Piss and love (in the bucket)

, par Melody Buffalo


« Chaque race a son odeur, que détestent les autres races. Le commissaire Maigret avait ouvert la fenêtre, fumait sans répit, mais de sourds relents continuaient à l’incommoder. »
(Georges Simenon, Pietr-le-Letton (1929)

1- Calcul rationnel d’intérêt : confier la garde des troupeaux de moutons au loup, le salaire de celui-ci étant indexé sur la production de lait. Il doit donc, dans son propre intérêt, renoncer à égorger les brebis et veiller à ce que ses congénères s’en abstiennent aussi. Le berger se contente de monter à l’alpage une fois toutes les deux semaines pour collecter le lait, lui verser son salaire et vérifier que le compte des brebis est bon. Ici, on entre dans le domaine de la rationalisation de l’emploi de la force de travail.

2- Nouveau cauchemar dantesque de N. : pendant la nuit, des fêtards complètement à la dérive avaient désacralisé le collège Samuel Paty, et bombé sur la façade : « Ecole des sorciers Dominique Pélicot ».

3- les amas vertueux ressemblent aux essaims de mouches vertes (lucilia sericata) et bleues (calliphora vomitoria) sur des morceaux de bidoche pourrie. Ils sont partout – dans les journaux, sur les réseaux...

4- Labiche ou Courteline ? Les cocus intermittents sont les cousins des escargots : ils sont, comme ceux-ci, équipés de cornes rétractiles.

5- Tous les soirs, avant de se coucher, Netanyahou fait les comptes et les inscrit scrupuleusement dans un cahier d’écolier – 30 morts, femmes et enfants compris, suite au bombardement d’une école à Gaza, une vingtaine, des conséquences d’une frappe aléatoire dans le centre de Beyrouth, une quinzaine à l’occasion d’un raid militaire sur Jénine, un assassinat ciblé à Téhéran – une bonne journée, en somme, trois étoiles. Cette minutieuse comptabilité, c’est ce qui, pour ce maître de la mort, remplace la prière du soir.

6- Les vraies démocraties se reconnaissent à l’existence de toilettes publiques nombreuses, propres, gratuites. C’est que les autorités y sont plus que tout attachées à la liberté d’excrétion.

7- Le ressort de l’information aujourd’hui, ce n’est pas du tout tenter de comprendre ce qui se passe, c’est : être au courant de tout, absolument. Parce que si tu n’es pas au courant, tu n’es qu’un con. Parce que si, des quatre informations du week-end qu’il faut retenir (dixit le marchand de nouvelles), l’une t’a échappée, tu passes vraiment pour le con de service, le lundi matin, à la pause-café. Parce que si tu as raté quelque chose de ce qui s’empile sur le tapis roulant de l’actualité, tu n’es qu’une bille. Pourquoi il faut retenir ces informations-là plus que d’autres ? – mystère. Ou plutôt, non : pour ne pas avoir l’air d’un con. Parce que si tu es passé à côté de celle-ci ou celle-là, t’es pas au jus, tu n’assures pas. Impératif catégorique absolu, définitif : Tiens-toi au courant ! Pour quoi faire ? T’occupe ! Faut être au courant, c’est tout.

8- Ce n’est pas donné à tout le monde de faire une bonne victime, sous nos latitudes, la victime idéale et commercialisable – il y faut une savante maîtrise de l’art de combiner l’esprit de vindicte et la plus épaisse des sottises – pas donné à tout le monde...

9- Dans la boîte à livres d’un quartier périphérique inscrit sur mes lignes d’erre vélocipédiques, les couvertures des bouquins ont été systématiquement arrachées. On pourrait soupçonner un libraire fielleux et vindicatif – mais il n’y a pas une librairie à la ronde... A moins que ça ne sente son fasciste, hostile par principe à la circulation des biens hors marché, à la gratuité, à la mise en commun.

10- On pourrait imaginer un roman néo-populiste commençant ainsi : « C’était l’heure blême à laquelle les ivrognes de longue durée sortent des logement sociaux en se grattant les couilles ». Le challenge, ça serait de se maintenir à ce niveau d’excellence d’un bout à l’autre du livre.

11- Plus que jamais : analyser plutôt que moraliser. Ce n’est pas la critique qui est soluble dans la morale, c’est l’inverse. Les cris d’indignation se perdent dans l’éther, ils ont la mémoire courte. Analyser, c’est prendre date. Ce que l’on a péniblement, longuement, soigneusement analysé, on ne l’oubliera pas.

12- Une autre hypothèse sur l’affaire de Mazan : Pélicot, le vilain coco, le beauf, le looser, se venge du mépris social qu’il a subi durablement, de la part de son épouse, entre autres. Du mépris social, on se venge souvent atrocement, en tant qu’il est lui-même une chose atroce. Son petit talent de pervers appareillé par les réseaux a fait le reste.

13- « Sag nie mehr jawohl ! » – Oscar Werner en officier nazi désillusionné dans Der letzte Akt (La fin d’Hitler, 1953) de G. W. Pabst. Intraduisible – et une clé, pourtant – le pire, ce n’est pas l’obéissance passive, c’est la soumission enthousiaste.

