrait-on pas voir, autant et davantage, dans cette réactivité du régime chinois une sorte de fait polémique propre à mettre à mal la doxa occidentale à propos de la tyrannie totalitaire, autarcique, sourde et aveugle, établie au cœur de l’ « Empire chinois » ? La preuve : quand, après que les correspondants et éditorialistes du Monde ont tonné tout leur saoul contre l’aveuglement dogmatique de la politique « Zéro Covid », l’épidémie fait un retour en force dans un certain nombre de grandes villes de Chine, poussant les habitants à s’autoconfiner, ces censeurs de l’autoritarisme se font soudains discrets. L’arrogance journalistique n’a jamais été portée à l’autocritique.

On voit bien ici que c’est une machine discursive qui tourne à plein régime, dont la fonction première est de réduire les faits qui tissent la réalité présente et passée d’un phénomène comme la pandémie covidienne à la portion congrue et d’établir l’absolue prééminence des intrigues (plots) requises. Ce pli discursif est littéralement et distinctement totalitaire, pour autant que plus il se creuse et plus il prospère sur sa totale émancipation des faits et dans l’horizon d’un nihilisme de plus en plus flagrant. On lit désormais couramment, dans les éditos du Taipei Times comme dans des articles du Monde, que les dirigeants chinois ont sur la conscience la mort d’innocents imputable aux rigueurs de la politique « Zéro Covid » - la mécanique du transfert de culpabilité est ici au mieux de sa forme -, tandis que les dirigeants chinois se voient qualifiés de criminels pour avoir attenté aux intérêts économiques de leurs pays en faisant passer la vie des gens avant celle du taux de croissance [3].
Un éditorial récent du Monde n’hésite pas à parler de « confinement inique » à propos des rigueurs de la doctrine « Zéro Covid » encore récemment en vigueur en Chine [4]. C’est simplement oublier que cette discipline collective à outrance qu’ont subie les populations des grandes villes en Chine n’est pas, à l’échelle de ce pays, un dispositif léger dont on peut s’extraire sur un claquement de doigts – ceci dans des conditions où la pandémie se poursuit sur un mode endémique et évolue, au jour le jour, en yoyo. Les journalistes des pays occidentaux qui censurent sans merci l’autoritarisme du pouvoir chinois dans ce contexte sont bien loin d’avoir manifesté la même intransigeance face à l’incurie proprement criminelle de leurs propres gouvernements lorsque la pandémie battait son plein chez eux, sous leurs yeux. Intoxiqués par leur propre propagande, ils ont totalement perdu de vue l’essentiel : la doctrine « autoritaire » qui a prévalu en Chine face au Covid a sauvé des millions de vies, la politique « libérale » adoptée par les démocraties occidentales a, elle suscité des pertes en vies humaines qui, elles aussi, se comptent en millions, si l’on prend en compte la façon dont les pays du Sud global ont payé le prix fort pour l’impéritie et l’égoïsme de ceux du Nord. Ceci pour ne rien dire des caricatures criminelles de ces démocraties – l’Inde, le Brésil, les Philippines, etc.

Le propre de la propagande, redéployée dans l’horizon du totalitaire, c’est sa capacité illimitée d’abolir la frontière séparant un récit du présent ou du passé astreint aux conditions fixées par la réalité des faits et une fiction agencée sur des intérêts particuliers. C’est exactement ce qui est en jeu ici. La fictionalisation du passé récent et du présent a une fonction avérée : effacer les traces des faits et des phénomènes indésirables [5].

Si l’on veut vraiment s’engager dans un débat de fond sur ce que serait le bilan, tant philosophique que politique et moral, de l’interminable épisode du Covid, il faut partir de prémisses qui respectent le réel et ne tentent pas de subvertir les faits en pratiquant le storytelling propagandiste à outrance [6]. Il faut par exemple se demander si vraiment, dans le contexte d’une crise de cette espèce (nécessairement appelée à trouver son équivalent dans un avenir plus ou moins proche), sauver les vies humaines est bien un impératif (un « commandement ») inconditionnel qui doit prévaloir sur tout autre, dans toutes ses conséquences. Cet impératif, s’il doit s’imposer, concerne bien sûr au premier chef les gouvernants dont il doit déterminer toute l’orientation stratégique dans le contexte de cette crise. Si c’est là un impératif catégorique, il ne peut pas relever seulement d’une philosophie morale – il doit aussi relever d’une politique et d’une philosophie politique – l’égalité y est d’emblée en jeu, on l’a bien vu dès lors qu’il a été question de tri effectué parmi les malades pour l’accès aux appareils de ventilation - les médecins concernés se sont mis à énoncer des critères de sélection qui faisaient froid dans le dos. Mais le problème est alors bien sûr, qu’en situation d’urgence, c’est la philosophie spontanée des urgentistes et des décideurs (les politiques, l’administration) qui l’emporte, une philosophie ballottée au fil des circonstances davantage que solidement ancrée dans des principes.

