Sommes-nous Charlie ?

, par J. P. Dacheux, Président de l’association


Sommes-nous Charlie ?

Nous voudrions tant l’être !
La réaction populaire, le soir même de l’attentat, (plan vigie-pirate ou pas) pouvait le faire croire. La manifestation géante de ce dimanche 11 janvier, qualifiée d’historique, est plus équivoque. Le meilleur (réconfortant) et l’ambigü (inquiétant) s’y sont confondus.

Sommes-nous Charlie ?

Quand s’exprime tout le peuple, uni dans sa complexité, on ne peut que s’en réjouir et espérer. Mais, à l’évidence, les tentatives de récupération sont déjà à l’œuvre.
Est-ce bien le peuple qui a manifesté ? Est-ce bien sa volonté qui va prévaloir ?
Les vraies questions sont, pour l’heure, esquivées, mais elles ne vont pas tarder à être exprimées !

Sommes-nous Charlie ?

Comme nous voudrions qu’il y ait un ciel d’où Cabu et Wolinski suivraient nos agitations ! Quel rire énorme les auraient soulevés, en entendant sonner les cloches des églises en leur honneur. Quel doute les emplirait en voyant défiler, pour défendre les libertés, des chefs d’État liberticides. Quelle amertume serait la leur si devaient s’étaler des banalités et des contre-vérités manifestes.

Sommes-nous Charlie ?

La liberté d’expression était, pour tous ceux qui sont morts, la liberté de contredire et de contester. L’appel à l’ « unité nationale » peut dégénérer en ce néo-nationalisme qui tue la liberté pour la sauver. La France, pour l’ensemble des collaborateurs de Charlie-Hebdo, morts et blessés, c’était tout autre chose. C’est la société des sans-peur face à la société de surveillance sécuritaire qu’on voudra nous faire accepter.

Sommes-nous Charlie ?

On a voulu tuer la liberté de penser, de dire et d’écrire.
Les assassins ne sont pas les seuls, ni même les premiers responsables. Leur bras a été dirigé. Par qui ? Des manipulateurs, agissant dans ces prisons où l’on enferme, un temps, des frelons ? Des fous, déterminés, surarmés, prêts à mourir, impitoyables qui n’ont pu, de toute façon, agir seuls.

Sommes-nous Charlie ?

Alors nous sommes aussi Juifs.
Que quatre Français, parce que de culture juive, aient été supprimés, est insupportable, inqualifiable.
De Jésus à Marx, d’Einstein à Hannah Arendt, notre pensée est imprégnée de la pensée de Juifs. Les Juifs ne sont, en tant que tels, coupables de rien, pas plus que ne le sont les musulmans.

Sommes-nous Charlie ?

Chaque victime, célèbre ou non, ne saurait être oubliée.
Les méconnus, clients d’un supérette cachère, ou « flics » abattus comme des animaux, sont des nôtres. Ce ne sont pas les seuls chefs d’État venus à Paris qui détiennent les clefs de l’histoire.
Les innombrables sans grade, les populations musulmanes écrasées dans le monde entier, sont Charlie.

Sommes-nous Charlie ?

Avons-nous bien réfléchi à ce que sont les causes de l ’attentat ? Car ces causes ne sont pas directes. Dans notre pays, le vivier des enragés, des révoltés, des humiliés, des exaltés, des « dérangés » est vaste. Là où la désespérance l’emporte, les propagateurs du fanatisme prospèrent.
Il n’est pas de frontières pour la diffusion de la haine et les causes ne sont pas toutes internes.

Sommes-nous Charlie ?

Oublions-nous qu’ont été noués des liens historiques entre les victimes de guerres vaines et perdues ? D’Irak en Afghanistan, puis en Lybie, de grands États d’Occident n’ont-ils pas déstabilisé le monde ? L’abject terrorisme tue, mais il tue moins que n’ont tué les vengeurs du 11 septembre. Charlie osait le dire. La mort de dizaines de milliers d’innocents, (plus que de criminels !), a figé des rancœurs inextinguibles.

Sommes-nous Charlie ?

Car le terrorisme n’est pas ce concept vague sur lequel il serait facile de focaliser les rejets ! Les terroristes, qui voulaient « tuer Charlie » sont des milliers d’insensés qui se croient des héros. À chacune de nos erreurs politiques internationales, nous en multiplions le nombre.
Les terroristes sont des humains désumanisés qui croient n’avoir plus qu’un ennemi : l’Occident !

Si nous sommes Charlie..., alors :

Il va nous falloir nous changer nous-mêmes, être des citoyens lucides et qui conservent la parole !
Ne plus nous laisser guider comme des moutons par les partis, le gouvernement, les médias. Revenir à la politique, la vraie, celle dont dépend notre sort, quand le peuple pèse sur les pouvoirs.
La rue a parlé, cette rue si souvent fustigée quand elle s’exprime, mais n’a pu tout dire !

Malheur à qui serait sourd quand souffle le vent de l’histoire.
Tournons la page du renoncement et de la résignation.
N’entendons plus les politiciens qui cherchent à nous détourner de nos responsabilités. Ouvrons un espace politique nouveau et libre.
Soyons Charlie.

Jean-Pierre Dacheux Le 11 janvier 2015