14- En ce début de millénaire, le Minuit dans le siècle survient prématurément. Au siècle précédent, il se désigne rétrospectivement d’un geste sûr : les années 1941, 1942, 1943, en Europe avant tout. Mais alors, si l’on savait plus ou moins de quoi la catastrophe du présent était faite (les extermination à l’Est), du moins avait-on l’assurance que quelque chose s’activait contre la puissance maléfique qui s’en rendait coupable – les Alliés, les Résistances nationales... Aujourd’hui, le crime prospère à la face du monde et c’est de cela qu’est fait le Minuit dans le siècle précoce dont nous sommes les otages accablés : non seulement rien ne s’y oppose, rien n’y résiste, mais il est devenu le spectacle quotidien dont les médias nous exhortent à ne rien « rater ». En ce sens, ce Minuit-là est superlatif, il l’emporte sur celui du siècle dernier.

15- « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » – mais ça fait un moment qu’on n’en est plus là, mon pauvre Bert ! Depuis le temps, la bête a mis bas plus d’une portée, ses petits sont devenus grands et ils s’activent de préférence là où on les attendrait le moins. Les enfants de la bête ont essaimé sur tout le pourtour du globe, ils prospèrent sous les atours les plus variés – de préférence ceux de l’anti-bête.

16- Prendre son temps est une chose – abuser de celui des autres en est une autre (Raymond Chandler).

17- J’ai enfin compris pourquoi on dit « con comme un balai ». C’est que quand on pose le balai après avoir fini de s’en servir, régulièrement, il tombe, son manche entraînant dans sa chute les objets se trouvant sur son passage. Ce qui pourrait nous conduire un pas plus loin : non seulement le balai est con, mais il est malveillant, intrinsèquement méchant.

18- Le courage de la vérité, c’était le titre d’un cours de Foucault au Collège de France (1984). Le voici devenu un slogan sur les affiches de Zemmour. C’est l’époque qui veut ça.

19- Si vous rêvez de chier tranquillement dans un ascenseur en mouvement, choisissez un immeuble d’au moins dix étages.

20- Ce dont l’Occident est en train de crever, entraînant, hélas, le reste de la planète Terre dans sa chute, c’est de son incapacité croissante à accorder une quelconque importance ou valeur aux raisons des autres, dans tous les sens du mot raison. Il y est devenu totalement indifférent et hermétique – ce qui n’a, peut-être, pas toujours été le cas.

21- Il est profondément injuste qu’au moment même où nous nous levons en renâclant pour aller bosser (alors que le jour, lui, n’est même pas encore levé), les Néo-Zélandais, eux, s’apprêtent à aller se pieuter, tranquilles comme Baptiste.

22- Pour truquer les élections, on bourre les urnes. Pour truquer les érections, on prend une petite pastille bleue. Quant à savoir ce que l’on bourre ensuite, c’est une tout autre affaire.

23- Les fieffés imbéciles qui se bousculent au portillon pour organiser des colloques à l’approche du centième anniversaire de leur idole (2026) sont définitivement étrangers à la philosophie de celle-ci, ils.elles n’ont manifestement pas compris qu’organiser un colloque Foucault aujourd’hui, c’est comme préparer une conférence internationale sur les églises byzantines dans le Nord de l’Albanie. La naphtaline est une chose, la philosophie vivante (et dangereuse) en est une autre.

24- Plutôt que nos amis, les animaux domestiques sont nos esclaves : nous n’avons certes pas le droit de les maltraiter, mais nous disposons, sur eux, d’un droit de vie et de mort – nous pouvons les faire euthanasier à notre convenance, avec la complicité d’un vétérinaire. Sous cet angle, leur condition les rapproche de celle des esclaves dans la Rome antique.

25- Libraires opportunistes – de plus en plus de librairies récemment ouvertes sont dénommées « La boîte à livres ». Sur leur page de présentation en mode digital, la plus savantes des ambiguïtés est entretenue entre boîte à livres placée sous le signe de l’échange et de la gratuité, et librairie – qui est un commerce. Le marché est une machine boulimique et retorse, dans les petites choses comme dans les grandes.

26- Une guitare ne saurait être dite sèche dans le sens où l’est une nourrice : grattez l’une et l’autre, et vous verrez la différence. Vous l’entendrez, plutôt.

27- Assise pendant quelques minutes dans une rame de métro sur la ligne 7 en face d’un type arborant une remarquable tête de cheval et passant le doigt compulsivement sur l’écran de son smartphone, j’éprouve un malaise durable et ne comprends qu’après coup qu’il s’agissait du Diable, dans l’une de ses multiples incarnations. Ce n’est pas la première fois que je croise le chemin du Diable et il se présente, en chaque occasion, sous une apparence différente. Il émane de lui une si aveuglante puissance maléfique que, dans un premier temps, j’échoue à l’identifier. Ce n’est qu’à retardement que j’identifie le Malin. Ce qui, ici, aurait pourtant dû me mettre la puce à l’oreille est pourtant flagrant : il voyageait vêtu d’un simple T-shirt en dépit de la fraîcheur automnale (le 2 novembre). Le Diable, la chose est bien connue, est insensible aux variations thermiques.

28- Le capuchon, aujourd’hui, ne sert plus à protéger du froid mais des autres et, plus généralement, de la vie. On se couvre de son capuchon de sweat-shirt pour s’enfermer dans sa sphère, s’établir en autarcie. Le capuchon, c’est la coquille de l’escargot.

Melody Buffalo