D’autre part, le fait est que beaucoup de gens, dans tous les milieux, parmi les plus puissants comme chez le tout-venant, ne partagent pas cette position de principe ; certains pensent qu’assurer la pérennité des échanges économiques est aussi important que sauver des vies, d’autres placent leur « liberté individuelle » au-dessus de tout impératif sanitaire, d’autres enfin se disent que la mort d’un certain volant de personnes fragiles, âgées, malades voire inutiles au monde est dans l’ordre des choses et qu’en conséquence, qu’elle survienne par l’effet de cette pandémie ou pour toute autre cause, est d’importance secondaire...
Mais le problème est bien sûr que ces énoncés peuvent difficilement être présentés ouvertement dans les espaces publics de nos sociétés – leur « incorrection » morale et politique saute d’emblée aux yeux. Ils stagnent donc dans nos espaces communs comme une sorte d’eau trouble et vaguement nauséabonde dont nous feignons d’ignorer l’insistante présence. Ils posent de façon oblique, sournoise et subreptice des questions de civilisation dont nul ne songe à s’embarrasser. Des questions philosophiques, politiques et morales dont nous ne savons que faire et que nous ne savons pas même bien formuler les termes, que nous échouons régulièrement à problématiser.

C’est que, notamment, la question du « droit à la vie » est, dans nos sociétés, particulièrement embrouillée. Les traditionnelles injonctions religieuses, humanistes s’y entrelacent avec les logiques biopolitiques. De quelle espèce est le fameux « faire vivre et laisser mourir » que Foucault inscrit au fronton de la biopolitique ? Ce n’est pas une maxime ni un principe moral, ce n’est pas un commandement, c’est l’indication d’une direction générale de la politique définie comme gouvernement des vivants et réinscrite dans le champ de la biopolitique ; c’est le tracé d’un pli ou d’une pente. C’est une orientation selon laquelle se trouve balisé le champ d’un vaste programme de gouvernement fondé sur l’encadrement, la mise sous surveillance, la protection des populations, indissociable de leur valorisation comme force de travail dans le cadre du développement capitaliste des forces productives. Cette valorisation de la vie (par opposition avec la mort donc) dans l’horizon du gouvernement des vivants est soutenue non par des principes moraux mais par des calculs et des rationalités, un intérêt global des gouvernants dont on pourrait dire en manière de boutade qu’ils ont pris progressivement la mesure, à partir du XVIIème siècle, de leur intérêt à assurer leurs prises sur une population vivace et en bonne santé plutôt que pauvre et malade. Mais l’émergence de l’Etat social dans les pays les plus développés à partir de la Seconde guerre mondiale montre que ces rationalités et ces calculs tendent à s’hybrider avec des impératifs et des commandements selon lesquels la bon gouvernement serait désormais inséparable de la qualité du soin que l’Etat, l’administration, les pouvoirs publics prennent de la population. En ce sens-là, la biopolitique déployée du côté du care global tend à devenir une valeur, à faire l’objet d’une évaluation morale tant de la part de l’immense majorité des gens – ce qui saute aux yeux, sur un mode négatif, lorsque l’on assiste, à partir des années 1980, à la mise en œuvre de programmes massifs et inexorables de démantèlement de ce même Etat social, une orientation perçue non sans motif par le plus grand nombre comme désastreuse, destructrice, nihiliste.

La pandémie de Covid constitue un palier en ce sens qu’il est difficile de trancher entre deux diagnostics : a-t-elle été simplement l’épreuve à l’occasion de laquelle il est avéré que les gouvernants des démocraties libérales du Nord global sont désormais dans l’incapacité de tenir le cap de la biopolitique dans sa forme classique lorsqu’il leur faut faire face à une crise (ici sanitaire) majeure ? Ou bien cette crise est-elle plutôt l’occasion de vérifier que ce cap, ils l’ont bel et bien abandonné et que leurs calculs rationnels s’orientent désormais dans d’autres directions et selon d’autres priorités telles que « la vie des marchés avant tout » ? Mais jusqu’à quel point la bonne santé des marchés peut-elle être dissociée et découplée de celle de la population est alors la question qui surgit immédiatement au rebours de la précédente... ?
Ce qui caractérise en propre les logiques biopolitiques, c’est que jusqu’à un certain point, l’intérêt de l’Etat, lorsqu’il met en place les dispositifs inscrits dans le champ du « faire vivre » est superposable avec celui des populations ; en d’autres termes, les calculs rationnels d’intérêt et les rationalités que mettent en œuvre les gouvernants rencontrent l’intérêt des vivants, comme population – lorsqu’on rend la vaccination, le dépistage du cancer, la médecine du travail, etc. obligatoires. Un calcul rationnel d’intérêt se rattache habituellement à un particulier, quel qu’il soit, et est donc susceptible à ce titre de s’opposer à d’autres calculs rationnels d’intérêt. Mais dans le contexte présent, les choses sont un peu plus compliquées : l’intérêt de l’Etat à ce que la polio et la tuberculose soient éradiquées coïncide avec celui de la communauté vivante et, à ce titre, la séparation entre intérêt privé et intérêt général tend à s’effacer. Les calculs rationnels, du coup, prennent une autre dimension, en devenant indissociables d’une certaine idée du Bien, majuscule.
Tout porte à penser que dans les démocraties de marché d’aujourd’hui, les gouvernants ont, pour le moins, perdu le fil de ces ajointements : lorsqu’il leur faut « répondre » à un péril global comme la pandémie covidienne, les premières questions qu’ils se posent seraient plutôt : combien cela va-t-il nous coûter en points de croissance ? En indice de popularité ? En termes classiques, cela peut se nommer tout simplement : érosion, effacement du sens du bien commun.

Au reste, il ne faut pas oublier que la formule complète de la biopolitique est « faire vivre et laisser mourir ». Sa seconde partie est ouverte à toute une gamme d’interprétations. La dynamique inclusive et pour une part égalitaire de la biopolitique déployée du côté du « faire vivre » suppose bien que le modèle pastoral du gouvernement du « troupeau » humain créé pour les gouvernants l’obligation de veiller à l’intégrité de celui-ci y compris dans des conditions d’urgence, de crise extrême – comme la pandémie covidienne. On pourrait même dire que c’est quand les conditions normales s’effacent devant l’exception, l’inédit, le dramatique que le modèle pastoral est vraiment mis à l’épreuve - non pas ici, quand une brebis s’égare et que le pasteur abandonne le troupeau pour aller la chercher, mais bien quand le troupeau est frappé par un fléau qui menace de le décimer. Le souci du troupeau est ici placé sous le signe du même, même quand, même si..., l’horizon du « faire vivre » ne se dissipe pas – c’est au contraire, dans l’état de crise, que la prise en charge de la vie de la population par les gouvernants est supposée démontrer sa qualité. Un défi à la hauteur duquel se sont tenues les autorités chinoises, face au Covid, par contraste avec celles des démocraties libérales.
C’est qu’en effet on a vu, sous nos latitudes, dans le Nord global qui se place sous l’égide du signifiant maître « démocratie » se produire un déplacement déterminant de l’accent porté sur le « faire vivre » à celui qui relève le « laisser mourir ». C’est, au plus fort de la pandémie, la montée (dans les hôpitaux et services de santé des démocraties de marché) du modèle de la médecine de guerre : on fait le tri, on sauve ce qu’on peut, le reste, on le « laisse mourir », dans des conditions pas trop douloureuses si on en a le temps et les moyens. On sépare du troupeau la partie infectée pour tenter de sauver ce qu’on peut et on le fait selon un calcul rationnel qui, désormais inclut la part de ce qui doit être non pas sacrifié (il ne s’agit en aucun cas d’un sacrifice), mais, bel et bien abandonné à la mort. C’est un tournant décisif dans l’histoire de la biopolitique moderne et contemporaine. Il est de la plus décisive importance de prendre la mesure de ce qui est en cause dans le déni du fait même de cette bifurcation, en cause et en jeu dans les agencements du storytelling en mode occidental/démocratique, aujourd’hui.
La faillite, la retraite désordonnée, la gestion brouillonne du chaos et, dans certains cas patents, le crime délibéré (Trump, Bolsonaro...) incluent leur négation, c’est-à-dire l’effacement délibéré des traces. Si, dans l’atmosphère du moment où les mots « totalitaire », « totalitarisme » sont revenus en force dans les proliférations discursives démocraticocentriques, cette figure de l’effacement des traces conçue comme partie intégrante du crime devrait éveiller quelques souvenirs...

Ce qui enfin caractérise d’une manière toujours plus caricaturale la pensée « démocratique » des conditions du gouvernement humain (la gouvernementalité) dans les sociétés contemporaines, c’est son formalisme exacerbé et son penchant à l’abstraction sans contenu, c’est-à-dire sans relation avec le monde réel. Le cas de la Chine est, ici encore, le crash-test le plus probant : ce que la litanie assourdissante des simili-comparaisons (en forme d’opposition) entre l’entité taïwanaise « démocratique » et l’entité chinoise « autoritaire » ou « totalitaire », (rapprochement encore tout récemment remis au goût du jour à l’occasion des difficultés rencontrées par la Chine lors de l’atterrissage de la politique « Zéro Covid »), c’est une chose qui pourtant crève les yeux : on ne gouverne pas, sous quelque rapport que ce soit, un ensemble composé de un milliard et demi de vivants humains comme on gouverne une population de 23 millions d’habitants. Pour reprendre la très ancienne image, avec laquelle Platon se collette dans Le Politique, on ne pilote pas un paquebot à dix ponts comme une barque à moteur [7].
Lorsqu’ils glosent et tranchent, tout équipés de leur science infuse du gouvernement des vivants sur les difficultés de la Chine continentale à atterrir lorsque la pandémie semble, enfin, perdre en virulence, les journalistes de la presse occidentale et assimilée ne font que témoigner de leur infantilisme – ils ne comprennent pas le premier mot de la relation qui s’établit entre les conditions du gouvernement des vivants et l’échelle à laquelle celle-ci s’effectue, tout particulièrement lorsqu’elle est placée sous le signe d’un péril sanitaire majeur. La question qui, pourtant, devrait les suffoquer en tout premier lieu serait celle-ci : comment donc se peut-il que le gouvernement chinois a réussi, à l’épreuve de la pandémie covidienne, à relever un défi face auquel les gouvernements occidentaux ont échoué, tout en ayant à leur charge, tous, des ensembles de population sans commune mesure du point de vue du nombre, pour la plupart – ou plutôt si : la commune mesure, entre les 68 millions d’habitants de la France et les 1, 50 milliards d’habitants de la Chine, c’est 1/21ème ; entre les 23 millions de Taïwanais et les mêmes, c’est 1/63ème ; entre la Chine et les Etats-Unis, c’est1/4,5ème...
Tout un chacun nous accordera que le gouvernement d’un village peuplé de 100 habitants se présente tout différemment de celui d’une petite ville de 6000 habitants, et, à fortiori, une bourgade de 1000 habitants tout différemment de celle d’une ville moyenne de 61 000 habitants, etc. - un raisonnement qui, de toute évidence, ne s’applique pas, pour nos méninges médiatiques, aux conditions de la gouvernementalité chinoise, comparées à celles d’autres ensembles humains... [8]
Or, ce à quoi donne accès ici la mathématique élémentaire (le calcul des proportions, comme dans d’autres cas les statistiques et les probabilités), ce ne sont pas des abstractions abyssales (LA démocratie, LE totalitarisme...), mais bien des faits sociaux autant que politiques. La saturation des espaces discursifs contemporains par le storytelling total-démocratique, à propos du Covid 19 entendu comme fait (social et politique) total, a, en tout premier lieu, la dissolution de ces faits, leur effacement comme enjeu. Et, avec elles, bien sûr, le remodelage de la réalité aux conditions de l’hégémonie, de sa survie [9].
Le phénomène global de la pandémie n’est pas, dans le cours de l’Histoire et de l’évolution des sociétés, un accident mais un révélateur. Dans de nombreux pays, à commencer par les Etats-Unis, la pandémie fait apparaître ce que Le Monde appelle une « chute historique de l’espérance de vie » [10] entendue comme signe tant diagnostique que pronostique de ce qu’il faut bien appeler, davantage qu’une crise, un effondrement.

Enfin, et pour revenir à Foucault, on se rappellera que la biopolitique entendue comme « prise en charge » des populations par les pouvoirs modernes, est un Janus bifrons – elle accompagne, elle met en forme, elle optimise, mais elle expose aussi. Dans ce geste même de l’exposition se maintient quelque chose de l’ancien pouvoir de souveraineté – la Première guerre mondiale est l’un de ces grands moments d’exposition à la mort en masse, par les régents des Etats-nations, de ces populations mêmes que l’on avait promues par l’instruction publique, les campagnes d’hygiène, l’assainissement de l’habitat. Et Foucault d’enfoncer le clou, lorsqu’il évoque, dans le monde d’après Hiroshima et Nagasaki, l’exterminisme nucléaire comme l’envers sombre du biopouvoir.
Ce que montre peut-être la séquence de la pandémie covidienne, c’est que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de l’histoire des pouvoirs contemporains dans laquelle ceux-ci se divisent, à fronts renversés, autour de la façon dont s’articulent ou se combinent la dimension protectrice ou immunitaire de la biopolitique et sa part, disons, exposante : ce sont les démocraties de marché qui laissent de vastes pans des populations dont elles ont la charge exposées aux conséquences, souvent létales, de la pandémie et ce sont les supposés régimes autoritaires voire totalitaires, a-démocratiques, en tout cas, qui s’efforcent au contraire de réduire autant que faire se peut la part exposée.
On dira aussi bien, en élargissant la perspective, que l’on assiste aujourd’hui à un déplacement de l’axe du biopouvoir qui, de façon toujours plus visible, conduit les démocraties libérales à renforcer et augmenter la part de l’exposition des populations au détriment de celle de l’immunisation ou de la prise en charge dans des formes positives : le tour de plus en plus sûr de lui et dominateur que prend l’actuelle croisade des démocraties contre les régimes non alignés ou concurrents a pour effet automatique d’accroître l’exposition de leurs populations mêmes aux dangers de guerres d’extension et d’intensité variable, au fur et à mesure que se multiplient les foyers de tension. L’Ukraine, à ce titre, est un microcosme prospectif – à l’occasion d’une exemplaire proxy war, une scène d’exposition massive de la vie des populations, prises en otages par ce qui est aujourd’hui davantage qu’une idée fixe - à la fois une pulsion incontrôlable (ein Trieb) et une illusion au sens le plus fort du terme (ein Wahn) – le placement de la planète entière sous le signe ou le régime de la total-démocratie [11].
Une pulsion et une illusion intrinsèquement nihilistes en ce sens même que ce qui est ici devenue une cause indiscutable, sacrée, une obligation inconditionnelle et un principe absolu - la démocratisation du monde, sans reste - est érigé en ce qui justifie tous les moyens, y compris les plus violents – si c’est pour le Bien absolu (la promotion de la Démocratie), alors tout est permis... C’est ici que la boucle se boucle : le récit autarcique règne en maître là où il est placé sous l’emprise tyrannique de l’Idée et où le monde réel est sommé de se soumettre à ses conditions – en s’effaçant – d’où la perpétuelle réécriture en mode logocratique néo-totalitaire du lugubrement mémorable épisode de la pandémie covidienne...

Alain Brossat

Notes

[1Toi, ne te laisse pas endurcir/En ces temps difficiles [Nde]

[2Il est divertissant, si l’on peut dire, de constater que la presse des démocraties de marché, lorsqu’elle enfourche le cheval de la lutte contre les « fake news », le fait de façon systématique sur un mode diversif : en évoquant plutôt toutes sortes de rumeurs folkloriques à propos des effets cancérigènes supposés de la consommation d’insectes ou les maladies auxquelles on s’exposerait à participant à telle gay parade - plutôt que la fabrication massive et systématique, par les élites gouvernantes et les maîtres du storytelling, de récits dopés au fantasme à propos des migrations, des ambitions de Poutine ou de la « menace chinoise »... Sur les fuites dans l’imaginaire des élites gouvernementales des démocraties occidentales, à propos des migrations, voir l’excellente tribune de François Héran « L’impuissance migratoire ne tient pas au manque de volonté ou de moyens mais à la démesure des objectifs », Le Monde du 8/11/2022.

[3« Xi is possibly facing one of the biggest challenges of his decade-long rule, but he must decide whether to maintain the ’zero-Covid ’ policy – which has proved ineffective je souligne, AB), taken a heavy toll on the economy, destroyed livehoods (idem) and fuelled public discontent – or remove the restrictions and face the risk of mass infection and deaths. The latter would mean admitting the failure of a policy he has staked his political reputation on, a model of what he calls ’Chinese efficiency’ » (Editorial de Taipei Times, 4/12/2022). Dans Le Monde daté du 6/12/2022, Simon Leplâtre, l’un des correspondant du journal en Chine, propose cet énoncé anthologique : « Un grand nombre de Chinois continue de croire que le Covid 19 est mortel et se méfie des vaccins », ceci sous le titre général : « Covid 19 : la Chine contrainte à changer de politique ». On conçoit aisément que si « tant de Chinois » s’obstinent à adhérer à la superstition ridicule selon laquelle « le Covid 19 serait mortel », c’est qu’ils sont sous l’emprise du discours totalitaire que leur assène le régime...

[413/12/2022.

[5Le cynisme dont font preuve les médias des démocraties Potemkine à l’occasion des récentes protestations surgies en Chine contre les contraintes durables et éprouvantes subies par les populations de certaines villes ou régions, est sans limites : à l’occasion de l’incendie accidentel d’un lieu de confinement à Urumqi, la capitale du Xinjiang, incendie qui coûta la vie à une dizaine de personnes, Taipei Times enfonce le clou en faisant de ces morts « inutiles » les victimes d’une politique d’enfermement des populations criminelle, le dispositif « Zéro Covid » constituant manifestement, en Chine, « une répétition d’une forme de totalitarisme digital plus étendue encore ». (« Protest response will tip Xi’s hand », 7/12/2022).

[6Quand je dis que le storytelling en vogue dans les plus hautes sphères des démocraties occidentales est désormais totalement indifférent aux faits, ce n’est pas une fleur de rhétorique. Exemple : dans un récent article publié par Taipei Times (« Dynamic ’Zero Covid’ discontent », 19/12/2022), Miles Yu, ancien conseiller de Mike Pompeo, Secrétaire d’Etat sous Trump, Chinois ethnique, renégat culturel exemplaire et faucon républicain, écrit, en ouverture de son papier : « The Chinese Communist Party’s cruel and abusive Zero-Covid lockdown policy has been a disaster ». Ce énergumène était aux affaires quand la pandémie faisait rage aux Etats-Unis, laissant plus d’un million de morts sur le carreau. La seule question qui vienne à l’esprit ici est : How dare you ?. Pompeo, le magister de Yu, ne cesse de clamer, lui, que « Taïwan n’a jamais appartenu à la Chine », contre-vérité historique notoire. Ces gens-là sont une encyclopédie vivante de l’indifférence aux vérités de fait dans laquelle Hannah Arendt voyait une expression caractéristique du totalitarisme.

[7Du bon usage de l’anachronisme, défendu avec constance par l’historien Paul Veyne, récemment disparu.

[8Comme le dirait Engels dans La dialectique de la nature : à partir d’un certain point, la quantité se transforme en qualité...

[9« La science » ou l’expertise prennent plus que leur part à ce processus de déréalisation, comme le notait Bruno Latour. « La crainte engendrée par Covid 19 semble en relation inverse de sa létalité », diagnostiquait savamment Hervé Le Bras, un ponte de l’Institut National des Etudes Démographiques, en plein incendie pandémique – Le Monde du 09/12/2021.

[10« Covid 19 : chute historique de l’espérance de vie », Le Monde du 22/10/2022 ; « Aux Etats-Unis, la plus forte baisse depuis les années 1920 – en deux ans, l’espérance de vie dans le pays a chuté de 2,7 ans, notamment sous les effets du Covid 19 et de la crise des opioïdes », Le Monde, ibidem. Un processus qu’un article éditorial de Stéphane Foucart commente dans ces termes : « Mourir dans un monde abîmé », Le Monde, ibidem.

[11Le changement de pied des démocraties libérales contemporaines n’est, sur ce point, pas toujours facile à opérer : on le voit bien à Taïwan où la tentative de mobilisation en forme de militarisation d’une jeunesse élevée en cocon selon des paradigmes hyper-immunitaires et déréalisants se heurte à des obstacles insurmontables. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on reconditionne en masse humaine exposée aux conditions d’une guerre totale une génération grandie dans les bulles des jeux vidéo, des mondes virtuels, des convenience stores, des malls, des conforts de la civilisation digitale...